Un père transformiste, une mère ex-reine de la nuit, une ado tumultueuse : un home-movie bouillonnant.
Au moment de sa présentation dans la sélection parallèle de l’Acid à Cannes, de nombreuses voix ont tenu à faire de Pauline s’arrache, première réalisation d’Emilie Brisavoine, un petit-neveu du Tarnation de Jonathan Caouette. Beaucoup de points communs, en effet : la forme très intime du journal filmé, l’hybridité des régimes d’images, couvrant tout le spectre du home-movie à l’ère webcam, et surtout au milieu de tout ça un chaos, celui d’une famille où l’on s’aime sans doute très fort mais dont le quotidien (pour ne pas dire le destin) tourne sans répit autour des mêmes disputes allant parfois jusqu’au déchirement, empoignades bénignes mais devenues éreintantes, cicatrices qui ne font que s’ouvrir, se refermer, s’ouvrir à nouveau, comme un étrange mouvement de respiration.
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Cette famille, c’est celle de la réalisatrice, qui en tant que demi-sœur jouit d’une position plutôt satellitaire, sorte de fée marraine entre deux générations (à peu près autant d’écart avec son beau-père qu’avec sa petite sœur), agitant sa caméra en guise de baguette magique et tentant ainsi de créer de la discussion, du recul ; captant aussi avec beaucoup de plaisir et de malice toute la drôlerie de ce foyer hors pistes, d’une théâtralité inouïe. La mère est une ancienne reine de la nuit ; le père, dix ans de moins, un transformiste fantasque et colérique, queer grincheux dont le passé homosexuel plane dans les moqueries familiales ; la fille enfin, la Pauline du titre, fait les quatre cents coups et tente de traverser son adolescence sans trop y laisser de plumes.
Des saynètes bouillonnantes d’émotion
Toute la force de Pauline s’arrache tient dans un travail de tension autour de la présence même de la caméra, tension de ce que l’on a le droit, ou non, de filmer : les saynètes bouillonnantes d’émotion qui jalonnent le film sont souvent comme prises de force à la pudeur (puisque aussi dévergondée qu’elle soit, cette famille a beaucoup de pudeur), “arrachées” à un réel sur lequel Brisavoine a une prise très instable et ambiguë, créant autant de confession que de mise en spectacle, voire de sensationnalisme. Ce n’est pas étranger à une certaine esthétique de la téléréalité – ne s’agissant pas de voyeurisme, mais d’une dimension performative qui donne au film tout son muscle et son ambivalence. A la fois au chevet de ses personnages, comme une présence rassurante, et en même temps les mettant toujours en danger.
Pauline s’arrache d’Emilie Brisavoine (Fr., 2015, 1 h 28)
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