Pour pas vu pas pris, Pierre Carles revendique l’utilisation des méthodes d’investigation qu’il stigmatise chez les autres.
Vers le début de Pas vu pas pris, Patrick de Carolis, alors responsable de Zone interdite sur M6, se penche vers la caméra, le ton protecteur : « Je vais vous expliquer quelque chose… », mais s’abîme dans une minute d’hésitation, sans voix. A d’autres moments, Anne Sinclair lâche un lapsus magnifique sur vie privée et vie publique, François-Henri de Virieu jette un papier de rage dans la poubelle de son bureau, Guillaume Durand se vante d’avoir fait chanter l’hymne russe à Boris Eltsine… Scènes drôles, de personnalités bousculées par Carles, prises en flagrants délits de suffisance, d’hypocrisie (la constante référence aux demandes du « public ») ou de gêne, et un peu ridicules. L’auteur l’a bien compris, puisqu’il repasse le best-of de ces réactions dans le générique de fin du film, comme une sorte de bêtisier salutaire, sous les applaudissements des spectateurs.
Un sens du montage alerte, voire teigneux. Sauf que la plaisanterie n’est pas du goût de tous, surtout pas des journalistes ainsi filmés par Carles, à commencer par Daniel Schneidermann, lui aussi « piégé » (mais qui n’apparaît pas dans cette version du film) : « Il tire des conséquences du fait que les gens sont pris au dépourvu. Ils rougissent, ils bégaient, ils n’arrivent pas immédiatement à rassembler leurs idées : vous êtes pris en faute. Ça donne des images très fortes et jubilatoires, parce que voir Alain Duhamel ou Anne Sinclair s’énerver, c’est jubilatoire. » Au moment de l’interview, l’animateur d’Arrêt sur images n’a pas encore vu le montage final de Pas vu pas pris. Des extraits qu’il a visionnés auparavant, il dénonce « l’utilisation fallacieuse et l’interprétation abusive de l’image. Une image télé n’est pas une preuve. Elle montre mais ne démontre pas. » Pour Pierre Carles, le procédé est de bonne guerre, face au pouvoir dont disposent ces mêmes personnalités dans les médias : « Je ne les ai pas plus piégées qu’on piège les gens à la télé. Je n’agis ainsi qu’avec des personnes publiques. Là, je n’ai aucun scrupule. » En enregistrant ses conversations téléphoniques à l’insu de ses interlocuteurs, le journaliste se place dans la même optique : utiliser des moyens détournés pour révéler « on » ce qui est habituellement confiné à la sphère du « off ». Et va jusqu’à appliquer cette méthode à un autre chantre du tout dire à la télé, Karl Zéro, qui lâche un « Je suis vexé » très désabusé à Carles en apprenant le procédé.
« Il est pour une morale intégrale, sauf quand il piège les gens… », s’amuse Marco Lamensch, producteur de Strip-tease, qui décrit Pierre Carles comme un « chevalier blanc ». Un « chevalier blanc » qui ne serait pas, lui non plus, à l’abri d’un « chevalier noir » puisque son ex-collaborateur Hector Obalk s’est à son tour lancé dans la réalisation d’un film qui prétend démonter Pas vu pas pris : un contre-film du film du film en quelque sorte.
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