Rencontre avec l’un des cinéastes français les plus importants des cinquante dernières années, dont le dernier film, sublime, est encore visible sur les écrans : « Nuits blanches sur la jetée ».
Critique aux Cahiers dans les années 60, figure mythique du cinéma indépendant des années 70, fondateur de la boîte de production Diagonale, Paul Vecchiali, cinéaste original et franc-tireur, parfois culte même (Femmes, femmes), fait aujourd’hui l’objet d’une rétrospective à ce point bienvenue qu’elle permet de combler partiellement un vide : l’absence d’une édition DVD exhaustive de sa filmographie abondante (un vide qui devrait être partiellement réparé dès la fin de l’année).
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Au début des années 60, vous êtes rédacteur aux Cahiers du cinéma…
Paul Vecchiali – Oui, j’y travaillais mais je n’y allais jamais. Une fois : Rohmer voulait me montrer La Carrière de Suzanne et La Boulangère de Monceau sur une petite table. Il s’est passé quelque chose. Pour moi, les Cahiers, c’était Godard et Rohmer. Point. Je suis farouchement indépendant. ça devait être en 1962. Je me souviens qu’un jour, Le Procès de Jeanne d’Arc de Bresson venait de sortir, et on retrouve toute la bande des Cahiers à la terrasse d’un café du bas des Champs Elysées. Très timide, j’observais tous ces grands bonshommes qui pour la plupart étaient déjà célèbres. Et puis j’entends Rohmer parler du jansénisme de Bresson, et malgré moi j’ai réagi : “Quoi, du jansénisme ?”. Toutes les têtes se tournent vers moi et Rivette me dit : “Qu’est-ce que tu dis ?”. Et je lui réponds : “Pour moi, Bresson, ce n’est pas du tout du jansénisme. C’est le syndrome de la petite culotte”. “Ah bon ? Ecoute, écris sur Le Procès, reviens sur Pickpocket et fais-nous un grand papier.” Et j’ai écrit un article qui s’intitulait “Les fausses apparences”. Là, ça a été mon pic comme critique aux Cahiers. (Rires) Jean Eustache, Jean-André Fieschi et moi étions alors inséparables, au temps du Studio Parnasse que dirigeait Jean-Louis Chéret. Ce dernier a été beaucoup plus important pour moi que Langlois, plus vivant, ce n’était pas une ombre qui régnait magnifiquement sur le cinéma comme Langlois – même s’il ne faut pas dire du mal de Langlois devant moi sinon je me mets en colère. Mais Chéret était plus proche de nous, il était là, on débattait jusqu’à 5 heures du matin. Eustache venait dormir chez moi, etc. Il y avait un climat tellement incitatif que tous ces gens-là ont fait des films par la suite.
Le temps du Studio Parnasse, c’est aussi le moment où vous rencontrez Françoise Lebrun [actrice dans La Maman et la Putain d’Eustache, elle a aussi plusieurs fois travaillé avec Vecchiali – ndr] ?
Oui, c’était à l’époque l’amie de Jean Eustache, qui me l’a présentée et elle s’est intégrée à notre bande. On était collé, tous les quatre. On allait ensemble au cinéma, surtout au Parnasse. A l’époque, j’insistais auprès de Chéret pour qu’il passe A bout de souffle, Pickpocket et Lola, mais il refusait. Et il a fini par accepter, par amitié. C’est comme ça que j’ai rencontré Jacques Demy et Agnès Varda, qui sont devenus des amis intimes. Ma maison de production se trouvait alors rue Daguerre alors on déjeunait souvent ensemble. Jacques et moi nous téléphonions tous les jours. J’avais pour lui une admiration totale.
Dans le jeu de Pascal Cervo dans Les Nuits blanches sur la jetée qui vient de sortir, on retrouve ces personnages de jeunes hommes mélancoliques et perdus, très demyesques, non ?
