Après Sils Maria, Olivier Assayas confectionne un écrin de désir et d’émotion pour son actrice Kristen Stewart. Bouleversant.
“No flesh, no blood, just an idea… How can I be interested in an idea ?” (“Pas de chair, pas de sang, juste une idée… Comment puis-je m’intéresser à une idée ?”), se lamentait le cinéaste René Vidal, joué par Jean-Pierre Léaud dans Irma Vep en 1996, avant de trouver la solution.
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Vingt ans plus tard, Olivier Assayas semble se reposer la question avec ce film, Personal Shopper, qui se révèle autant comme la continuation de son précédent, Sils Maria, que comme la reprise d’un fil réflexif jamais tout à fait abandonné mais jamais aussi central qu’il ne le fut dans son chef-d’œuvre composé avec Maggie Cheung, et qu’on pourrait ainsi reformuler : “comment incarner une idée ?”
L’art et l’esprit
Personal Shopper (prix de la mise en scène au Festival de Cannes) reprend les choses où Sils Maria les avait laissées. Kristen Stewart y joue à nouveau l’assistante d’une star, cette fois-ci une mannequin aussi célèbre qu’évanescente, dont elle est chargée de transporter – en scooter ou en Eurostar, qu’importe – les robes, bijoux et accessoires, des ateliers de grands couturiers à un luxueux appartement parisien, toujours vide.
Dans l’ombre, c’est d’abord ainsi qu’apparaît la jeune Américaine, dans ce film aux couleurs automnales et à la lumière discrètement enveloppante. Dans l’ombre de son employeuse absente et pourtant tyrannique, qui ne l’autorise même pas à essayer ses vêtements shoppés ; mais aussi dans l’ombre d’elle-même, faisant montre d’une puissante fébrilité, semblant se flétrir à chaque nouvelle sotte mission qu’on lui confie, et ne trouvant réconfort que dans l’art et l’esprit – ou plutôt les esprits ?
Au décor du monde de la mode s’ajoute un autre, lui aussi rempli d’ombres : une maison hantée
A ce premier décor, le monde hyper matérialiste de la mode, qu’Assayas filme avec davantage de distance amusée que de cruauté – son rapport au fétiche marchand s’étant toujours situé à mi-chemin entre fascination et répulsion –, s’ajoute en effet un second, lui aussi rempli d’ombres, tantôt amicales tantôt hostiles, auprès desquelles Kristen Stewart va chercher un supplément d’âme : une maison hantée.
C’est là, quelque part en banlieue parisienne, que son frère est décédé, et c’est là, avec l’aide de sa belle-sœur (Sigrid Bouaziz, magnifique révélation), qu’elle entend renouer contact avec lui, grâce à ses pouvoirs extralucides.
Héritier du cinéma moderne
Un film de fantômes se met ainsi en place à côté de la chronique (pour finalement se muer en thriller), et il est plaisant de voir Assayas se nourrir des codes du cinéma de genre pour revivifier son cinéma. On pourrait lui reprocher de ne pas y aller pleinement, de rester au bord du genre, mais au fond, en héritier du cinéma moderne – à l’instar, par exemple, du Rivette de Secret défense auquel on pense à l’occasion de la très grande séquence du film, un long voyage en train ponctué de SMS mystérieux où l’écran d’iPhone se mue en surface magique –, autre chose l’intéresse.
Cet “autre chose”, c’est Kristen Stewart. Jamais sans doute Assayas n’avait regardé quelqu’un avec autant d’intensité. Pas depuis Irma Vep en tous cas, qui était un autre film de fantômes (ceux de Louis Feuillade, de la Nouvelle Vague et du cinéma moderne hong-kongais alors au début de son crépuscule), une autre étude de milieu CSP+ (le cinéma d’auteur français, pas moins mesquin que la mode), une autre étrangère perdue à Paris…
Ecrit très vite et sans trop réfléchir du propre aveu du cinéaste, Personal Shopper retrouve cette formule miraculeuse de portrait fictionnel d’une actrice, où chaque photogramme s’avance gorgé de désir, de stupeur, de tremblements, où chaque geste, chaque regard de KStew est capté comme si c’était la première fois.
Pôles contraires
Et l’on en revient au questionnement dépité de Léaud, “how can I be interested in an idea ?”. Cette interrogation traverse toute l’œuvre d’Assayas, cinéaste théoricien qui a toujours été tiraillé entre des pôles contraires, entre l’abstrait et le concret, entre le haut et le bas, entre le puritain et le libertin, entre la France, ce pays fourbu mais toujours agile, et le vaste monde.
Et si chacun de ses films est un agencement unique entre ces pôles contraires, il est notable que les plus théoriques et évanescents a priori soient aussi les plus incarnés.
Personal Shopper d’Olivier Assayas (Fr., 2016, 1 h 45)
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