Composé de six films d’auteurs venus de la BD ou de l’illustration, « Peur(s) du noir » est un ovni du cinéma d’animation, qui balade son spectateur dans une multiplicité de frayeurs.
L’histoire de Peur(s) du noir pourrait être résumée par ceci : six auteurs en quête d’un film. Six auteurs qui sont tous dessinateurs et que l’on n’attendait pas au cinéma et surtout pas ensemble. Car les Américains Charles Burns et Richard McGuire, les Français Blutch, Marie Caillou, Pierre Di Sciullo et le Franco-Italien Lorenzo Mattotti possèdent chacun un univers très particulier.
Pour autant, Blutch explique bien que le passage vers la pellicule était plus que tentant : “Peur(s) du noir est un film d’auteurs mais en même temps un film de producteurs – Valérie Schermann et Christophe Jankovic, tous deux agents d’illustrateurs et producteurs l’an dernier du film d’animation U. Ce sont eux qui nous ont proposé de faire une histoire autour du thème de la peur… Mon cadre habituel d’auteur de bande dessinée, c’est la solitude et c’est un peu desséchant, quand même. A l’instinct, je me suis dit que ce serait bien de sortir de ma chambre, de mon bureau, pour me mêler au monde. J’avais envie d’aérer, d’ouvrir les fenêtres.” Ce sentiment fait écho à celui de Charles Burns, qui a passé les trois dernières années entre Philadelphie où il réside et Paris où le film a été produit : “Je me suis mis au film après avoir terminé ma bande dessinée Black Hole, sur laquelle j’ai travaillé pendant près de dix ans. Je l’avais écrite et dessinée dans un isolement incroyable, et faire le film était l’occasion de tenter quelque chose hors de ce cadre, de sortir de mon confort habituel.”
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Tout au long de sa production qui aura duré de 2004 à 2007 (plus longtemps par exemple que le Persepolis de Marjane Satrapi), le film a suscité beaucoup d’interrogations, notamment au vu de la pluralité de ses metteurs en scène : comment trouver une cohérence dans un ensemble composé de visions d’auteurs toutes aussi fortes les unes que les autres et souvent assez antinomiques ? Comment réussir à trouver la fluidité entre le trait clair de Charles Burns et celui, très touffu, de Blutch ?
Il y avait bien sûr le thème imposé dès le début par les producteurs. Blutch : “Ils nous ont demandé de faire un film de genre, un film d’horreur, d’y aller à fond dans l’exercice – un peu comme dans un film classique de la Hammer.” Et il y a eu l’intervention d’un directeur artistique, Etienne Robial (fondateur de la maison d’éditions Futuropolis dans les années 70 et concepteur de l’habillage de chaînes télé comme Canal+), qui a tenté d’apporter une fluidité à l’ensemble, notamment en découpant certains films (celui de Blutch, de Marie Caillou, de Pierre Di Sciullo) en séquences intercalées entre les films de Burns, Mattotti et McGuire, qui forment, eux, des blocs entiers.
Au final, la tentation est forte de voir Peur(s) du noir comme une compilation frustrante de courts métrages. La première fois que l’on visionne le film, on est d’ailleurs tout de suite hanté par l’envie d’en voir davantage, et que certains épisodes soient bien plus longs. Notamment le film de Lorenzo Mattotti, très beau et assez hypnotique, provoque vite cette réaction d’en vouloir plus encore, de laisser l’histoire se développer sur un temps plus long.
Mais, sans doute, Peur(s) du noir fonctionne-t-il bien sur cette idée implicite qu’il faut jouer avec les frustrations du spectateur, ne jamais le laisser s’installer dans une histoire pour vite l’emmener d’une angoisse à l’autre, comme dans une course-poursuite à travers un labyrinthe de frayeurs le plus souvent enfantines. Regarder Peur(s) du noir, c’est être renvoyé à une vieille angoisse éternelle : celle de se retrouver enfermé dans sa chambre, dans l’obscurité, sans pouvoir bouger, prisonnier de l’inconnu. Ce sentiment-là traverse implicitement chaque séquence, comme un écho qui souderait, invisible, tout le film. En ce sens, la séquence de Richard McGuire, la plus belle et étonnante de tout le film, clôt symboliquement l’ensemble en montrant un personnage prisonnier d’une maison vide et sans lumière. Richard McGuire y joue avec le noir de l’écran et de la salle, ne laissant filtrer que quelques rayons de soleil qui sont autant de lignes de fuite inaccessibles. Et l’on se demande alors qui est prisonnier : le personnage dans la maison ou le spectateur dans la salle ? L’un et l’autre, après tout, sont dans le noir total : on leur refuse toute lumière et l’obscurité nourrit leur peur. Rien que pour cela, il faut absolument voir ce film dans une salle de cinéma. Sur un écran de télévision, dans son salon, on peut rallumer la lumière à sa guise et ce serait tout rater du film.
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