Une méditation aussi calme que secrètement plus cruelle sur les chemins non empruntés dans une vie.
On appelle inyeon en Corée du Sud, ce lien issu de nos vies passées qui agirait sur nos relations du présent et du futur. Un lien qui est certainement celui que partagent Nora et Hae Sung. Attirés l’un et l’une par l’autre depuis les bancs de l’école où il et elle sont aussi bien rival·es qu’ami·es, les voilà soudainement séparé·es lorsque la famille de Nora émigre aux États-Unis. Ce n’est que douze ans, puis vingt-quatre ans plus tard qu‘on les verra réuni·es.
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Alors que la trilogie des Before de Richard Linklater était marquée par des soudaines prises d’opportunités au présent (prendre un train, se retrouver à Paris), Past Lives explore les non-choix. En suivant, sur plusieurs décennies, la trajectoire de ces deux âmes, la cinéaste Celine Song tisse une méditation douce et calme sur les chemins non empruntés, les opportunités non saisies et questionne si liens du passé peuvent perdurer au-delà.
Pas une simple romance
Sous son vernis élégant et gentiment raffiné, un film plus rugueux et cruel se développe alors, en forme de grande démystification du couple. Ici, ni grande passion fougueuse ni coup de foudre étourdissant, mais le sentiment amoureux regardé comme un enchaînement de causalités menant ou non à la constitution d’un couple. Dans la scène la plus réussie du film, Arthur, se sentant peu romanesque face à l’histoire qui refait surface entre sa femme et son vieil ami d’enfance, se met à entreprendre une grande démystification de son couple.
Avec une lucidité impassible, mais étrangement douce, il refait le film de sa vie amoureuse avec Nora et révèle l’optimisation avant tout matérialiste qui se cache derrière toute vie à deux (emménager ensemble pour diviser le loyer, se marier pour que Nora obtienne le visa). Après cet exercice d’introspection, l’homme avoue pour la première fois à sa femme qu’elle parle en coréen pendant son sommeil et décrit son impossibilité de décrypter ces pensées intérieures. Il y a dans cette scène, une double affirmation : le contrôle de l’autre ou du destin est aussi bien un leurre qu’une impasse.
Le film capture le poids de chaque année qui passe, l’accumulation sans fin d’opportunités saisies ou non, sans jamais épouser le fantasme d’une vie auto-déterminée (il s’ouvre sur la façon dont des décisions des parents vont créer le fondement des choix individuels des enfants). Le passé est ainsi cette indomptable force qui lie autant les gens qu’il les sépare, comme des aimants qui s’attirent puis se repoussent sèchement.
Past Lives de Celine Song. En salles le 13 décembre 2023.
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