Nouvelle fable de l’auteur visionnaire de « Sixième Sens » et du « Village », liant angoisses d’apocalypse et tourments écologiques.
Il semblerait qu’il y ait désormais dans l’œuvre de M. Night Shyamalan un avant et un après La Jeune Fille de l’eau. L’énorme échec de sa curieuse histoire de nymphe des motels a manifestement conduit le cinéaste à baisser un peu le ton en termes de prise de risques, de triple fond humoristique et de majesté formelle. Phénomènes, son nouveau film, adopte un style plus direct d’action-movie très découpé, loin de la lenteur et du raffinement plastique de son Village sous influence Septième Sceau.
Cette relative adoption des standards hollywoodiens n’endommage de toute façon pas ce que la patte de Shyamalan a de profondément singulier, et qui ne tient ni aux twists scénaristiques (auxquels on a trop vite fait de l’identifier après Sixième Sens) ni au pompiérisme de ses derniers films. La force de Shy tient plutôt à la puissance de ses visions, sa façon de ramasser en une seule image une certaine perception empathique de la condition humaine et sa consubstantielle fragilité : c’étaient hier ces plans bouleversants d’enfant blafard terrorisé (Sixième Sens), aujourd’hui ces plans de foule subitement en arrêt, cessant toute activité pour s’emparer du premier instrument venu pour se suicider.
Avec ces grappes d’individus soudainement aphasiques, gelés sur place, Shyamalan s’empare et relit la figure romerienne du zombie. Chez Romero, le zombie était le déchet d’une société malade, qui n’était plus mû que par une seule pulsion : se nourrir. Ce personnage moderne, privé – pour utiliser le bréviaire deleuzien – de tout principe sensori-moteur, sinon en de brèves fulgurances au contact de chair fraîche, Shyamalan l’affaiblit encore. Son seul moteur désormais est de trouver l’immédiate solution pour se détruire.
De ce stade absolument terminal de la civilisation, MNS tire des séquences éblouissantes : c’est cet homme qui s’assoit brutalement et gratte le sol pour ramasser quelques éclats de verre et se trancher les veines, ou encore cet autre qui s’étend sous un tracteur-tondeuse pour qu’il le pulvérise, cette jeune fille qui défait son chignon en ôtant une grande aiguille qu’elle s’enfonce profondément dans le cou. Ou encore, le temps d’un des rares plans-séquences du film, ce ballet de cadavres qui chutent sur la chaussée et d’un revolver qu’on ramasse – et qui retombe avec le corps qui l’a ramassé.
Le scénario a l’habileté de révéler très vite l’explication de ce mystère, qui n’est autre qu’une grande conspiration de la nature pour préserver sa survie contre la dégradation que lui imposent les hommes. Désignée très tôt par le récit, la nature s’avère être un excellent méchant de cinéma. Parce que désormais la menace gît dans chaque décor. Tous les milieux que traversent les personnages – une innocente clairière, un anodin sous-bois, des décors aussi familiers du cinéma américain que les grands champs de maïs ou les sentiers de Central Park – deviennent tout à coup des menaces en puissance. Et ce détournement du familier en puissance horrifique est un des plus astucieux opérés depuis les moineaux tueurs d’Hitchcock. Cette réduction du mal à quelque chose de presque invisible, parce que parmi nous depuis toujours, culmine dans les très belles scènes où les personnages tentent de courir plus vite que le vent, portant avec lui les germes de mort sécrétés par les plantes. Shy réussit la gageure de terroriser avec rien de plus qu’une légère brise qui fait onduler feuillages et arbustes.
Même dans un canevas plus standard, Shyamalan réussit donc des moments de cinéma éblouissants. Quelque chose dérange pourtant, comme souvent dans ses films, dès qu’on examine les arrière-plans thématiques de son récit. Etait-il par exemple absolument nécessaire de doubler la piste de révolte écologique d’une histoire de bébé que ne veulent pas avoir les deux personnages principaux ? Est-ce aussi de cette remise en question du devoir de procréation que sont punis les protagonistes (la grande réconciliation avec la nature comprenant à la fin la naissance de l’enfant) ? On préfère négliger ces sermons normatifs et retenir du film le romantisme violent avec lequel il accompagne quelques moutons humains déphasés dans leur décision ultime.