Soleil Noir
L’acteur PIERRE CLEMENTI, idole absolue de la modernité 68,
était aussi cinéaste.
Une oeuvre entre journal et essai poétique.
LES FILMS Inquiétude minuscule, mais inquiétude
quand même, au moment de poser
dans le ventre de la machine les deux disques
qui encapsulent l’intégrale des films que Pierre
Clémenti réalisa, avec sa caméra 16 mm, entre
1968 et 1988. Vingt ans d’une activité de cinéaste
parallèle à ses fulgurances d’acteur.
Pour les avoirs vus il y a des années à la Cinémathèque,
on se souvenait de brûlots poétiques
trempés d’acide : des films de famille,
si on veut, mais d’une famille qui tenait
tellement de la crèche vivante
psychédélique (Margaret Clémenti
et leur fils Balthazar ; Viva, sa maîtresse
; Kalfon, Octavio, Tina Aumont,
les amis flamboyants) que ça en frôlait
parfois la science-fiction héroïque.
Des dégaines maigres, des yeux écarquillés
d’un bon centimètre de trop,
trahisons d’après-midi sous un soleil de synthèse,
des rondes de filles posant leur beauté
surnaturelle parmi des corbeilles de fleurs
blanches – et, rôdant autour de ce cercle
sourd, la clameur d’une révolution : Mai 68.
L’inquiétude, donc, est la même que lorsqu’il
s’agit d’écouter un disque d’Ash Ra Tempel ou
de Amon Duül II. Et si cette fois, ça ne passait
pas ? Mais ça passe, comme chaque fois.
Clémenti faisait du cinéma progressif. Du
temps (68-79) de Visa de censure n°X, de New
Old, de La révolution n’est qu’un début, continuons
le combat, Clémenti filmait tous les jours
une image de son extase à être. Un jour, l’extase
a fait place à la paranoïa, alors il a filmé la
paranoïa. L’odeur du poulet, des fascistes et
des prisons s’est substituée à la campagne élé-
giaque. La ville est désormais clandestine : cafés
interdits, filles de passe vendues de force,
menace permanente d’arrestation, errance.
Vêtu d’une longue veste de cuir, notre Bowie
corse arpente l’interlope. La peur n’a pourtant
rien changé à son regard. Son cinéma est fait
délibérément en dehors de la scène. Il a débarrassé
le récit de la séquence. Il ne s’agit
plus que de flashs d’écriture, de surimpressions
(comme quand tout se met à surgir trop
vite), des assauts d’images sur lesquelles
Clémenti, en Artaud sous LSD,
déclame des phrases revenues du bout
de la nuit : le poète comme aboutissement
de sa trajectoire d’acteur.
Son dernier film-prose, peut-être le
plus parfait, est un petit astre noir ramassant
images anciennes et inquiétudes
indéfectibles, il l’appellera Soleil.
Ce qui tombe sous le sens quand on a passé
tant d’heures sous les sunlights. A la toute fin
de ce film orphique qui dit le testament d’un
déjà-mort, il laisse échapper ce regret : j’aurais
voulu planer. Mais qu’est-ce que tu croyais
avoir fait d’autre, à respirer si fort ?
LES DVD Pas de bonus. Mais une belle introduction
à chaque film. L’objet est d’une belle
facture sombre. Sur l’un des battants, une photo
stupéfiante de Clémenti titubant aux côtés de
Bulle Ogier, dans Les Idoles. Qu’il y ait une hénaurme
coquille sur la quatrième de couverture
(à la place de Tarrel, il faut lire Garrel) n’a aucune
espèce d’importance.
PIERRE CLEMENTI CINEASTE – L’INTEGRALE
(Choses vues, 2 DVD, environ 30 €)
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