(Emu). Oui, bien sûr. Pour ce film-là. Nous avons un acteur en commun avec Jacques : Jacques Perrin, qui a joué dans L’Etrangleur alors qu’il sortait de Peau d’âne, deux rôles très opposés, puisqu’il joue chez moi un tueur en série. Jacques disait toujours qu’il n’y avait que nous deux qui aimions à la fois Danielle Darrieux et Robert Bresson. Et puis on riait beaucoup ensemble. Quand certains disent que je dis beaucoup de mal de mes confrères, il faut préciser que Demy disait dix fois plus de mal que moi des cinéastes français. L’année où nous avons vu Sous le soleil de Satan de Pialat à Cannes, Demy est sorti en disant : “S’ils lui donnent la palme, je fous le feu au “bunker” !” (surnom du palais des festivals – ndlr). Je lui ai répondu : “Va chercher tes allumettes !” (Rires). Et Pialat l’a eue… Tout est arrangé, dans ce métier, et tout le monde le sait… Un journaliste m’a demandé un jour si le cinéma était ma famille, je lui ai répondu : “C’est ma famille, mais ce n’est pas mon monde”. Je le pense toujours. Je ne vis pas comme ils vivent. C’est peut-être pour ça que j’ai été aussi indépendant. Si le cinéma est vraiment une famille, il faut aussi qu’elle comprenne les techniciens, les fournisseurs et les labos. Si on les couillonne tout le temps, ce n’est pas une famille. Je vais passer pour un moraliste ? Eh bien ouiI
Mais est-ce que le cinéma n’a pas toujours été un monde de voyous ?
Oui, distingués. De voyous distingués… Je ne dis pas que c’est mal, je dis que ce n’est pas moi ! Je crois quand même que dans les années trente, qui est quand même mon petit lait, ça ne se passait pas comme ça, aussi parce qu’il y avait beaucoup de fric, c’était fou. Le cinéma français à ce moment a été le plus grand du monde, selon moi.
Quels sont vos cinéastes des années trente préférés ?
Avant tout Grémillon et Ophuls à égalité. Puis Duvivier, Tourjansky, Autant-Lara, Renoir (mais pas dans les cinq premiers). Guitry, Pagnol, plus bas, puis des gens méconnus, qui n’ont pas fait que des bons films mais qui en ont fait qui sont très intéressants, comme Louis Valray (producteur, réalisateur, monteur : un vrai auteur), André Hugon (Sarati le terrible est un film formidable) ou René Guissart (Ménilmontant et Visages de femmes). Mon idée, c’est que certains grands cinéastes auteurs, comme Renoir, font parfois des plans horribles, vulgaires (comme Renoir dans ce chef-d’œuvre qu’est pourtant La Bête humaine), et que certains cinéastes dits mineurs font parfois des films d’auteur. Bresson est un de mes dieux, mais ce n’est pas une raison pour tout accepter. Et certains cinéastes sont d’après moi surestimés, comme par exemple Jacques Becker, qui n’est qu’un cinéaste appliqué et qui se “couvrait” constamment en faisant beaucoup de prises à des échelles différentes pour choisir ensuite au montage… Pour moi, uniquement moi, s’il n’y a pas une prise de risque de la part du réalisateur, il n’y a aucune raison de le considérer comme un auteur ! J’en avais discuté avec Pasolini à la fin de sa vie.
Pasolini qui aimait beaucoup Femmes, femmes…
Oui. Le problème est que je n’aime pas Pasolini en tant que réalisateur, et je n’osais pas le lui dire. Un jour, dans une conversation avec Jean-Claude Biette (qui avait été assistant de Pasolini et avait fait le doublage et les sous-titres français de Salo ou les 120 journées de Sodome), Ils parlent d’Uccellacci e Uccellini (Des oiseaux petits et grands), l’un de ses films, et un peu bêtement, je m’écrie : “Ah, celui là, il est formidable !” Il m’a regardé et m’a dit très gentiment : “Ne m’accablez pas, Vecchiali”… Et on s’est expliqué plus tard dans un petit bistrot. Il m’a dit : “Mon prochain film, Le marquis de Sade”, tu le tourneras et je regarderai”. Mais Pier Paolo s’est fait assassiner trois jours après.
Pourquoi avez-vous eu la tentation d’arrêter le cinéma en 1998 ?
