Arturo Ripstein nous prend par la main et nous invite à accompagner ses personnages dans le ventre du puits. De quelle fin de non-recevoir traite Pas de lettre pour le colonel ? De quelle malédiction ? De celle de ne plus rien posséder d’autre que son rang, état de paupérisation limite qui affecte un colonel […]
Arturo Ripstein nous prend par la main et nous invite à accompagner ses personnages dans le ventre du puits.
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De quelle fin de non-recevoir traite Pas de lettre pour le colonel ? De quelle malédiction ? De celle de ne plus rien posséder d’autre que son rang, état de paupérisation limite qui affecte un colonel en costume et sa femme, couple de vieillards vendant tout, se privant du moindre, dans l’attente d’une pension à venir. Il y a belle lurette que l’espoir ne fait plus vivre.
La lumière ne parvient plus jusqu’au cinéma d’Arturo Ripstein. Très exactement, elle ne semble plus autorisée à franchir le seuil d’un art de plus en plus asthmatique, irrespirable, concentré sur le désastre. De vieillesses en accablements, la liste est longue des naufrages qui donnent à son nouveau film le goût d’une épreuve en enfer. Il y a plus que jamais chez lui une volonté autodestructrice de nous prendre par la main pour ne plus faire qu’un avec le personnage, lequel étant (comme toujours) dans le ventre du puits. Oeil pour oeil, souffrance pour souffrance, la distance qui nous sépare de l’écran est renvoyée aux orties, la peine encourue par les personnages doit trouver en nous son équivalence.
Ainsi va ce noeud de honte et de dégradation lente, il sert à nous renvoyer au sentiment de merde qui nous habite. Ripstein fait plus que jamais du Ripstein. Ce qui fait que ce film tape longtemps sur nos nerfs avant de vaincre notre résistance, de gagner notre adhésion. Car du Ripstein, personne ne le fait encore mieux que lui.
Certes, il y a vraiment ces passages où le spectateur, comme excédé, se rend bien compte que Ripstein déplace sa caméra pour insister sur le fait que décidément il n’y a plus rien à filmer. Ou si peu qu’il s’en retourne à ses obsessions comme dernier relevé des déchéances : rien, effectivement, ne manque dans cet établi de l’univers du Mexicain malade, du coq de L’Empire de la fortune aux séances de cinéma licencieuses de Divine (son précédent film encore inédit, un péplum sadomaso) en passant par tout un folklore de malédictions, croyances et grigris, et une pincée de prostitution, de filles dépeintes depuis la hanse du décolleté (moments qui en font un cinéma entretenu). Filmer García Márquez ne l’a pas changé pour un pesos. Ripstein a fatigué son film jusqu’à le mettre en suspension. Et pourtant… le sens surgit progressivement par accumulation. On aura fait avec lui, avec eux, ce chemin de croix, de déplaisir, pour arriver à ce sentiment d’immatérialité totale où plus rien ne mérite d’être possédé. Immatérialité qui, loin d’alléger le plan, infuse au moindre geste un poids, une gravité ultime. Alors, le Ripstein ? Immatériel et lourd comme la pauvreté, à laquelle ce film ressemble à force de vouloir lui coller à la poisse. Même si un conformisme du triste le guette, nous pouvons encore sauver Ripstein pour ce cinéma qui va voir dans le désastre s’il peut se frayer une place. Pour le meilleur et pour le pire.
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