Bong Joon-ho se tourne vers le huis clos, et délivre une œuvre brillante sur la lutte des classes, portée par un chaos salvateur.
Invité par surprise parmi les favoris de la Palme (ovation maousse, étoiles critiques dithyrambiques) depuis sa présentation, Parasite n’est pas sans rappeler, par sa galerie de personnages, le palmé en titre, Une affaire de famille : une famille de débrouillards et d’arnaqueurs, vivant dans une joyeuse misère rythmée tant par la filouterie permanente que par une espèce de morale du plaisir.
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Mais là où Kore-eda allait capter la bienveillance, la tendresse commune des laissés-pour-compte, Bong Joon-ho fait évidemment le contraire. C’est la haine contenue, la rage de classe, la soif de sang des dominés, ainsi que toute la violence symbolique par laquelle les dominants l’engendrent, qui intéresse le réalisateur de The Host, de retour en Corée après deux films en langue anglaise (Snowpiercer et Okja), pour un format nouveau pour lui (un huis clos façon maison de poupée, bien loin de ses grands spectacles en entrailles urbaines). Parasite démarre par une arnaque bon enfant : une famille de prolos bidonne ses références pour recruter ses membres un à un dans le personnel de maison d’une villa bourgeoise, en dissimulant ses liens de sang, dans le but d’abuser en douce de leur hospitalité.
Un retour en force pour le cinéaste coréen
Un canevas chabrolien dont le film ne manque pas de récolter les fruits, attrapant à la volée les humiliations de classe que cette étrange télé-réalité marxiste occasionne, commentaire odieux sur les odeurs corporelles, fossé des habitudes gastronomiques, etc. – mais Bong, qui aime bien sûr cette petite musique, aime encore bien plus le chaos, la remontée d’une fureur et d’une folie plus primitive que celle du théâtre de mœurs. Et Parasite explose : la médiocrité des hommes devient une pure monstruosité, la mesquinerie de classe se transforme en barbarie incendiaire, et bientôt quelque chose (qu’il est difficile de révéler : Bong est avec Tarantino le deuxième réalisateur cette année à s’exprimer fébrilement contre le risque de spoil journalistique) tourne comme un mauvais lait, poussant le film vers une espèce de conte déliré comme un cauchemar, qui garde certes Chabrol à vue mais nage vigoureusement vers l’horrifique. Manière de revenir en Corée en même temps qu’à ses fondamentaux : un rituel féroce d’entre-dévoration des hommes, aussi drôle que bestial, et que Bong retrouve ici en ligne claire, sous la forme la plus limpide et la plus simplifiée explorée jusqu’ici par le cinéaste.
Parasite de Bong Joon-ho, avec Song Kang-Ho, Cho Yeo-jeong, So-Dam Park (Corée du Sud, 2019, 2h12)
Sélection officielle, compétition
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