Parole et utopie retrace la vie et l’œuvre du père António Vieira (1608-1697), jésuite de son état, dont les sermons constituent un monument de la langue portugaise, à en croire ceux qui savent ce genre de choses. Nous sommes en présence d’une obsession déjà ancienne, d’un film qui affronte à la fois la culture et […]
Parole et utopie retrace la vie et l’œuvre du père António Vieira (1608-1697), jésuite de son état, dont les sermons constituent un monument de la langue portugaise, à en croire ceux qui savent ce genre de choses. Nous sommes en présence d’une obsession déjà ancienne, d’un film qui affronte à la fois la culture et l’histoire, deux lourds handicaps de monumentalité dont le cinéaste n’aime rien tant que se lester pour mieux s’en libérer. Si on a toute confiance dans Oliveira, immense poète de la représentation, pour échapper aux pièges courants de la reconstitution historique et de la lagardeetmichardisation’ d’un destin, on a un peu moins confiance en nous, pauvres spectateurs éberlués. Car ce film exige du temps et de l’attention, de la patience et de l’esprit d’aventure Oliveira s’empare d’un genre plus que désuet (la vie d’un saint) pour ausculter la parole dans tous ses états tout en se livrant à une émouvante tentative d’autoportrait. Si le film commence par citer le fameux plan de l’arbre de Non’, c’est pour reprendre le fil Vieira là où Oliveira l’avait laissé, dans un paysage somptueux mais indifférent, sous un ciel opaque et vide qui ne répondra jamais à la supplique des hommes. Car si Vieira laisse une œuvre littéraire gigantesque, sa vie est l’histoire d’un échec politique, d’une révolte qui n’est pas parvenue à s’inscrire dans les faits, d’une tentative de réforme vite avortée.
Avec une économie de moyens et une maîtrise qui laissent pantois tant elles contrastent violemment avec la fausseté surchargée de la représentation dominante, Oliveira oppose une parfaite forme classique à la luxuriance langagière de son personnage. Il met en scène le baroquisme intrinsèque de Vieira en le déployant dans une frontalité austère. Si quelques plans courts lui suffisent pour figurer les Indiens, comme un seul plan suffira à indiquer un naufrage, le verbe proliférant des sermons est saisi dans de longs plans-scènes qui montrent le travail de Vieira, sa conviction en train de se propager aux fidèles, la matérialité de sa parole et les différents espaces où elle résonne.
Si Parole et utopie est un grand film d’aventures spirituelles, et parfois d’aventures tout court, il peut aussi se lire comme la confession à peine transposée d’un immense cinéaste qui se voit en un Vieira de son siècle, avec une semblable vocation précoce, de trop longues périodes de silence forcé, puis un accomplissement frénétique dans la vieillesse. Plutôt que de se plaindre amèrement des offenses qui lui sont faites, Oliveira a trouvé en Vieira un frère en solitude qu’il chérit, un parent en inquiétude qu’il a servi en livrant beaucoup de lui-même. Et quand il se filme en train de veiller le corps du vieux combattant qui aura tant prêché dans le désert, mais dont l’œuvre continue de fasciner, c’est un clin d’œil amusé de vieux sage en même temps que l’ultime hommage d’un génie zénithal à un autre. Oliveira accompagne le dernier soupir du père Vieira. Mais lui n’est pas près de rendre le sien. Le plus grand cinéaste du monde vient d’ailleurs d’achever un nouveau film. La lutte continue.
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