On le connait évidemment chanteur mais Philippe Katerine est également un réjouissant acteur de cinéma. Sa présence dans deux films sortis cette semaine, Un beau soleil intérieur de Claire Denis et l’adaptation live de la BD du Petit Spirou, nous a forcément donné envie de creuser dans sa filmographie et de sélectionner nos partitions préférées.
Démesuré, loufoque, foldingue, insolent… Les adjectifs ne manquent pas pour décrire le personnage Katerine. Depuis ses débuts, le chanteur n’a cessé de muter : des sonorités yéyés de ses premiers albums aux sons plus éctro-disco de Magnum, jusqu’au Film, un piano voix minimaliste et intimiste.
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Au cours de ses nombreuses expérimentations, l’artiste touche à tout s’est construit un personnage goûtant lui aussi à différents styles passant aisément du costume de dandy chic au col roulé élastane. C’est ainsi que dans nombreux de ses clips, dont la majeure partie a été réalisée par son comparse Gaetan Chataigner, Katerine s’est follement amusé à se déguiser : en gourou nu sur une plage, en reine d’Angleterre grivoise, en capitaine de croisière, en bambin de trois ans gesticulant dans son body bleu ou encore en fée des bois.
C’est donc un peu sans surprise que dès les années 2000, Philippe Katerine exporte sa présence bizarroïde et poétique au cinéma. D’abord dans des courts métrages : le mystérieux et introuvable Une histoire de K de Nicolas Ruffault avec Anna Karina, muse et complice pour laquelle il compose en 1999 Une histoire d’amour, puis chez son ami Thierry Jousse dans Nom de code : Sacha. En 2003, il apparait même au casting de La vérité sur Charlie de Jonathan Demme, remake casse gueule du Charade de Stanley Donen, en fan d’Anna Karina (encore et toujours).
Si les premiers rôles sont encore rares c’est parce que Katerine traverse souvent les films furtivement dans une sorte de caméo exotique : chanteur de cabaret chez Gustave Kervern et Benoît Delépine (Louise-Michel), ingénieur du son dans Les Invisibles de Thierry Jousse, amant de passage dans Peindre ou faire l’amour de Jean-Marie et Arnaud Larrieu ou lui même dans Crazy Horse de Frédérick Wiseman.
C’est encore dans cette forme d’emploi secondaire qu’il apparait à deux reprises dans le nouveau film de Claire Denis. Il y incarne le voisin de quartier de Juliette Binoche, sorte de bourgeois à la voix perchée et à l’allure désuète. Une présence éphémère mais qui marque le film de son excentricité farfelue. Examinons donc si Katerine a toujours fait de ses personnages au cinéma les miroirs de lui même, à mi-chemin entre le garçon sage bien peigné et le moustachu lunaire.
1) Peindre ou faire l’amour d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu (2005)
La combinaison entre l’univers des frères Larrieu et celui de Katerine était assez évidente et dès leur second long métrage les frangins font naturellement appel au musicien pour signer la BO d’ Un homme un vrai. Deux ans plus tard, le trio collabore à nouveau sur Peindre ou faire l’amour mais cette fois ci Katerine y est à la fois compositeur et acteur. Dans cette utopie plongée en milieu rural, les frères Larrieu imaginent la relation amoureuse entre deux couples, celui composé de Madeleine (Sabime Azéma) et William (Daniel Auteil) et celui d’Adam (Sergi Lopez) et Eva (Amira Casar). Une relation qui décidera Madeleine et William, tout juste propriétaires, à vendre leur maison nichée dans les vallées du Vercors, pour rejoindre leurs amants sur des îles lointaines et vivre pleinement leurs amours partagées. C’est à la toute fin du film que Katerine fait son apparition. Loin des exubérances qu’on lui connait, le chanteur incarne Mathieu, un élégant bourgeois propre sur lui, qui, accompagné de sa femme, désire voir la maison. Mais ce qui devait être une simple visite immobilière se transformera en joyeuse partouze et on se dit que le chanteur, se mettant à nu en toute occasion, ne pouvait trouver meilleur endroit que le cinéma des Larrieu pour accompagner ses débuts d’acteur. Trois ans plus tard il revient chez Les Larrieu dans Le voyage aux Pyrénées, où cette fois-ci il se livre à une prestation des plus cocasses en moine hédoniste nu.
