Alors que sort Un été brûlant, son nouveau film avec Monica Bellucci, Philippe Garrel évoque Godard, Nico, Jean Seberg, Louis le fils, Maurice le père, le rock, la vie et le cinéma.
Dans Un été brulant, après une arrestation musclée de présumés sans-papiers, le personnage de Paul dit : » Quelle merde, ce Sarko ! » On n’était pas habitué à ce que votre cinéma interpelle de façon aussi directe la situation politique contemporaine…
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Ma femme, qui est plus jeune que moi, m’a appris que maintenant on peut être frontal. Les choses sont trop graves, il n’y a pas de temps à perdre ; on ne peut plus faire de détours. Là, je me base sur un rêve que j’ai fait. Mais pour revenir à la réalité, il y a quelques années, à Rome, j’avais assisté à une discussion publique entre Cohn-Bendit et un dissident de l’Est. Il disait qu’il fallait arrêter avec le communisme parce que ça a foiré à chaque fois qu’on l’a mis en pratique. Il doit avoir raison. Mais si on enlève l’ancre que représente le marxisme, le bateau dérive. Pour moi, l’ancre, c’est Le Capital de Marx. La nécessité écologique seule ne peut constituer une ancre. Mais je pense évidemment par ailleurs que sortir du nucléaire est une priorité absolue. Le nucléaire en France, c’est un peu comme la Mafia en Italie, c’est une vraie plaie, et si on continue on risque un accident nucléaire majeur.
Je me souviens qu’un jour, dans un hôtel, je suis tombé à la télévision sur la retransmission d’un congrès écologiste qui avait lieu au nord de l’Europe, dans un hall immense. Etait présente l’intelligentsia écologique mondiale. C’était vraiment exaltant de voir tous ces gens réunis pour améliorer le monde, ça donnait un sentiment de grandeur. Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui, en France, aux endroits de pouvoir, on se farcit des gens qui nous foutent la tête dans le sable qu’il faut cesser de croire que le courage et l’intelligence sont là, parmi nous.
Dans Un été brûlant, l’amitié masculine est mise plus en avant que d’habitude. Le couple est presque décentré. Vous revenez un peu à La Naissance de l’amour.
Possible. Je ne me rends pas compte. C’est vrai que La Naissance de l’amour est important pour moi. Un acteur, on le choisit souvent pour ses anciens rôles. Quand j’ai choisi Lou Castel et Jean-Pierre Léaud, je me disais que ce serait comme si le type des Poings dans les poches était devenu l’ami de celui des 400 Coups. J’aimais bien aussi que ces deux personnages soient un peu des losers. Les histoires de losers, c’est souvent plus intéressant que les histoires de gagnants, plus émouvant. Ce qui est beau au cinéma, c’est toujours le rapport entre l’acteur et ce que tu lui demandes de jouer. J’avais eu l’idée d’un film où Pierre Clémenti était mendiant. Catherine Deneuve marchait dans le métro et tombait sur lui. Ce qui me touchait, c’était la reformation du couple de Belle de jour, mais l’un était un ange déchu devenu SDF. J’imaginais Deneuve un peu comme Ingrid Bergman chez Rossellini.
Rossellini, c’est un de vos cinéastes de chevet ?
C’est magnifique, Rossellini. Godard et Truffaut ont eu raison de le porter aux nues. C’est vraiment la Nouvelle Vague qui en a fait un cinéaste au-dessus de tout.
Vous citez constamment Godard. Parmi les cinéastes de la Nouvelle Vague, Rivette et Rohmer ont-ils compté pour vous ?
Ne touchez pas la hache, je trouve ça génial. C’est un des plus grands films français. Mais j’aime aussi beaucoup des films anciens de Rivette, il compte énormément pour moi. J’aime beaucoup son trajet, il n’a jamais voulu être riche, a tracé un chemin de façon très intègre. Jeanne la Pucelle, c’est fantastique. Il a fait huit heures de film avec le même budget qu’un film de deux heures et c’est splendide. De Rohmer, j’adore L’Anglaise et le Duc. Je l’ai vu après le tournage de Sauvage innocence, et comme ça m’arrive toujours je tombe sur un film que je trouve bien meilleur que celui que je viens de faire. Cette année-là, c’était L’Anglaise et le Duc..
Avez-vous vu Avatar ?
Non, je n’y suis pas allé.
Le spectaculaire hollywoodien, vous ne le suivez pas de très près ?
Non, je n’y vais pas à chaque fois. Je ne vois pas beaucoup de films américains par rapport aux gens qui vont au cinéma. Je connais beaucoup mieux le cinéma européen. Je ne sais pas pourquoi le cinéma américain ne me fascine pas plus que ça. C’est comme pour le rock : pourquoi certains amateurs préfèrent le rock anglais à l’américain. Au fond, c’est inexplicable.
