Une exposition à la Cinémathèque, constituée de pièces inédites, raconte Maurice Pialat, le cinéaste et l’homme.
N’importe quel bouquin de psychologie à deux euros vous le dira : « L’important, dans la vie, c’est d’être en accord avec soi-même. » Bien. Seulement, il est évidemment plus facile de s’aimer quand on est beau, riche et intelligent que quand on a une image de soi pas très reluisante. Comment être en accord avec un type qu’on ne trouve pas trop sympathique, dont la réussite professionnelle n’est pas patente et qui se plaint tout le temps ? Ce qu’on savait mais que l’on découvre enfin, preuves à l’appui, dans l’exposition que consacre la Cinémathèque française à Maurice Pialat – grâce au dépôt de ses tableaux et archives que vient de faire sa veuve, Sylvie Pialat -, c’est combien Maurice Pialat a eu plusieurs vies, a suivi plusieurs pistes, a ramé avant de trouver son cinéma, d’atteindre à l’essence de son art – si jamais il a eu le sentiment d’y être parvenu un jour, ce dont on peut douter. Que peut-être aussi il ne pouvait en être autrement, parce que son cinéma n’est pas aimable. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas l’aimer, c’est même tout le contraire.
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A la recherche de soi…
Né en 1925 dans une famille modeste où, sans le maltraiter, on ne doit sans doute pas lui renvoyer une image très valorisante (où on ne lui renvoie peut-être même aucune image, aucune attente), Pialat s’oriente d’abord vers la peinture sur le conseil d’un oncle ( » Il a la main », dit-il). De ces cinq années consacrées aux beaux-arts, dont on découvre aujourd’hui la majorité de la production, on ne retient pas grand-chose de palpable. Non qu’il soit mauvais peintre, Pialat, au contraire, mais on ne saisit rien de personnel, sinon parfois un tableau montrant une usine, des enfants, et puis surtout ces noirs profonds qui reviennent souvent, comme des signes de tristesse. Pialat abandonne la peinture (comme Gainsbourg à peu près à la même époque) : il ne s’est pas trouvé, et puis il a besoin d’argent pour vivre.
Il sera longtemps représentant, d’abord en produits pharmaceutiques, puis chez Olivetti. Mais il fait aussi beaucoup de théâtre (il croise Claude Régy), écrit beaucoup de pièces, de courts ou longs scénarios (près de cinquante dans les seules années 50 et 60 !), lui qui a toujours dit détester écrire. Tous refusés. Ce n’est toujours pas ça. Ses premiers films sont impersonnels (un burlesque amateur) ou étrangement ésotériques (Isabelle aux Dombes), et n’annoncent rien de son cinéma à venir. Vraiment rien, ou très très peu.
Quand change-t-il ? Quand accepte-t-il de laisser sa mélancolie, son ressentiment, sa frustration s’exprimer dans un art ? Difficile de le dire. Quand le contraire n’est plus possible ? Quand la soupape explose ? En tout cas, il rencontre Claude Berri, tombe amoureux de sa soeur Arlette Langmann. Il tourne un court, Janine (écrit par Berri), puis un autre, L’amour existe (1960). En 1962, il commence à chercher des producteurs pour L’Enfance nue, son premier long. Pathé le refuse. Il met cinq ans pour monter une coprod (Truffaut, Berri sont de la partie). Là, il a déjà 42 ans. C’est pas la joie, pas la gloire. À l’époque, Godard, qui a cinq ans de moins que lui, tourne parfois deux films par an depuis huit ans… L’Enfance nue est un film nu. C’est ça l’essentiel. Et qu’importe le succès public. Il a trouvé, ne parlons même pas de style, mais son cinéma, celui à son image (c’est un « auteur », écrit Truffaut au CNC dans une lettre exposée à La Cinémathèque).
Un cinéma sans héros, un cinéma de gens de peu, un cinéma qui n’aime pas les acteurs qui jouent, qui essaie au maximum de jouer sur la durée et le plan-séquence (quand ça ne marche pas, il n’hésite pas non plus à monter beaucoup), un cinéma pas marrant (ce qui ne veut pas dire qu’on n’y rit pas), où une mère meurt dans les pires souffrances (La Gueule ouverte), où l’on est cocu (Loulou), où on s’insulte parce qu’on ne sait pas s’exprimer (Nous ne vieillirons pas ensemble, À nos amours, Police, Le Garçu), où le sexe peut-être rigolo et triste à la fois (Van Gogh), où la guerre peut être un jeu d’enfants vu de l’arrière (la magnifique série La Maison des bois).
http://www.youtube.com/watch?v=z_gcsG4-5vw
http://www.youtube.com/watch?v=mgOYuOETJwI
Le cinéma de Pialat est un cinéma qui n’essaie pas de se pousser du col, de faire croire que tout va bien et que la vie est une tranche de poilade (mais on y vit parfois des moments de grâce, beaux parce qu’inattendus, dans un bus, quand on parle à sa fille – À nos amours, prix Louis-Delluc 1983). Pialat recherche la vérité des hommes, gomme au maximum les artifices, brusque ses acteurs (mais là, il faudrait aussi relativiser et rappeler que les métiers d’art et de cinéma sont des métiers durs – et puis demandez aux acteurs des frères Dardenne s’ils se bidonnent tout le temps pendant les tournages…), remue la merde, sa merde (dans la partie autobiographique de Loulou ou Nous ne vieillirons pas ensemble, Pialat ne s’épargne pas). Alors il faut voir tous ses films, des films rudes, oui. Mais, et c’est là qu’il est un grand cinéaste, dans ces films la nature et les hommes ne font plus qu’un – un univers très particulier, où l’on se surprend souvent à se sentir chez soi.
exposition Maurice Pialat, peintre et cinéaste, du 20 février au 7 juillet à La Cinémathèque française, Paris XIIe. Catalogue de l’exposition de Serge Toubiana, (Somogy, éditions d’art/La Cinémathèque française), 160 pages, 29 €, en librairie le 6 mars.
DVD Loulou, Van Gogh, À nos amours, Sous le soleil de Satan, Police et Nous ne vieillirons pas ensemble en Blu-Ray (Gaumont, environ 20 €)
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