A 25 ans, elle est déjà titulaire de deux prix d’interprétation majeurs, à Venise et Berlin. Rencontre avec Paula Beer, figure montante des cinémas d’auteur français et allemand, qui fait une nouvelle fois merveille dans Ondine de Christian Petzold.
Dans le cinéma d’auteur de ces cinq dernières années, aucune autre actrice n’a connu une telle ascension. A 25 ans, Paula Beer a déjà remporté des prix d’interprétation dans deux des plus grands festivals du monde (meilleur espoir de la Mostra en 2016 pour Frantz de François Ozon et Ours d’argent de la meilleure actrice à la Berlinale cette année pour Ondine de Christian Petzold, prix qu’elle sera la dernière à remporter puisque le prix d’interprétation sera à partir de l’an prochain non genré).
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Avec Ozon, Petzold, Baudry
C’est dans le film de François Ozon qu’elle se révèle dans le rôle d’une jeune veuve dont le deuil est perturbé par la rencontre de l’homme (Pierre Niney) qui a tué son mari dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. Le manque d’amour et la violence de la guerre, Frantz tisse un fil rouge avec les trois films suivants de l’actrice allemande.
En 2018, elle enchaîne avec Transit, sa première collaboration avec Christian Petzold et Franz Rogowski. Elle y incarne une jeune femme qui cherche désespérément son amant disparu dans le tourbillon de l’Occupation à Marseille, durant, cette fois, la Seconde Guerre mondiale. C’est enfin la menace d’une Troisième Guerre mondiale que les personnages du Chant du loup d’Antonin Baudry (2019) tentent d’esquiver. Après ce nouveau film français, dans lequel Paula Beer joue un rôle assez secondaire, elle retrouve Petzold et Rogowski dans Ondine. Dans cette variation contemporaine sur un mythe germanique, elle souffre à nouveau de l’absence de l’être aimé.
“Par rapport à ‘Transit’, je me sentais plus libre”
Lorsqu’on la questionne – dans un français qu’elle comprend parfaitement mais se refuse encore à parler – sur cette circulation thématique à l’œuvre dans sa filmographie, elle s’en amuse :
“Je n’avais jamais remarqué mais c’est vrai qu’il y a une constante sur la solitude amoureuse, presque comme si c’était une malédiction. Je crois que c’est peut-être ce qui m’émeut en tant qu’actrice. Le travail d’empathie avec la douleur amoureuse m’intéresse. Dans les deux films que j’ai faits avec Christian et Franz, et même dans le film de François, cette solitude est mise en scène de façon très rentrée. L’enjeu de ma performance est de transmettre cet abîme de souffrance de façon subtile.
“Christian aime le cinéma et les histoires. Il organise des projections de films chez lui avec tous les comédiens sont présents”
Ce qui était aussi intéressant avec Ondine, c’est de pouvoir travailler une seconde fois avec les mêmes personnes. On s’était déjà très bien compris sur le premier film, même si nous sommes tous les trois très différents. Par rapport à Transit, je me sentais plus libre, parce que la confiance était déjà établie entre nous.
On pouvait donc aller plus loin dans l’exploration des émotions. Christian aime le cinéma et les histoires. Très tôt il organise des projections de films chez lui, où tous les comédiens sont présents. Il nous montre aussi des photos de lieux dans lesquels on va jouer. Et tout cela bien avant le travail de répétitions du scénario. Cela rend le travail particulièrement riche et agréable.”
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Une féminité sauvage et indomptable
L’ingrédient nouveau qu’ajoute Ondine à la souffrance amoureuse des films précédents est une légère dose de fantastique. Ondine n’est plus seulement une amoureuse éplorée, elle se fait puissance vengeresse et magique. Avec ses grands yeux où brille un léger éclat de folie, son sourire carnassier et ses boucles rousses, Paula Beer incarne dans ce film une féminité sauvage et indomptable.
Son jeu – savant mélange d’instinct (elle n’a jamais suivi de cours de théâtre) et de réserve cérébrale (elle est née dans une famille d’artistes qui l’a initiée à diverses pratiques artistiques dès le plus jeune âge) – s’y déploie de façon éblouissante.
“C’est ce qui manque parfois au cinéma allemand je trouve, la capacité de rêver des histoires”
Cette double facette de son jeu – la tentation de la pulsion instinctive retenue par la réserve de l’intellect – est caractéristique d’une actrice éprise de liberté : “Je n’aime pas les règles, j’ai besoin de liberté. Quand on fait un film, on passe un an, et parfois même plus si on compte la promotion, à vivre avec un personnage.
Donc je dois vraiment être passionnée par le projet et le personnage si je ne veux pas m’ennuyer. C’est ce qui manque parfois au cinéma allemand je trouve, la capacité de rêver des histoires. Dans Ondine, on sent certes le poids d’une histoire passée, celle de la ville de Berlin que je connais bien, mais le film la tire vers l’imaginaire. J’aspire à ce type de cinéma qui ose expérimenter.”
Ondine de Christian Petzold avec Paula Beer, Franz Rogowski (All., Fr, 2019, 1h30)
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