Alors que « Elle » rencontre déjà un joli succès en salles, retour en cinq points sur l’un des plus sulfureux cinéastes européens.
Guerre
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Élevé en Hollande durant l’occupation Allemande, Paul Verhoeven a fait de la guerre son leitmotiv, en réalisant pour la télévision nationale Portrait von Anton Adriaan Mussert (1968), documentaire consacré au sympathisant nazi Anton Adriaan Musser, puis en se lançant en 1977 dans la production ciné la plus coûteuse des Pays-Bas (Le choix du destin). Le film dépeint la jeunesse hollandaise pendant la seconde guerre mondiale, tiraillée entre résistance et Gestapo.
La même année éclate à Hollywood une autre guerre : celle des étoiles, de George Lucas. Le grand succès du Choix du destin éveille la curiosité de la Fox, qui propose à l’européen de venir aux Etats-Unis pour prendre les commandes du second opus de Star Wars. Un projet avorté lorsque les producteurs, tel que le précise Mental Floss, ont découvert les autres films, bien plus sulfureux, du cinéaste.
17 ans plus tard, Verhoeven s’inspire pour Starship Troopers de l’esthétique des documentaires de Leni Riefenstahl (Le triomphe de la volonté, 1935), la cinéaste propagandiste officielle du Troisième Reich. Au sein de cet incroyable space-opera à l’imagerie militariste disproportionnée s’opposent GIs antipathiques et monstres-parasites. A sa sortie, le blockbuster est qualifié de « film de néo-nazi ». Les réminiscences de guerre sont nombreuses dans les grosses machines de Verhoeven: difficile de ne pas concevoir, en la scène d’explosion de Robocop, un écho aux bombardements spectaculaires du Choix du Destin. En 2005, ce cinéaste « résistant » (ayant survécu à une opération à coeur ouvert) revient au pays natal avec Black Book, romance entre une juive et une officier SS. Le remake de Robocop héritera un peu maladroitement de la Verhoeven touch : le robot-flic y est un vétéran de la guerre d’Afghanistan…
Sexe
Pour Verhoeven, l’acte-cinéma est voyeuriste (l’objectif de la caméra est une fenêtre), ce qu’illustrent la séance de lap-dance immersive de Showgirls – où les spectacles pailletés de Las Vegas obscénisent les superproductions musicales de l’usine à rêves – le regard de l’homme invisible porté vers l’effeuillement de sa voisine dans Hollow Man et l’onanisme de la (b)elle Huppert.
Le sexe, c’est également la prise de pouvoir de la femme…par la chair et le sang. Au sein du film portant justement ce titre, le personnage de Jennifer Jason Leigh, pénétrée de force par Rutger Hauer, lui déclare en forçant le coït : « C’est moi qui te baise ». En une identique gestuelle, l’archétype de la Veuve Noire fut déployé deux ans plus tôt dans Le quatrième homme, qualifié par l’auteur de « version occulte de Basic Instinct ». Sous la lumière sublime du même directeur photo (Jan de Bont), Catherine Trammel s’y esquisse déjà, ne serait ce que par l’altérité « invertie » de la femme fatale (physique androgyne, coiffure masculine et seins aplatis durant l’amour).
Mais mettre en scène, c’est déjà agresser. Spetters, chronique tragique d’une jeunesse pervertie, compilant masturbation, fellation et sodomie, incitera les ligues chrétiennes, féministes et homosexuelles à persécuter un cinéaste qui finira par s’exiler de son pays natal. Basic Instinct causera quant à lui les foudres des associations américaines pour les droits de la communauté homosexuelle.
Christ
Dans Robocop (1987) l’Evangile investit le decorum d’une série B. Les bras en croix, l’agent Murphy se fait lentement réduire en miettes à coups de fusil à pompe – profitant de sa résurrection quelques bobines plus tard pour « flinguer » les parties génitales d’un violeur. Dans Le quatrième homme, un écrivain malaxe les parties génitales d’un Sauveur en slip moulant, empreint de l’esthétique kitsch de la contre-culture gay. Le « Hollandais Violent » malgré son athéisme n’a jamais caché sa fascination pour le Christ (durant vingt ans il assistera au Jesus Seminar, réunion régulière d’historiens et de théologiens). Son projet inachevé, Crusade, écrit par le scénariste de La Horde Sauvage (Walon Green, ayant supervisé Robocop 2) devait être une épopée historique projetant Schwarzy aux confins de Jérusalem, parti défendre les vertus du christianisme après sa rencontre avec le Pape Urbain II.
