Potemkine réunit en un coffret tous les films réalisés par Pierre Clémenti, figure du cinéma underground.
Des dents en métal exhibées à Catherine Deneuve dans Belle de jour. C’est une image possible. Ou alors, un homme nu dans une étendue dépeuplée, celle de Porcherie de Pasolini, du Lit de la vierge et de La Cicatrice intérieure de Garrel.
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Ce serait peut-être celle-ci, la première image vibrante qui surgirait à l’évocation de Pierre Clémenti, celle d’un bellâtre décharné qui se promène comme une légende entre les glaciers islandais et les déserts de Ouarzazate. Les boucles brunes ensoleillées, accompagné de jeunes corps à la beauté surnaturelle, Clémenti arpentait les terres magiques d’un cinéma underground et devint très vite la coqueluche d’une contre-culture psychédélique, celle des années 1960 et 1970.
Grand acteur donc, évoluant chez Visconti, Bertolucci, Marc’O, Rivette, il était aussi un immense cinéaste, auteur d’une œuvre cosmique et sensuelle. La totalité de ses films de réalisateur sont aujourd’hui réunis dans un coffret DVD qui accompagne son œuvre d’analyses et de témoignages uniques, dans un écrin soigné, pour dévoiler une filmographie qui s’étale sur une vingtaine d’années ; une élégie contestataire, d’abord lumineuse et charnelle (Positano, Souvenirs, souvenirs…) puis de plus en plus paranoïaque et cérébrale (À l’ombre de la canaille bleue, Soleil).
Un cinéma vibrant et libre
Ses films sont d’abord peuplés de femmes en tunique de mages et de sorciers en cape, des Christ sous LSD exaltés dans des home movies baba cool qui sont surtout des récits anthropologiques, ceux d’une marge édénique de la société. Ce qui est si fondamental dans le cinéma de Clémenti, c’est cette soif d’absolue liberté, de chercher sans fin le chant des origines, de brûler tout le temps, en pulsations et battements ininterrompus. Cette bobine ultra-vivante est une gourmandise cinématographique qui fait feu de tout bois, en abolissant les séquences au profit d’un foisonnement de plans surimpressionnés, de flashs persistants qui sont le pouls d’un cinéma-psychotrope. Ce cinéma qui s’enflamme (littéralement, la pellicule prend feu) dans les déclarations d’amour aux compagnes, aux enfants et à l’univers.
Une certaine idée du monde partagée et racontée par Philippe Garrel dans un documentaire qui multiplie avec ivresse les témoignages précieux sur Clémenti : “Dans notre esprit, les caméras et les guitares avaient remplacé les armes. On était très pacifistes et on pouvait arriver à la paix mondiale éternelle. Nous croyions ça.” Une croyance qui s’est évaporée avec les fumées des événements de 1968, au printemps de mai que Clémenti a filmé de l’intérieur dans La Révolution n’est qu’un début, continuons le combat. Après une arrestation à Rome en 1971 pour possession de drogues, la prison et les électrochocs ont teinté son œuvre d’une noirceur portant les stigmates d’une société policière. Il fabrique alors des films plus paranoïaques et théoriques qui rappellent que “le choix de la liberté n’est pas une affaire facile”, comme l’explique Philippe Azoury dans un montage analysant la filmographie de Clémenti. Les bars bleus, rouges et moites, les errances sexuelles et violentes… tout devient plus sombre, plus hardcore.
Et pourtant, son cinéma reste éminemment poétique, d’une animalité plus urbaine mais toujours en lutte contre l’abîme bourgeois. Dans un entretien filmé partagé avec Yann Gonzalez, Bertrand Mandico dira que Pierre Clémenti était “la figure de proue de la marge parisienne”. Il dégage en effet ce magnétisme vénéneux qu’il recrache inexorablement dans son cinéma, comme un fardeau d’alchimiste qui attire avec lui toute une faune interlope du cinéma et de l’art. L’œuvre de Clémenti, folle de bout en bout, est bel et bien ce territoire fiévreux et mystique qui aura permis d’extraire la poésie du monde, un cinéma qui est à la fois d’une désobéissance totale et d’une vitalité jouisseuse.
Intégrale Pierre Clémenti, Éd. Potemkine, sortie le 17 mai.
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