Angelot de trottoir lancé dans le cinéma par Visconti et Buñuel, dandy voyou viré Christ ténébreux chez Pasolini et Garrel, figure sulfureuse emprisonnée en Italie pour possession de stupéfiants et réapparue récemment chez Monteiro : Pierre Clémenti est l’anti-idole la plus charismatique du cinéma français.
On guette le mouvement trahissant l’inquiétude. On scrute le regard afin d’y déceler l’imperceptible surgissement d’une onde de tristesse ou d’affolement. Ce signe que nous avons épié, devant nous révéler l’insupportable condition de l’oublié, ne viendra pas. Pierre Clémenti conserve, après deux heures passées à touiller les souvenirs avec la petite cuillère à café, cette égale distance attendrie avec Pierre Clémenti, le mythe. Le visible amusement qu’il tire à l’évocation de la gloire éphémère qui fut la sienne semble le prémunir contre toute forme d’engloutissement dans une nostalgie que nous serions en peine de ne pas excuser.
Avoir été l’une des plus belles créatures cinématographiques des années 60, avoir débuté sous la direction de maîtres tels que Visconti, Buñuel ou Pasolini aurait dû logiquement lui ouvrir ce boulevard sur lequel gambadent les destinées incomparables. Voilà bien ce qui rend perplexe. A croire que la trop grande lisibilité du parcours promis l’a conduit à cet autodéraillement qui aujourd’hui le fait considérer comme « l’acteur qui n’a pas eu la carrière qu’il aurait dû avoir ».
Mais à cette image de répudié, l’homme qui nous fait face ne correspond pas. La cinquantaine argentée s’accompagne chez lui d’une grâce s’étant plutôt bien accommodée du régime de sous- exposition. Si Clémenti n’a pas connu de zénith, il aura aussi échappé à la sentence du crépuscule, à la flétrissure que laissent l’ambition, l’avidité, la vulgarité. Beaucoup d’acteurs mus par la seule anxiété de la disparition et de l’oubli pourraient lui envier sa singulière liberté de fugitif.
Dans sa manière, assez brutale, de rompre au milieu des années 60 avec le cinéma traditionnel pour ne plus se consacrer qu’à la production indépendante, on trouvera les premiers symptômes d’une quête en forme de fuite. Sa personnalité et sa troublante beauté avaient attiré l’attention de l’esthète Visconti, qui lui confiera le rôle d’un jeune aristocrate dans Le Guépard. Pour Belle de jour, Buñuel l’imagine en voyou dandy et balafré, la dentition trempée dans l’acier. Bertolucci en fera un adolescent en rupture dans Partner et un chauffeur en livrée homo dans Le Conformiste. Dès lors, Clémenti quitte définitivement l’ère d’une rébellion instinctive pour pénétrer peu à peu dans l’ozone d’un mysticisme tâtonnant, caractéristique d’une fin de décennie en recherche de transcendance. Pasolini d’abord le met à l’épreuve dans Porcherie, où il incarne un anachorète de montagne vivant près des dieux et se nourrissant de chair humaine. Philippe Garrel à son tour le drape dans la tunique du Christ pour Le Lit de la vierge et le promène dans le désert de La Cicatrice intérieure. Liliana Cavani viendra parfaire l’icône en lui donnant, dans Les Cannibales, le rôle du rescapé d’un cataclysme universel, posant son regard de saint martyr sur la souffrance humaine.
Si le début des années 70 offre au cinéma européen un espace où s’engouffre ce besoin hâtif autant qu’ardent de s’affranchir des formes traditionnelles, les régimes politiques en place veillent à ce que ces élans créatifs ne viennent pas perturber le ronronnement bourgeois ambiant. Pour une banale affaire de possession de haschisch, Clémenti, figure symbole d’une jeunesse un peu trop libérée, un peu trop hédoniste, va passer un an et demi dans les geôles italiennes : un épisode qui marque en fait le début d’une éclipse quasi totale. Jusqu’à ce que Monteiro nous restitue d’un seul coup toute l’énergie du non-réconcilié dans le magnifique Bassin de J. W.
Francis Dordor
Pierre Clémenti La culture est devenue un grand commerce, ce n’est plus du tout une aventure humaine ou artistique. Aujourd’hui, il faut faire du blé. Cette rétrospective à la Cinémathèque me permet de montrer des films qui sont restés invisibles pendant des années, parce que des distributeurs les achetaient pour ne surtout pas les sortir. Il faut avoir la santé et s’accrocher pour continuer à faire des choses qui amènent le cinéma dans d’autres directions que le divertissement conçu par des banquiers et des prétendus producteurs qui utilisent l’argent donné par le CNC. Alors qu’il y a encore quelques années, le « bas » et le « haut » de la profession vivaient ensemble, c’était encore une famille.
