« J’allais oublier… « , disait-il avant de prendre faussement congé d’un assassin suspecté (de télévision), pour mieux revenir le cuisiner sur un détail. On n’oubliera pas de sitôt Peter Falk, l’interprète du Lieutenant (et non inspecteur) Columbo, décédé jeudi dernier dans sa maison de Beverly Hills. Diagnostiqué de la maladie d’Alzheimer en 2008, il avait 83 ans.
Un imper crasseux, un cigare mâchouillé, un basset, une Peugeot 403 déglinguée, une épouse invisible et surtout, toute une panoplie d’attitudes de petit flic faussement naïf, ont imposé l’acteur dans la mémoire télévisuelle dès sa première apparition dans un téléfilm en 1968.
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Contrairement à Columbo l’italo-américain typique, Falk était juif, de père polonais et de mère russe, et né à New York. Il était alors loin d’être un débutant : il avait roulé sa bosse au théâtre et au cinéma, récoltant même deux nominations pour l’Oscar du Meilleur Second Rôle dans Crime, Société Anonyme (1960) et le dernier film de Frank Capra, Milliardaire pour un jour (1961, aux côtés de James Cagney).
Deux rôles aux antipodes, preuve de versatilité : dangereux gangster dans le premier film, faire-valoir comique dans le second. Un imprésario lui avait pourtant affirmé à l’époque qu’il ne travaillerait pas beaucoup au cinéma, à cause d’un détail trop voyant selon lui : son œil de verre (son œil droit dût être retiré dans sa petite enfance, suite à une tumeur). La clé, précisément, de son regard si particulier, mi-torve, mi-Droopy, comme s’il regardait à côté de vous, ou à côté d’une enquête.
Cette « faiblesse » retournée en force fera tout le sel des épisodes de Columbo jusqu’en 2003 : le flic sous-payé, sous-estimé par l’assassin, trop sûr de lui. Le fait que le meurtrier y soit systématiquement un notable aisé donne à la série un petit air chabrolien. De revanche tranquille des classes populaires.
L’originalité de la série tenait aussi à sa structure : l’assassin est connu du spectateur dès le début. Ce qui s’ensuit est l’affrontement intellectuel entre lui (ou elle) et le policier, à l’affut du moindre indice. Falk excellait dans ce jeu du chat et de la souris, entre comique et cérébral, avec ses questions faussement innocentes pour mieux malmener l’alibi du suspect.
Teintée d’un vernis prolo, la minutie « sherlockholmesienne » du limier fripé y devenait un professionnalisme d’ouvrier spécialisé. Falk aura ainsi arrêté, entre autres, Patrick McGoohan, William Shatner, Janet Leigh, Johnny Cash, ou même son bon copain John Cassavetes. Avec Columbo comme rente télé et seul format à faire de lui une star, Falk fit des apparitions sporadiques au cinéma.
Ses rôles les plus complexes sont ceux chez Cassavetes : en midlife crisis alcoolisée et roue libre dans Husbands (1970), et surtout, en mari dépassé par la folie de son épouse (Gena Rowlands) dans Une Femme sous Influence (1974). Soudain, son gimmick très « columbien » – poser sa main sur son front pour réfléchir – y devenait chargé d’anxiété.
Ses rôles les plus marquants miseront ensuite sur sa voix chaudement rauque, sa bonhomie un peu narquoise et son aura sympathique : dans son propre rôle (et en ange déchu) dans Les Ailes du Désir de Wim Wenders (1987) et en grand-père racontant des histoires à dormir debout à son petit-fils dans Princess Bride de Rob Reiner (1987).
« Parce que je suis un ami« , disait-il tout avec une simplicité désarmante dans le film de Wenders. Notre ami, s’imposant tranquillou à au moins deux générations de téléspectateurs, l’acteur underdog par excellence, ne cabotinera malheureusement plus.
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