D’abord parce que les cinéastes que je produisais à Diagonale, que j’appelle les “diagonaleux” (Jean-Claude Biette, Jean-Claude Guiguet, Marie-Claude Treilhou, Gérard Frot-Coutaz) ont abandonné le navire pour aller ailleurs. C’est leur droit. Mais ça a affaibli Diagonale. J’ai été un peu déçu de ça sans leur en vouloir. Et puis d’autres ont décidé d’imiter Diagonale, voyant que ça marchait, et je n’ai plus réussi à obtenir l’avance sur recettes qui m’était nécessaire. Je travaillais alors à la télévision, où j’étais content et gagnais de l’argent (tout l’argent que j’ai gagné vient de la télé), et où mon expérience de producteur m’a beaucoup servi pour établir des budgets… [Paul Vecchiali a tourné beaucoup pour la télévision, y compris des épisodes de série grand public pour TF1, comme la série Imogène, avec Dominique Lavanant – ndlr]. J’avais un scénario pour le cinéma qui est resté pour moi une écharde, et qui s’appelait La marquise est à Bicêtre. J’avais l’accord de Danielle Darrieux, d’Annie Girardot, etc. Une distribution incroyable et un scénario auquel je tenais beaucoup. Mais je n’ai pas eu l’Avance sur recettes. Je ne voulais pas que Diagonale, qui avait représenté je crois quelque chose dans le cinéma français des années 70-80 soit en faillite. Donc j’ai vendu les films de Diagonale et j’ai arrêté la société dignement. Bon, mais là, je viens d’obtenir l’avance sur recettes pour mon prochain film !
Godard, à qui l’on reproche toujours ses infidélités en amitié, a toujours été fidèle et attentifs aux films de Diagonale…
Godard est extrêmement secret. Me concernant, je peux raconter deux choses. Après C’est la vie, les Cahiers du cinéma ont commencé à chier sur mes films, notamment Skorecki qui depuis est devenu un ami (sourire). Ils ont fait un amalgame qui ne m’a pas plu entre Je (vous) aime de Claude Berri, Cauchemar de Noël Simsolo que j’avais produit et C’est la vie que j’avais réalisé. D’autant que Skorecki disait aussi en gros : la meilleure preuve que Berri et Vecchiali, c’est la même chose, c’est que chacun d’eux collabore avec sa sœur (l’actrice Sonia Saviange est la sœur de Vecchiali, et la sœur de Berri, Arlette Langmann, était sa monteuse – ndlr). C’est un peu court, comme argument, non ? D’autant que ma sœur ne jouait pas dans C’est la vie… A l’époque, j’avais même écrit une lettre aux Cahiers intitulées : “Messieurs les Caillés du cinéma”, où j’étais assez virulent et terminais par une ode aux cinéastes français que j’aimais : Eustache, Bresson, Demy, etc… Et puis Freddy Buache, alors directeur de la cinémathèque de Lausanne, a montré En haut des marches à Godard. Et Freddy m’a dit qu’à la sortie de la projection Godard et sa compagne Anne-Marie Miéville pleuraient. Que Godard aurait dit : “Les critiques m’ont masqué le film”. J’ai appris tout cela par hasard. Et là, comme par hasard, quand je croisais les rédacteurs des Cahiers de l’époque, ils étaient enthousiastes sur mes films, reniant même parfois ce qu’ils avaient pu écrire… Et j’ai compris ce revirement. Et dans les Cahiers, sur Once more et Le Café des Jules, ils ont fait cinq-six pages magnifiques à chaque fois. Ensuite, au moment de Once more, Godard m’a demandé une cassette, parce qu’il voulait regarder attentivement comment je faisais les plans-séquences. Je lui ai fait dire que je les avais trouvés chez lui, mais il m’a fait répondre que j’en avais fait avant lui, et certainement pas comme il les faisait. Moralité : je lui ai envoyé une cassette de Once more et on a parlé deux heures ensemble au téléphone. Bref, il avait aimé, l’avait regardé quatre fois : deux fois sans voir les plans séquences, une fois à l’envers pour les repérer, puis une dernière pour regarder le film. Mais en dehors de ça, on ne se parle pas. Au moment d’A votre bon cœur, j’ai essayé de le contacter parce que j’en jouais le personnage principal mais je ne me sentais pas à l’aise, je faisais des crises cardiaques, ma voix était diminuée, je me trompais dans le texte… Je lui ai envoyé le film, en lui disant : “J’ai besoin d’un regard”. Il m’a téléphoné en me disant : “Ne changez pas UN photogramme de ce miracle”. Ensuite, quand le film est allé à Cannes, Godard a emmené son équipe voir le film trois fois. L’accueil cannois m’a d’ailleurs reboosté. Depuis 2004, je n’ai plus arrêté de tourner, mais avec mon propre argent, sans aide. Je me sentais bien. Voilà la nature de nos rapports, avec Godard (rires). Récemment, je lui ai fait envoyer un DVD de Nuits blanches sur la jetée, mais je n’ai pas de réponse. Pour moi, Godard, c’est plus qu’un modèle. Il existe deux films de lui que je n’aime pas : Prénom Carmen et Made in USA. Et je me dis : c’est de ma faute, il y a quelque chose que je ne comprends pas. Et je suis acharné : quand je n’aime pas un film de quelqu’un que j’aime, je le regarde plusieurs fois. Je n’aime pas Lancelot du lac de Robert Bresson, par exemple. Mais je l’ai vu trente fois. Et je le trouve toujours mauvais (rires). Mais quand je vois Adieu au langage de Godard, je suis complètement bouleversé, et quand il a dit : “On a récompensé à Cannes un jeune qui fait un film de vieux et un vieux qui fait un film de jeune”, il a totalement raison. L’Eloge de l’amour, ça m’a scié, Notre musique aussi !