2) Peau de cochon de Philippe Katerine (2005)
En 2005, Philippe Katerine réalise son premier film sous forme d’autoportrait poétique. A l’aide d’une petite caméra DV, le chanteur glane ici là des bribes de son existence. A l’image, ses proches apparaissent : sa compagne de l’époque l’actrice Helena Noguerra, le vidéaste Gaetan Chataigner ou encore le critique et cinéaste Thierry Jousse, dont on ne sait jamais trop s’ils sont eux mêmes à l’écran ou s’ils jouent au jeu de Katerine. C’est dans une forme anarchique et ludique que s’enchainent ces bouts de vie. Souvent, Katerine marche seul, caméra en main. Il retourne par exemple dans sa ville natale et parcourt pour la millième fois les chemins empruntés quand il était enfant. Au cours de cette ballade, l’homme-caméra se souvient : de cette imposante maison qui l’impressionnait petit, de cette flaque de sang sur le trottoir, de ses chutes en vélo. Plus loin un passage entier est consacré à une petite fille (la sienne?) qui raconte face caméra avec beaucoup d’enthousiasme une histoire sans queue ni tête sur un mystérieux tour d’hélicoptère avant de conclure malicieusement « c’est quand même une bonne journée, à part trainer avec des idiots, c’était bien! » La réussite de Peau Cochon tient dans la manière dont Katerine transfigure cette confession intime en l’abordant non pas dans sa linéarité mais dans une forme abrupte, primitive, destructurée, où le regard joueur et joyeux de son auteur transforme la banalité du quotidien en un véritable terrain de jeu.
3) Gainsbourg (vie héroïque) de Joann Sfar (2010)
En 2010 Joann Sfar passe à la réalisation avec son fantasque Gainsbourg vie héroïque. Dans ce biopic, le bédéiste retrace, en entremêlant séquences de fiction et dessin animé, la vie intime du chanteur, allant de sa prime enfance de Lucien Ginsburg à son succès fulgurant. Durant cette trajectoire on y rencontre plusieurs figures indissociables de la vie du chanteur : Brigitte Bardot (Laetitia Casta), Jane Birkin (Lucy Gordon), Juliette Gréco (Anna Mouglalis) ou encore France Gall (Sara Forestier). Parmi eux, se trouve un certain Boris Vian, incarné par Philippe Katerine. Lors d’une séquence musicale, Sfar imagine un duo alcoolisé entre les deux dandys entonnant au piano leurs chansons respectives. La grâce de Katerine est ici de donner une voix nouvelle à Vian, la sienne, plus aiguë et nasillarde, sans se soucier d’une quelconque vraisemblance avec le modèle.
4) Je suis un no man’s Land de Thierry Jousse (2011)
Depuis son passage à la réalisation, le critique et ancien rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma Thierry Jousse a fait de Philippe Katerine son acteur fétiche. On le retrouve dès son court métrage, Nom de code : Sacha, dans lequel il incarne un chanteur du même nom, tombant sous le charme d’une streap-teaseuse. En 2003, il converse avec la comédienne Julia Faure dans Julia et les hommes, toujours dans son propre rôle. Il faudra attendre 2011 pour que Jousse offre le premier rôle de son second long métrage au chanteur.
Dans Je suis un no man’s Land, Katerine incarne (encore) Philippe un chanteur à succès. Un soir, après qu’une fan nympho (Judith Chelma on fire) ne se jette sur lui, Philippe fuit. Il parcourt une sombre forêt qui semble sans fin et finit par se retrouver comme par magie dans la maison de son enfance face à ses deux parents (Aurore Clément et Jackie Berroyer). Après cette escapade nocturne, Philippe, comme envouté par un sortilège maléfique, ne parviendra plus à quitter le petit village. Dès les premières minutes du film, tout porte à croire que nous sommes face au véritable Katerine : même look excentrique, même métier, même nom. Mais Jousse connait personnellement le chanteur, ils sont amis proches et ce détail n’a rien d’anodin quand on observe la manière dont le cinéaste filme son acteur en repoussant d’emblée l’image caricaturale (d’ailleurs Katerine ne chante à aucun moment dans le film) qu’on peut lui prêter. Je suis un no man’s land ne répond en rien au programme film-ovnis qu’on pouvait suspecter mais s’offre comme une fable mélancolique et fantaisiste sur le devenir adulte. Rarement on aura vu Katerine livrer une performance si apaisée et minimaliste, sa plus belle à ce jour.
