Grâce à ce beau livre d’images, on s’aperçoit que la série B vaut bien plus que sa fétichisation cinéphilique. D’un bout à l’autre du spectre, des conditions de sa fabrication à sa tardive préhension critique en passant par son exploitation en salles et l’accueil du public, ce qu’on a appelé “la série B” n’est qu’exacerbation. […]
Grâce à ce beau livre d’images, on s’aperçoit que la série B vaut bien plus que sa fétichisation cinéphilique.
D’un bout à l’autre du spectre, des conditions de sa fabrication à sa tardive préhension critique en passant par son exploitation en salles et l’accueil du public, ce qu’on a appelé « la série B » n’est qu’exacerbation. Dans son introduction, Charles Tesson raconte comment le film B est né d’une réaction des studios face à la chute de la fréquentation. Pour le prix d’un film, le public était convié à en voir deux, d’abord le film B court et fauché puis la série A, le produit de prestige. Les foules s’entichèrent suffisamment de ce principe pour que la série B perdure jusqu’aux années 50, avant d’être victime de « la loi antitrust de 1948 qui oblige les majors à se défaire de leurs salles » et de « l’arrivée de la télévision ». Et Tesson de souligner le « total décalage« entre l’engouement de la critique française pour ces films et la fin de leur production industrielle.
Prise comme une somme de contraintes (faible budget, tournage rapide, absence de vedettes, script sommaire et fonctionnel), la série B permettait d’imposer encore davantage le primat de la pure mise en scène plutôt que d’analyser une thématique personnelle. Qu’ils filment un GI dans la jungle, une créature plus ou moins visqueuse, un couple de criminels en fuite ou un cowboy dans la vaste prairie, les cinéastes B laissaient percevoir leur style propre ou son absence à travers la seule mise en scène, unique élément à ne pas échapper tout à fait à leur contrôle. Si le doute n’est pas permis en ce qui concerne une poignée de cinéastes maintenant reconnus comme d’authentiques « auteurs », on se doute bien que la production prise dans son ensemble devait être moins resplendissante que sa mythification progressive. Pour se garder des excès de fétichisation de la jeune cinéphilie et des cinéastes qui en sont issus, il suffit de feuilleter ce livre qui porte bien son titre : la série B est très photogénique. Surtout quand elle tend vers l’abstrait en assumant pleinement ses limitations économiques. C’est que plutôt que de filmer des monstres grotesques ou des robots presque ménagers, ses grands spécialistes avaient l’intelligence de se contenter de les suggérer, créant ainsi un monde peuplé d’ombres inquiétantes. Ils apportaient de saisissantes solutions plastiques à leur manque de moyens. Loin de ses dépouilles et reliques pour collectionneurs nostalgiques, la série B a su fonder un monde sec et violent, sublimement parcellaire, privé de tout psychologisme et de ce sentimentalisme qui a fini par la rattraper. Les visages et les corps y sont toujours tendus, saisis entre la sous et la surexposition. Oublions le robot Gort et souvenons-nous des muscles bandés de Debra Paget dans The River’s edge. Il serait grand temps de fermer le cabinet des curiosités pour nous rappeler la leçon essentielle de la série B : l’acuité affamée de son regard.
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