Vous préférez le rock anglais ?
Non, Bob Dylan, c’est génial. C’est le plus grand génie du rock. Même si j’aime beaucoup John Lennon. Aujourd’hui, je préfère Bob Dylan au Velvet, que je n’écoute plus beaucoup. Ce que raconte Dylan, c’est d’une force politique, d’un souffle inouïs.
Vous écoutez qui aujourd’hui ?
J’ai beaucoup aimé les Libertines. Ce sont de bons musiciens, leurs disques sont aussi bien que le rock des années 60. J’aime aussi ce que Doherty et Carl Barât ont fait en solo. D’ailleurs, j’ai mis un morceau de Barât dans Un été brûlant. C’est fou comme les mythes du rock sont toujours les martyrs d’aujourd’hui. Comme les premiers chrétiens. J’ai été touché par la mort d’Amy Winehouse. Pas besoin d’être situationniste pour voir que le bonheur, elle ne l’a jamais vu nulle part, qu’elle a été brûlée par ses adorateurs, par la fascination qu’elle produisait. Elle chante très bien parce qu’elle souffre, elle s’empoisonne à l’héroïne parce qu’elle souffre et elle devient la proie de tout ceux qui veulent se faire un nom sur sa célébrité, les paparazzis, les flics… Mais le cinéma a eu aussi ses martyrs, comme Pasolini, qui a été harcelé, était toujours en procès, condamné par le Vatican. Ou encore Tarkovski, qui n’arrivait jamais à tourner et qui a passé sa vie à ne faire que cinq ou six films… C’était un génie, Tarkovski.
Et Jean Seberg a-t-elle été une martyre ?
Euh… (silence) A la fin de sa vie, oui. Elle a subi quatre séances d’électrochocs, Jean. C’est quatre jours en camp de concentration, quatre électrochocs. En sortant de l’HP, c’est possible qu’elle ait pensé que si une partie de l’espèce humaine fait ça à une autre partie de l’espèce humaine, eh bien c’est plus possible, plus la peine de continuer. Ça a peut-être été déterminant dans le fait qu’elle se flingue. Les électrochocs existent toujours et le taux de suicide ensuite est hallucinant. Des psychiatres disent encore que c’est la méthode de la dernière chance. Pourtant, Freud, dans son journal, écrivait déjà que c’était un truc de charlatan, qu’on ne pouvait pas soigner une névrose avec ça, pas plus qu’on ne pouvait prédire l’avenir dans les rêves. Et Freud en savait quand même quelque chose sur les rêves (rires). C’était il y a plus de cent ans mais ça n’a pas disparu. Pierre (Clémenti) a subi des électrochocs. Moi aussi. Mais pour revenir à Jean, on peut dire qu’entre 1975 et 1979, elle a vécu en martyre.
Pouvez-vous nous parler des Hautes Solitudes, votre film avec Jean Seberg ?
L’idée, c’était de faire des chutes d’un film qui n’existerait pas avec une star, Jean Seberg. Parce que je m’étais dit que si, par exemple, on montait des chutes d’un film avec Elizabeth Taylor, ce serait plus beau que la plupart des autres films. Alors, j’ai conçu Les Hautes Solitudes comme des chutes, quelque chose de très brut sur son visage. Son impresario, son entourage pensaient que je lui faisais faire n’importe quoi. J’arrivais tous les jours dans son appartement avec ma caméra et je la filmais sur le balcon, près de la fenêtre, pendant des heures, sans rôle, sans scénario. Personne ne pensait que c’était un vrai film mais elle était très indépendante et elle s’en foutait.
Je considère que Les Hautes Solitudes est autant un film de Seberg que de moi. Et je pense que si on voit le film aujourd’hui, il tient. Autant que des films que j’ai faits plus tard avec plus de moyens. D’ailleurs, à l’époque, il avait déjà trouvé un public. C’est quand même un film muet, en noir et blanc, d’une heure vingt, et il est resté un mois dans un cinéma du Marais avec une salle remplie tous les soirs. Il faut dire que Jean Seberg a été vraiment une des plus grandes actrices du monde.
Quand vous repensez à Jean Seberg, Pierre Clémenti, Jean Eustache, vous sentez-vous comme un survivant et savez-vous ce qui vous a fait tenir ?
Mes trois enfants m’ont sûrement protégé. Même si Jean (Eustache), être père ne l’a pas empêché de se tuer.
Philippe Azoury et Jean-Marc Lalanne
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