Dans son essai exégétique Jésus de Nazareth (édité l’an dernier en France aux éditions Les forges du vulcain) Verhoeven définit le fils de Dieu comme le fruit d’un viol, commis par un soldat romain. Elle renvoie ainsi à cette matrice théologique. « Les femmes sont comme le suspense. Plus elles éveillent l’imagination, plus elles suscitent d’émotions » disait Hitchcock. Chez Verhoeven, l’émotion est une passion, christique, et la femme est Marie-Madeleine, disciple du Christ, pécheresse et prêcheuse. Dans Elle fusionnent alors perversions de martyr et parfait manuel du petit catéchiste (messe de minuit, Nativité, Pape François), une combinaison suggérant le caractère SM du chemin de croix. Le prochain Verhoeven, Lyon 1943, aura pour sujet le calvaire de Jean Moulin, JM, icône de la Résistance, que le cinéaste aime comparer à J.C, Jésus Christ.
Images
Paul Verhoeven ne cesse de questionner l’image. Dans Robocop sont détournés de manière acidulée les pubs US, gimmick satirique à son tour « satirisé » dans Starship Troopers (parodiant, en pleine guerre du Golfe, les spots propagandistes), lorsque Tricked dévoile le type 2.0 du « détournement » formel tendance Pornhub (des montages pornos dits « fake », omniprésents sur la toile).
Avec Elle l’image s’actualise. L’obscène est vidéoludique car Michèle (Isabelle Huppert) scénarise des jeux vidéo. Mais le réalisateur approfondit le concept de pornographie en s’appropriant ce que l’on nomme le « porno-actualité ». Citant la chaîne d’infos en continu BFM TV, il associe directement les traumatismes biographiques de son héroïne aux épisodes-choc de Faites entrer l’accusé. 20 ans auparavant, Robocop prévisualisait déjà la narration vidéoludique : le flic-robot s’éveille en vue subjective, ou « point of view » (POV) et ses escales assassines préfigurent une considérable lignée de « FPS » (First Person Shooter).
Aboutissement radical: dans Tricked, oeuvre cathodique, l’écran est un miroir, tourné vers le téléspectateur, devenu co-auteur. Histoire de conflits familiaux à la Festen, ce projet éclot de 700 scripts de 5 pages chacun écrits par les spectateurs hollandais, 2000 pages retravaillées d’où est accouché un unique scénario…le seul film à l’image de son public ?
Science
Docteur en mathématiques et physique, Verhoeven conçoit le cinéma comme une science. Avec La chair et le sang il additionne les pulsions inconscientes (via Rutger Hauer) et l’invention scientifique. Le savant de l’histoire, inventeur avant-gardiste, sera couvert de chaînes, avant d’être électrocuté et « libéré » par la foudre, tel un homme-machine au moteur galvanisé. Dès lors le motif scientifico-technologique sera réitéré : l’homme est une machine (Robocop) en plein court-circuit neuronal (Total Recall). Dans Hollow Man, l’homo erectus n’existe qu’en tant que FX, l’opération technologique d’invisibilité se faisant mise en abyme des prouesses numériques développées par Sony Pictures. Cet « homme sans ombre » pourtant charnel – voire gore -incarné par Kevin Bacon renvoie aux Ecorchés dessinés par le savant André Vésale, colonne vertébrale de l’imaginaire scientifique.
Les plans chez Verhoeven sont ainsi des plan(ches) anatomiques, réduisant dans Turkish Delight le corps à sa crudité (défécations, vomissements et pourriture). Un renvoi au naturalisme zolien façon Thérèse Raquin, cette autre grande oeuvre féminine. Le mathématisme du cinéaste se conçoit à travers la séquence d’amour chorégraphiée de Basic Instinct, qui est calculée au centimètre près, telle une équation. Le mythique croisement de jambes de Sharon Stone permet alors à Verhoeven (grand fan de Jules et Jim) de renverser, façon théorie du chaos, la métaphore géométrique de L’homme qui aimait les femmes de François Truffaut : « les jambes de femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant son équilibre et son harmonie ».
Des jambes-compas qui sont celles d’Huppert, régulièrement écartées pour mieux imager un espace « violé » par les diagonales conflictuelles – des coups de poing régulièrement assénés aux corps verticalement renversés.
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