C’est ce qui t’a permis de faire des films aussi divers ?
Oui, certains proches du public et d’autres plus éloignés de lui. Aujourd’hui, je suis un acteur qui n’appartient plus à aucune des « familles » du cinéma français. Parce qu’on dit que je suis un acteur mort, différent ou invivable. J’apprends ma mort tous les mois, mon nom est souligné en rouge par les producteurs. Je suis devenu un acteur en retrait des forces vives du cinéma. J’ai fait mon temps et je trouve ça normal. Je me fous d’être oublié. Mais j’aime renaître de temps en temps, dans des choses qui en valent la peine, comme le dernier film de Monteiro, Le Bassin de J. W. Ma rencontre avec Monteiro a été magnifique. Il a réussi à me convaincre de remplacer Léaud qui lui avait fait faux bond pour la seconde fois et d’apprendre un texte par coeur. Parce que j’en ai marre d’apprendre des textes, peut-être parce que j’ai 55 ans. Mais je vais continuer avec lui. Dans son prochain film, il va me faire revenir du pôle Nord. Je l’aime parce qu’il fait quelque chose de différent à chaque fois tout en faisant une oeuvre. Avec lui, c’est comme avec Buñuel : pas besoin de se parler pour se comprendre.
Quand as-tu décidé de devenir comédien ?
Très jeune. Parce que j’ai eu la chance d’avoir un éducateur qui nous faisait lire et enregistrer des poésies dans une école très dure, une ex-maison de correction pour enfants « difficiles », du genre de celle qu’on voit dans Les 400 coups, dirigés par des adultes très vaches, qui faisaient payer aux mômes leur rancoeur d’avoir perdu la guerre. C’est lui qui m’a donné accès aux mots et à la musique, à des tas de choses que je sentais bouger en moi. A 14 ans, j’ai passé mon certificat d’études et je leur ai dit que je voulais faire le Conservatoire. Ils m’ont répondu que ce n’était pas pour moi, que c’était pour la bourgeoisie. Quand je suis sorti de cette caserne, j’ai été télégraphiste pendant un an et demi. Quand j’ai compris que je n’allais pas me réaliser, j’ai glandé jusqu’à ce qu’un acteur m’emmène rue Saint-Benoît où des acteurs du cours Dullin montaient une pièce, une troupe avec Kalfon où tout le monde zozotait c’était la troupe des zozoteurs ! J’ai travaillé avec eux, je suis allé au cours Dullin, j’ai corrigé mes défauts. Puis j’ai travaillé pour l’unique chaîne de télévision, des émissions de Noël, des trucs comme ça. Tout est allé très vite parce que j’avais la passion. Mon premier grand film, c’était Adorable menteuse de Deville. Puis un grand rôle dans Chien de pique d’Allégret. A l’époque, j’étais le « blouson noir » de service du cinéma français. Après, il y a eu Visconti et Le Guépard.
Comment Visconti t’a-t-il découvert ?
Il cherchait un jeune comédien pour faire le fils de Burt Lancaster. Son représentant en France m’a repéré, lui a parlé de moi et me l’a présenté. J’avais les cheveux bleu-noir, très sicilien. Visconti me regarde et lui dit « Tu m’as amené un voyou alors que je veux un prince ! » Alors je me suis redressé et je lui ai dit de regarder mes mains. J’ai commencé à l’amuser et il a dit « Bon, il faudra le mettre en blond. » Ils m’ont décoloré et je suis peu à peu devenu le fils du prince Salina. L’école de la rue Blanche m’a donné un congé, je suis arrivé sur le tournage quand Visconti tournait les scènes de bataille du début : j’étais ébloui, c’était comme si je voyais du cinéma pour la première fois. Alain (Delon) a été magnifique avec moi, il m’a hébergé dans la maison qu’il avait louée pour lui et Romy Schneider. Il était très généreux et très concentré sur son travail. Six mois à l’hôtel, ça aurait été dur, on a eu des rapports de copains. Visconti était très protecteur avec nous, il nous recevait tous les soirs à sa table, on jouait au baccara, on vivait tout le temps dans l’ambiance du film.