5) Magnum de Gaëtan Chataigner et Philippe Katerine (2014)
En avril 2014, Philippe Katerine sort Magnum, un album aux airs disco qu’il réalise avec le musicien SebAstien. En complément visuel de celui-ci, Katerine et Gaëtan Chataigner (collaborateur assidu à qui l’on doit notamment le clip La banane) réalisent un film sous forme de trip hallucinatoire du même nom que l’album, enchaînant les douze titres qui le composent. Le résultat donne un film de près d’une heure et demi dans lequel Katerine, présent à chaque plan, erre à moitié nu, quoi que légèrement couvert d’un fin peignoir de soi (puis vêtu d’un costume de capitaine lui donnant des airs de dictateur façon Sacha Baron Cohen) sur une plage déserte. Ivre de champagne et de glace Magnum, le chanteur traverse des paysages animés et totalement psychédéliques qui le projettent par on ne sait quel tour de magie spatio-temporelle dans les rues de Paris. Là au milieu des passants l’air hagard, le capitaine recouvert de feuillage flâne du métro au rue, avant de se payer un improbable show façon Cloclo et ses Claudettes (en flic) sur l’esplanade du Trocadéro. Classe.
6) Gaz de France de Benoit Forgeard (2016)
« Dans un futur proche, la France élit pour président Jean-Yves Gambier alias « Bird »
Quelques mois plus tard, il sombre dans une impopularité record. » annonce le carton d’ouverture de Gaz de France.
Dans la séquence suivante, un montage sonore dévoile les échos médiatiques autour de ce mystérieux président au nom d’oiseau. « Bird c’est un nom sérieux pour un président de la République ? » lance un journaliste tandis qu’un second questionne « Et l’économie vous vous y connaissez? » Dans cette satire futuriste, Benoit Forgerard confie à Philippe Katerine le rôle de ce président inapte et enchanteur (il déclame ses discours en musique) en pleine chute dans les sondages car jugé trop utopiste. Au début du film, Bird est invité à participer à une émission de télé afin de répondre aux interrogations d’un public exclusivement féminin. Mais ce qui devait être une opération comm millimétrée se solde par un fiasco total. Avec Gaz de France, Benoit Forgerard épingle les travers d’un monde politique composé de communicants à côté de la plaque, habitants un palais de l’Elysée plus caverne d’acier que palais doré. Si le film patauge un peu sur la durée, Forgerard ne pouvait trouver meilleur interprète que Katerine qui a fait de l’amateurisme proclamé sa ligne de conduite pour incarner un président tout aussi rêveur et anarchique («je décide de déclarer la guerre aux banques. Ce n’est pas sans conséquence, je ne suis pas fou! » clamera-t-il lors de sa dernière allocution)
7) La tour 2 contrôle Infernale d’Eric Judor (2016)
En 2016, quinze après la sortie en salle de La tour Montparnasse Infernale, Eric Judor et Ramzy Bedia redonnent vie à leur duo de parfait anti-héros dégénérés dans un prequel. Dans les années 80, deux brillants pilotes de l’armée de l’air française (Judor et Ramzy donc – avant qu’ils ne se trouvent convertis en laveurs de carreaux de la tour parisienne) se retrouvent accidentellement privés de leurs compétences intellectuelles à cause d’une fâcheuse erreur commise au court d’un test de centrifugeuse. Les deux nigauds, contraints de renoncer à leur rêve d’aviation, se retrouvent alors bagagistes à Orly. Mais un soir l’aéroport est pris d’assaut par un groupuscule terroriste : les bien nommées Moustachious, sorte de variation poilue des Anonymous. Philippe Katerine y incarne le grand méchant et leadeur du groupe, le terrible colonel Janouniou. Pull-over ultra moulant, petite moustache suintante, Katerine régénère son personnage de colonel de croisière esquissé dans Magnum, en plus tyrannique.
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