En quoi vous distinguiez-vous des gens de la Nouvelle Vague, dont vous êtes pourtant contemporain ?
Je crois que je réintroduisais le sentiment. Leur cinéma était plus cérébral, et je le dis sans que ce soit un reproche. Mais je crois que ça tient aussi à mes racines prolétariennes, auxquelles que tiens beaucoup. J’ai beau avoir fait Polytechnique, l’un des mes grands-pères était berger et l’autre était ouvrier à l’arsenal de Toulon. Et puis ça tient aussi à mon goût pour ce cinéma des années trente. Le fait d’être rebelle, indépendant, acceptant de faire n’importe quoi… On parlait de ça souvent avec Demy, à qui je reprochais de ne pas tourner assez. Il me disait : “Oui, mais moi je ne suis pas comme toi, je ne tourne pas n’importe quoi”. Je lui ai dit : “Tu as raison. Mais on n’est jamais certain de tourner un chef-d’œuvre ou de faire une merde.” Et il riait.
Est-ce que l’engouement actuel d’une certaine critique pour vos films n’est pas dû au fait que vous faites un cinéma français qui n’a rien de naturaliste, naturalisme qui est honni en ce moment ?
Oui, le terme étant ambigu, je lui préfère celui de “néo-naturalisme”. J’ai toujours pratiqué un cinéma stylisé. Je serais ravi que ce que vous dites soit vrai. Je ne supporte pas le cinéma néo-naturaliste actuel, avec son absence de texte, d’articulation. Moi je ne comprends pas quand on me dit que mon dernier film, Nuits blanches sur la jetée, est un peu théâtral. Il y a un micro, une caméra : qu’est-ce que ça veut dire, “théâtral” ?
C’est d’autant plus absurde que vous vous inscrivez dans une tradition ancienne du cinéma : on peut aussi dire, au hasard, que Pagnol ou Guitry sont théâtraux. Ce sont pourtant des cinéastes.
Oui, c’est grotesque. Aujourd’hui, la fiction française me semble dans un état lamentable. Tous les films que les gens aiment, je les déteste. Avec arguments. Mais j’aime beaucoup Laurent Achard, Alain Guiraudie, moins L’Inconnu du lac, je dois dire. Toutes les étreintes des deux amants sont selon moi abominablement filmées. Je trouve le personnage en revanche le personnage de l’hétéro qui vient se reposer au bout de cette plage sublime, mais la mise en scène le massacre à la fin, spectacle gore qui me semble inutile. Ce vieux rêve qui bouge est selon moi le chef-d’œuvre de Guiraudie. Et puis cette voix off. Je n’ai rien contre les voix off mais je n’aime pas quand elles sont une précaution, une explication de texte. Je n’aime pas ce “dieu” qui vient vous expliquer les choses et pourquoi. Je n’aime pas qu’on souligne les choses. Pareil pour la musique. Je déteste la musique qui souligne les effets. Chez moi, la musique a un discours parallèle. Je demande à mes compositeurs (95 % de mes musiques ont été composées par Roland Vincent) d’exprimer leur univers après qu’on en a parlé. C’est à moi d’intégrer son univers à celui des autres : le mien, mais aussi le décorateur, etc. Un musicien n’est pas un médecin : il n’est pas là pour rendre plus fort une scène qui est faible. Il est là pour exprimer son point de vue sur un univers.