Et Buñuel, comment t’a-t-il choisi pour Belle de jour ?
En se faisant projeter la dernière bobine de Brigade anti-gangs de Bernard Borderie. Il m’a dit (Clémenti imite Buñuel) : « Monsieur Clémenti, vous bougez comme un acteur mais dans le film je veux que vous soyez comme ça ! », très raide. Il m’a pris aussi à cause du look qu’on avait dans Les Idoles il avait vu le spectacle , un aspect très anglais, très dandy. On allait tous s’habiller aux Puces. Sur le plateau, l’ambiance était très bonne, tout le monde savait que c’était un film important. Je n’ai tourné que sept jours mais je crois que j’amusais Buñuel, il sentait quelque chose chez moi qui l’intéressait. Quand des mecs lui prenaient la tête, je le voyais fermer en douce son appareil de sourd, pour ne pas les entendre.
A un moment, tu as eu la possibilité de « faire carrière » et tu l’as refusée.
« Carrière », ça ne veut rien dire pour moi. Ou alors, il aurait fallu que j’entre dans l’administration. Ce n’est pas non plus une question de refus, c’est une question de savoir comment on va te manipuler pour que tu continues à faire des films qui marchent. Au début, les producteurs français ne voulaient pas de moi parce qu’ils me trouvaient inquiétant. Et les producteurs ne sont pas capables de t’imaginer dans autre chose que dans les films qui ont marché. Dans mon cas, c’était Benjamin ou les mémoires d’un puceau et Belle de jour… Après Les Idoles, Benjamin et Belle de jour, un drôle de brelan, tous les jeunes réalisateurs me prenaient comme pôle d’attraction. J’aurais donc pu devenir une locomotive pour les banquiers, comme l’est Depardieu aujourd’hui. Il doit assumer ça alors qu’il aimerait faire autre chose. Moi, je veux pouvoir marcher dans la rue et qu’on me foute la paix. Pour évoluer, un acteur doit vivre dans la rue, près des gens. Ce qui est beau, c’est la diversité, c’est pouvoir incarner la beauté comme la laideur, le Bien comme le Mal, et porter en soi tous les sentiments que tu vois tous les jours dans le métro. Mais on essaie toujours de te ramener dans le rang pour que tu aides à traire le public. Il faut toujours essayer d’être un arc-en-ciel plutôt que de se contenter de la même couleur. Quand les gens me disent que j’ai raté ma carrière, ils ne savent pas ce que je suis en train de faire. A Nice, je suis responsable d’une troupe, je ne veux pas la lâcher pour faire au cinéma des choses qui ne m’intéressent pas. Il faut savoir disparaître pour renaître ailleurs.
Qu’est-ce qui fédérait cette troupe autour de Marc O, avec des gens comme toi, Jean-Pierre Kalfon ou Bulle Ogier ?
Je revenais du Guépard. Et mon agent m’a dit d’aller rencontrer un type intéressant, qui montait une pièce au Centre américain du boulevard Raspail, Le Printemps. Et en voyant ces acteurs qui étaient entre le chant et le cri, c’était pour moi comme la foudre qui fait un tourbillon dans une pièce avant de repartir par la fenêtre. J’ai donc décidé de travailler avec eux et j’ai amené tous les gens que j’aimais, dont Kalfon. C’était une libération par rapport à notre formation d’acteurs à textes, presque livresques, où le corps n’existait pas, où tout restait intellectuel. On était considérés comme des marginaux mais des amis qui avaient réussi dans la mode ou les affaires nous aidaient, on n’avait donc pas besoin de demander de l’argent à la culture officielle, qui nous l’aurait de toute façon refusé. Peu à peu, notre travail a été reconnu, jusqu’à l’éclatement des Idoles. On a joué Les Idoles rue Saint-Benoît devant le tout-Paris des arts et des lettres. C’était en 67. Il se passait tellement rien que tout le monde attendait quelque chose qui était encore latent, c’était une forme d’âge d’or, c’était incontrôlable, même le pouvoir était dépassé par les événements. On a été des gens très gâtés, les producteurs nous attendaient, on aurait pu faire des carrières à la Julien Clerc. Mais on n’aurait pas pu contrôler notre réussite, on aurait été pris dans un engrenage de routine. Alors que pour qu’il y ait événement, il faut oser sans cesse. Il ne faut pas se laisser embarquer dans des choses où tu ne t’appartiens plus, il ne faut pas que ça compromette l’éclosion de ce que tu portes en toi. Il faut garder une position libertaire dans tes rapports avec les gens. Sinon, on tombe dans l’imposture et l’escroquerie.
