PAGES CACHÉESd’Alexandre Sokourov, avec Aleksandr Cherednik, Elizaveta Koroljova, Sergei Barkovskii (1993, Russie, 80 mn) Sokourov pousse à son apogée de poésie, de folle délicatesse, d’insondable mélancolie, la morbidité du cinéma. Alexandre Sokourov est un peintre qui a fait du cinéma son moyen d’expression. Dans le fabuleux Pages cachées, qui évoque un monde clos et minéralisé, […]
PAGES CACHÉES
d’Alexandre Sokourov, avec Aleksandr Cherednik, Elizaveta Koroljova, Sergei Barkovskii (1993, Russie, 80 mn)
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Sokourov pousse à son apogée de poésie, de folle délicatesse, d’insondable mélancolie, la morbidité du cinéma.
Alexandre Sokourov est un peintre qui a fait du cinéma son moyen d’expression. Dans le fabuleux Pages cachées, qui évoque un monde clos et minéralisé, une Babel lacustre imaginée par un maniériste fin de (XIXe) siècle, un cloaque urbain paraissant nimbé d’une fine pellicule de cendres, il se réfère explicitement au paysagiste Hubert Robert et implicitement aux architectures dantesques de Piranèse dans ses dessins de prisons imaginaires. Bien sûr, le cadre architectonique de Pages cachées n’est qu’un cadre. Mais il est consubstantiel aux errances du personnage principal, qu’on prend d’abord pour un dealer/ dragueur à la Koltès/Chéreau et qui s’avère peu à peu, quand les brumes s’estompent et que les lancinants travellings sur des façades aussi vertigineuses qu’antédiluviennes se stabilisent, une transposition abstraite du Raskolnikov dostoïevskien. Cette adaptation aquatique et stratosphérique de Crime et Châtiment progresse par allusions, comme si le cinéaste n’avait choisi d’illustrer que les entre-deux du roman, ses « pages cachées », son âme plutôt que son intrigue ; les rares informations signifiantes n’en acquièrent que plus d’intensité, nous faisant frémir d’incertitude quant à la nature maléfique de ce vagabond, tantôt malmené, tantôt jouant au chat avec la souris Sonia. On pense aussi à Kafka, notamment lors d’une scène avec un bizarre fonctionnaire. Mais foin de littérature ! Elle compte moins ici que la douceur poisseuse de ces visions de purgatoire, où des damnés sautent dans le vide, où le héros se love en position f tale sous une monumentale lionne de pierre.
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