En dehors de Guiraudie et de Laurent Achard, quels cinéastes aimez-vous aujourd’hui ?
Je vais vous surprendre mais j’aime bien aussi les films de Philippe Lioret. Je trouve L’équipier formidable et j’aime aussi beaucoup Welcome. Je ne dis pas que c’est un auteur, mais c’est un très bon fabricant qui accorde beaucoup d’attention à ses personnages. J’aime beaucoup les films d’Axelle Ropert. Etoile violette et La Famille Wolberg, c’est magnifique ! Et les court-métrages de Pascale Bodet, qui est très peu connue.
Ces cinéastes, issus d’une revue qui n’existe plus mais qui s’appelait La Lettre du cinéma, se réclament de vous…
Oui. Je pense que c’est Diagonale qui les a impressionnés. Je ne me reconnais pas obligatoirement dans leurs films. Mais il y a un esprit…
Dans vos films, vous avez le don de faire jouer des rôles de premier plan à des acteurs qu’on connaît surtout pour avoir joué une pléthore de petits rôles dans le cinéma le plus courant, comme le formidable Marcel Gassouk (1921-2003), dont tout le monde connaît la tête sans connaître le nom…
Il était formidable, Marcel. J’aime aussi beaucoup les non-professionnels. Dans Wonder Boy (1994), j’avais fait jouer un rôle à un type qui était analphabète, qui avait appris son rôle oralement. Jean-Marc Thibault jouait dans le film et après la première prise, il est venu me voir en me disant : “ça ne va pas du tout. Avec lui, j’ai l’impression de jouer faux…” (Rires). Mais c’est un esprit que je tiens du cinéma français des années trente, une fois de plus, où il existait une liberté qui s’est un peu perdue.
Avec Noël Simsolo, qui aime ça aussi, quand on a écrit le scénario de Femmes, femmes en cinq ou six jours, on pensait beaucoup à ce cinéma, et tout est remonté, on écrivait les dialogues en se répondant du tac au tac. Comment avez-vous découvert Hélène Surgère, qui est la grande actrice de votre œuvre ?
Elle était actrice de théâtre et refusait de faire du cinéma. Dans sa jeunesse, elle avait pourtant obtenu le prix Michèle Morgan et son professeur René Simon lui avait dit qu’elle était faite pour le cinéma. Mais comme c’était une femme qui aimait beaucoup la contradiction, elle s’était dit : “Le cinéma, jamais !” Je l’ai découverte d’abord par ses jambes, dans un roman-photo. Elle avait les jambes de Marlene Dietrich. Puis je me suis aperçu qu’elle avait aussi le reste. Au départ, elle ne voulait pas, alors je lui ai proposé un petit rôle d’une demi-journée, elle a dit oui, puis elle a accepté une journée sur L’Etrangleur, etc. Et elle s’est trouvée pas mal (moi je la trouvais géniale), elle a accroché et ainsi de suite. Et ça a culminé dans Femmes, femmes, bien sûr. Et Pasolini l’a fait jouer dans Salo, avec également ma sœur. Mais beaucoup de critiques détestaient le jeu d’Hélène Surgère.
J’ai même eu des démêlés, à la sortie de Femmes, femmes, avec des femmes d’un journal féministe qui trouvaient que je filmais des femmes dégénérées. “Pourquoi dégénérées ?” “Elles boivent.” “Et alors, vous ne buvez pas, vous ?” “Si, mais bon”. J’avais au contraire l’impression de les avoir glorifiées, je ne comprenais pas bien. Et cette journaliste a fini par écrire un article favorable au film. Comme quoi, il faut toujours discuter.
Vous avez une morale de cinéaste intangible.
Je dirais même une éthique de cinéaste, et qu’elle est incontournable. Si je suis assez violent avec mes confrères, c’est parce que je trouve que pour la plupart, ils trahissent cette éthique. Cette éthique est esthétique (dans la lignée de la phrase de Godard, “le travelling est une affaire de morale”) : dès mon premier film, Les Roses de la vie, Truffaut avait dit qu’on y trouvait à la fois la chose et la critique de la chose, je me suis toujours tenu à cette dialectique. Mais cette éthique est aussi d’une autre nature : cela tient aussi à un certain rapport aux personnages. Je respecte mes personnages. Pour moi, un personnage méchant est un personnage inachevé.
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