Comment le spectacle est-il devenu un film ?
Marc O était entouré par toute une élite intellectuelle qui avait le bras très long. Il a donc trouvé un producteur et fait une adaptation cinématographique du spectacle. Mais le film a eu la malchance de sortir pendant Mai 68, à un moment où plus personne n’allait au cinéma. Le film a donc été très peu vu, Marc O l’a retiré de l’affiche, considérant que ce qui se passait était beaucoup plus important. Après, le film est resté dans les placards. C’était aussi une étude sociologique sur comment tu fabriques quelqu’un en prenant n’importe qui. Mais la pellicule a surtout enregistré l’atmosphère de l’époque, l’air du temps. Les deux autres grands films de cette période sont L’Amour fou de Rivette et La Maman et la Putain d’Eustache.
Que faisais-tu en 68 ?
J’étais à Rome. Je tournais Partner de Bertolucci. Quand ça a éclaté, il a arrêté le tournage et m’a envoyé faire un petit tour à Paris. J’ai trouvé cette attitude magnifique. Paris était alors une grande fête underground. Sur les barricades, les gens me disaient « Benjamin, mais qu’est-ce que tu fais ici ? C’est pas ta place ! » Pour eux, un puceau n’avait rien à faire là ! Je suis retourné à Rome en passant par la Belgique pour finir le film. Et 68 m’a rejoint à Rome, la contagion gagnait ! A mon retour, on m’a proposé Les Chemins de Katmandou de Cayatte, avec Gainsbourg qui faisait le rôle du dealer ! J’ai refusé. Comme j’ai refusé La Prisonnière de Clouzot. C’était des tentatives des gens les plus installés du métier, de tous ces metteurs en scène avec des mentalités de petits chefs, pour récupérer le mouvement. C’est alors que j’ai viré définitivement tous ces gens de ma tête. Parce qu’avec eux, être comédien devient un travail. Et moi, je n’aime pas travailler. J’aime les aventures.
C’est le moment où l’Italie t’a appelé ?
Oui, j’ai fait Porcherie avec Pasolini et Les Cannibales avec la Cavani. Et après, Le Lit de la vierge avec Garrel.
Ton personnage se met alors à changer, il devient plus mystique et moins adolescent, il y a une métamorphose qui s’opère…
Chaque personnage que tu incarnes laisse des traces en toi. Il y a une grande part d’alchimie dans la transformation d’un comédien. Il doit y avoir fusion pour devenir l’autre, ce qui entraîne une perte du soi et un dédoublement. Si tu n’es pas bien entouré, tu peux très bien finir à l’asile. C’est comme le vaudou : on t’envoie une transe, tu l’exorcises et tu redeviens toi. Mais c’était une période de retour à la beauté, de retour à la nudité aussi. Le Lit de la vierge, c’est un film où il y a eu des miracles : je suis tombé d’une falaise et je suis tombé au ralenti. Je jouais le Christ et il y a certaines choses auxquelles il ne faut pas toucher sans faire très attention. J’ai essayé d’être un Christ-graffiti, il ne fallait pas parler pour ne pas tuer le mystère. C’est une période où j’acceptais de faire des films seulement si je ne parlais pas dedans. J’ai aussi refusé le Satyricon de Fellini, parce qu’il me demandait de rester enfermé dans le studio pendant six mois, pour être à sa disposition. Avant de faire notre version d’Antigone avec la Cavani, j’ai disparu pendant un mois pour exorciser le Christ de Garrel. Pendant deux ans, j’ai participé à des films un peu prophétiques, comme La Pacifista de Jancso qui annonçait la guérilla urbaine et les Brigades Rouges. Comme Têtes coupées de Glauber Rocha annonçait la mort de Franco. C’était une époque de grandes passions mais aussi de grands gâchis. Parce que beaucoup de profiteurs ont foutu tout ça en l’air…
Comment as-tu rencontré Pasolini ?
