Othello de Welles revient dans une version restaurée. L’une des meilleures adaptations de Shakespeare au cinéma.
Comme la plupart des projets de Welles, Othello a connu, entre sa conception et sa réalisation, une histoire plus que mouvementée. Ce film est sans doute celui que Welles a eu le plus de mal à boucler, celui qui a nécessité le plus de passion, d’engagement, d’héroïsme. Dès 1948, Welles songe à adapter la pièce de Shakespeare et décide de commencer le tournage à Venise. Le résultat, peu convaincant, le pousse à changer la distribution. Pour interpréter le rôle de Iago, il fait appel à Michael Mac Liammoir, acteur venu du Gate Theatre de Dublin, et convoque également Alexandre Trauner pour les décors. Jusqu’en 1952, date de sa sortie et de son triomphe au Festival de Cannes, le tournage d’Othello se poursuivra par saccades, ponctué de rocambolesques péripéties financières et marqué par les pérégrinations de la troupe qui ne cessera de faire la navette entre l’Italie et le Maroc. La plus grande partie du film semble tournée à Mogador (Essaouira), dans la magnifique citadelle faite de corridors, d’escaliers et de cours labyrinthiques, qui sert de toile de fond au drame de la jalousie d’Othello. Mais ce qui apparaît à l’écran comme un lieu unique n’est en fait que l’accumulation de multiples endroits, comme l’explique Welles dans Filming Othello réalisé en 1978 pour la télévision: Iago sort du portique de Torcello ? une île vénitienne pour entrer dans une citerne de la côte africaine. Il a traversé le monde et changé de continent en plein milieu d’une phrase. Dans Othello, cela arrive tout le temps, un escalier toscan se conjugue avec un rempart marocain pour constituer un lieu unique. Paradoxalement, si Othello a autant voyagé, c’est aussi parce que c’est un film fauché. Si l’on voit très souvent des silhouettes de dos, c’est parce que Welles fignolait ses contrechamps à plusieurs mois d’intervalle; il tournait principalement en plans courts (ce qui donne au film son formidable dynamisme) pour des raisons d’économies. Le meurtre de Roderigo, enfin, Mac Liammoir est tourné dans un bain turc parce que les costumes, fabriqués en Italie, n’étaient pas arrivés. Au-delà des anecdotes de tournage, le résultat reste un chef-d’œuvre, proposé aujourd’hui dans une belle version restaurée à la bande-son impeccable. On a beaucoup reproché à Welles les coupes qu’il a fait subir au texte original. Mais le texte remanié et allégé peut être considéré comme une épure de drame shakespearien. Chez Welles, la jalousie est le point nodal de la tragédie: tout est mis en oeuvre par Iago, cette incarnation d’un mal sans mobiles, pour nourrir la jalousie, jusqu’à la folie. Prodigieusement monté par Welles lui-même (les dix premières minutes à Venise sont particulièrement ébouriffantes), faisant preuve d’une inventivité formelle tourbillonnante qui reste toutefois toujours au service du récit, le film est construit comme un immense flash-back circulaire: il se referme, comme il s’était ouvert, sur les lentes funérailles d’Othello et de Desdémone.
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