Malgré ses atours calibrés et une prise de risque limitée, « Passengers » de Morten Tyldum convoque à travers son couple d’acteurs star et son décor unique des visions pleines de légèreté et de féérie.
Un dicton attribué à Lao Tseu et aujourd’hui reproduit sur toutes sortes de posters de motivation (le genre avec des dauphins ou des cascades), dit à peu près cela : « l’important n’est pas la destination mais le chemin ». Cette conclusion, dont on ne jugera pas ici la véracité, s’applique tout à fait à Passengers.
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120 ans de solitude
Il y s’agit d’effectuer un trajet, de la Terre à une nouvelle planète, qui n’attend que les 5000 et quelques passagers d’un vaisseau spatial pour être colonisée. Ce trajet durant 120 ans, il est essentiel de le passer en caisson d’hibernation pour avoir le temps d’en profiter sur place. Problème : un de ces caissons libère son occupant un peu trop tôt, soit 90 ans avant l’arrivée, et condamne ce dernier non seulement à passer le restant de ses jours dans le vaisseau, en transit perpétuel, mais aussi à une cruelle solitude, tout juste atténuée par un barman androïde kubrickien (fabuleux Michael Sheen, attifé comme Lloyd de Shining). A moins qu’il ne décide de réveiller, manuellement, d’autres passagers…
Avec une telle prémisse, ce scénario de Jon Spaihts, star du genre (Prometheus, Doctor Stranger, les prochains Momie et Pacific Rim), aurait pu donner lieu à un très grand film. Perdu dans « l’enfer du développement » depuis presque une décennie, d’abord attaché à Keanu Reeves et Reese Witherspoone, le projet a fini par atterrir entre les mains plutôt agiles de Morten Tyldum (l’agréable Imitation Game), et des deux acteurs les plus bankables du moment, Chris Pratt et Jennifer Lawrence. Ce destin n’est ainsi ni le meilleur ni le pire des destins, simplement le plus conforme à ce que l’on peut attendre d’un honnête blockbuster en 2016 : un couple d’acteurs désirables, de la métaphysique soft et de la psychologie élémentaire, et un déluge d’effets numériques qui tantôt étonnent (encore un peu), tantôt lassent.
De la féérie aux tourments existentiels
L’important est le trajet disions-nous (enfin Lao Tseu). Celui-ci se décompose en trois actes, comme une pièce de théâtre classique, dans un lieu unique, ce vaisseau spatial donc, dont Tyldum explore chaque recoin avec une application bienvenue. C’est là, dans ce dépliant touristique inoffensif et néanmoins délectable que le cinéaste et ses acteurs trouvent à s’épanouir. Plaisir immédiat et évident de la visite immobilière en apesanteur, cinquante ans après celle de 2001 L’odyssée de l’espace, avec sa piscine prolongée par l’infini du Cosmos, sa vue panoramique sur « les rayons gamma brillants dans l’ombre de la porte de Tannhaüser« , ou son gymkhana dans le vide à la Gravity…
Pendant une bonne heure et quart, avant de se perdre dans le sempiternel tunnel d’actions en pilote automatique qui n’impressionne désormais plus, le film fonctionne à plein sur cette simple féerie, couplée à une forme de légèreté et d’humour (registre où Lawrence et Pratt excellent) qui viennent habiller les tourments existentiels que le norvégien Tyldum fait mine de soulever. Peut-on obliger quelqu’un à vivre avec vous, seuls dans l’espace, pendant un siècle ? se demande ainsi le cinéaste. Que sa réponse emprunte davantage à un confucianisme de cascades et de dauphins qu’à la philosophie pessimiste de Schopenhauer ne surprendra personne. Et ce n’est franchement pas grave : Bergman et Dreyer n’ont après tout pas la monopole du kammerspiel.
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