A Rome, par l’intermédiaire de Marc O qui le connaissait un peu. Il préparait Théorème, avait déjà engagé Terence Stamp mais il a souhaité me rencontrer. On est allés le voir, il était avec sa bande dans une boîte de banlieue. C’était l’époque où dans les banlieues rouges italiennes, il fallait se faire couper les cheveux pour entrer dans les boîtes de nuit. Et il m’a pris pour son film suivant, Porcherie. Il m’a emmené sur l’Etna, il fallait faire une heure de voiture pour y arriver, je me sentais un peu perdu et je me réchauffais près des énormes trous du volcan. C’était un film dur mais on savait pourquoi on le faisait. Là, j’ai pris conscience de ce qu’arrive à faire un mec qui est animé par la passion. Après, il a été un peu victime de son obsession d’être populaire. Poussé par les producteurs italiens, il s’est mis à montrer des seins et des culs, à faire des films commerciaux. Et il m’a demandé « Pierre, ça t’ennuierait de tourner nu pour moi ? » Je n’avais pas envie de devenir un objet, de faire l’acteur érotique dans ses films, de trousser les bonnes soeurs. De toute façon, il avait sa troupe et avoir fait Porcherie me suffisait. J’étais déjà parti ailleurs.
C’est difficile d’évoquer ta période italienne sans parler de ton incarcération pour une affaire de drogue.
Mais ça, c’est normal. Tu ne peux pas participer à tout un mouvement intellectuel et populaire, tout en bénéficiant de l’ouverture sur les médias pour amener les gens à un présent politique, sans t’attendre à en payer le prix. En plus, nos films foutaient le bordel, on était tous très repérés. Et la CIA tenait à ce qu’il y ait le bordel en Italie pour empêcher les communistes de prendre le pouvoir. Moi, j’étais ce que j’étais, ni de droite ni de gauche, mais j’ai une bonne gauche et une bonne droite, comme un boxeur, je ne suis pas manchot. Ils ont donc saisi une opportunité pour me boucler un an et demi, pour me couper les ailes et faire un exemple. C’était les risques à courir, j’étais lié à pas mal de groupes politiques, pas la guérilla urbaine mais des groupes très en marge.
Comment ça s’est passé ?
J’étais avec mon fils chez une amie qui détenait des substances interdites. Je me préparais à repartir pour Paris pour y tourner L’Education sentimentale. La veille du départ, la police des finances a débarqué et nous a mis en taule.
Comment as-tu survécu à ça ?
Comme je n’étais pas allé à l’université, je me suis dit que la prison serait mon université une université underground ! En Italie, les droits communs et les politiques ne sont pas séparés, on laissait les criminels dans leur coin. J’étais évidemment lié avec les politiques, les anars, et puis la vie s’organise : ça dealait, ça se défonçait. Il y avait des moments durs parce qu’une prison, c’est comme un même cerveau : si l’un ne va pas, personne ne va. Mais il y avait des moments d’harmonie. J’écrivais beaucoup à mes amis, je méditais sur ce qui avait été fait. Comme j’avais beaucoup travaillé, ça m’a permis de m’arrêter et de faire le point, de comprendre tout ce qui m’était arrivé. J’avais été condamné à deux ans pour détention de stupéfiants. En appel, après un an et demi de prison, ils m’ont relâché pour manque de preuves. Quand je suis sorti de taule, je ne voulais plus retomber dans le système, je voulais faire autre chose. J’ai refusé Les Valseuses, des trucs comme ça. En le voyant, je me suis dit que j’avais bien fait !
Comment s’est passé ton retour à Paris ? C’est à ce moment que tu as décidé de faire tes propres films ?
Etre devant ou derrière la caméra, pour moi, c’est pareil. Quand je travaille avec un metteur en scène, j’essaie d’être en lui comme il est en moi. Dès que j’ai eu un peu d’argent, je me suis acheté une caméra et j’ai découvert que c’est un outil fabuleux. Je filmais beaucoup, je trimbalais tout le temps ma caméra avec moi. J’ai d’abord commencé à faire des projections pendant les concerts. C’était devenu ma passion comme aujourd’hui ma passion est de répéter ma prochaine pièce. Visa de censure est un délire psychédélique sur la période de l’acide ; New Old est un journal où je faisais intervenir pour la première fois la parole ; et A l’ombre de la canaille bleue est une fiction politique, où interviennent tous les visiteurs de la grande maison que j’avais à l’époque qui était comme un phare dans la nuit pour pas mal de toxicos , c’est assez hard. Je suis fier de présenter ces films à la Cinémathèque. J’ai arrêté parce que je travaille beaucoup moins comme acteur au cinéma, et le 16 mm coûte très cher. Je me suis alors remis à l’écriture. A une certaine période, ce sont les films qui m’ont amené les aventures ; après, c’est devenu seulement une préparation et un moyen pour achever mes propres films, et écrire deux pièces de théâtre.
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