Du grand continent englouti qu’est la série B sont exhumés ces jours-ci quelques beaux objets perdus. Série B, contrée fantôme : une identité flottante (prétexte à polémiques) pour des films invisibles (matière à rêverie). Tous ces objets perdus, jamais sortis, ou à la sauvette, ou en Belgique. Tant d’heures passées à fantasmer sur des photos, […]
Du grand continent englouti qu’est la série B sont exhumés ces jours-ci quelques beaux objets perdus.
Série B, contrée fantôme : une identité flottante (prétexte à polémiques) pour des films invisibles (matière à rêverie). Tous ces objets perdus, jamais sortis, ou à la sauvette, ou en Belgique. Tant d’heures passées à fantasmer sur des photos, ou de simples titres. Qui était la dame fantôme, devenue en français, à l’époque, Les Mains qui tuent ? Pourquoi les films intitulés The River’s edge ne sortent-ils jamais ici ?
De fait, le film de Dwan demeurera une surprise jusqu’au bout, y compris pour nous, pour cause de projection tardive. On sait seulement qu’il relève de la série B au sens non économique (complément de programme pour double séance) mais esthétique (retravail du genre dans le cadre de strictes contraintes de production) et qu’il appartient à cette fascinante période du déclin des studios, dont l’esthétique tardive oscillait entre classicisme épuré et arabesques maniéristes, dépouillement et surenchère (ici, la couleur et le Scope). Quant à Dwan, c’est le continent englouti du cinéma américain : exact contemporain de Griffith, un demi-siècle à Hollywood, quatre cents films au bas mot. La redécouverte s’amorcera donc par son chant du cygne, ce corpus réalisé sous l’égide du producteur Benedict Bogeaus et qui fascina tant les cinéphiles français de l’époque, lesquels y voyaient l’équivalent du tandem Tourneur/Lewton. L’éblouissement sera-t-il à la hauteur de la curiosité ? On tremble d’impatience et d’appréhension, car la fascination qu’exerça par exemple Deux rouquines dans la bagarre, des mêmes, nous laisse quelque peu perplexe.
Quant à Phantom lady, c’est un film exemplaire du cas Siodmak : l’oeuvre d’un petit maître à l’inspiration sporadique, inventeur de séquences fulgurantes mais souvent étrangement incapable de tenir le rythme. Inégalité de facture sensible ici, mais finalement moins gênante que dans ses films de prestige, poussifs et empesés, tel le « classique » Les Tueurs. Le paradoxe, c’est que le film noir, qui offrait à Siodmak le terrain idéal pour ses penchants expressionnistes, lui réussit moins que ses drames réalistes allemands, ses films « criminels » français d’avant-guerre ou ses polars d’atmosphère « à l’anglaise ». Phantom lady a du mal à rester à la hauteur de son postulat : l’absence d’une femme, témoin à décharge peut-être rêvé tant il est introuvable. En quête de cette disparue, une autre femme, terriblement présente mais muette et spectrale, amoureuse et hantée. Elle est notre guide pour un trop bref vertige : le regard fixe d’Ella Raines devant un bar ; une filature nocturne où se brouillent les rôles, où chaque ombre peut être péril ou victime ; et le numéro de l’immense Elisha Cook Jr en batteur halluciné. Hors de toute intrigue, ce film dans le film justifie alors tous nos fétichismes.
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