Le grand retour annoncé de la meilleure franchise comique française post-2000 s’engouffre dans une impasse d’autocitation fatiguée et fatigante.
“Deux jours après l’explosion qui a ravagé Beyrouth, il était le premier chef d’État à proposer son aide au peuple libanais. Un an après, le bilan est amer : Emmanuel Macron a découvert qu’au Liban, les choses sont toujours plus compliquées…” Vertige en allumant ce midi l’autoradio (dont on retranscrit de mémoire le bulletin d’info), à la sortie du nouvel OSS 117 : au terme d’une décennie d’absence, le meilleur espion français s’est fait complètement coiffer au poteau par le réel, doublé par un challenger des plus coriaces – aussi bien en termes de paternalisme replet que de préjugés méprisants.
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De quoi accentuer l’impression que le personnage, lui, est totalement rouillé. Rouillé d’une manière étrange, évoquant un autre comeback récent d’une gloire de la satire raciste 2000s : celui de Borat, revenu à l’automne 2020 dans un film reprenant scrupuleusement la même recette qu’il y a 15 ans, mais qui s’est avérée ne plus réussir à désigner autre chose que la recette elle-même, sans que cette dernière ne retrouve la moindre prise sur le monde.
Nostalgie ?
Chez OSS, c’est pareil, même si ça se voit moins, parce que les films sont des reconstitutions d’époque et non des documenteurs au présent. Mais Bonisseur de la Bath, qui a toujours été nostalgique de quelque chose – d’une France révolue, ou en cours d’extinction –, ne semble désormais plus nostalgique que de lui-même. Nicolas Bedos, à la réalisation, mais surtout Jean-François Halin, toujours au scénario, ont une peur panique de le déplacer, qui se trahit par une insistance navrante à répéter les motifs déjà connus du personnage et de la franchise. Scènes (l’entrevue avec le dictateur, la drague à la piscine…) et répliques (“Vous êtes français ? – Passionnément”) ne reposent plus que sur le clin d’œil, l’écho d’autres scènes et d’autres répliques, soit purement et simplement répétées, soit gentiment reprises à contrepied mais pour un même résultat : le film n’a aucune autonomie.
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Une opération de patrimonialisation pop qui vient sûrement servir de cache-misère à un problème de caractérisation du personnage, que le film peine à faire exister, voire n’est plus du tout capable de définir clairement. À la fois invincible et bon à rien, stupide et ingénieux, candide et acariâtre, OSS semble en permanence balancé entre des vents contraires et chaotiques qu’on soupçonne de provenir d’une difficulté à assumer pleinement désormais ce white male, débordant de préjugés, dont le film a toujours l’air de vouloir s’excuser. Illustration embarrassante de ce va-et-vient : les fantasmes homosexuels refoulés, balancés opportunément pour “contrebalancer” – donc justifier ? – l’homophobie du personnage, sans que le film n’y revienne ensuite jamais.
Bedos, lui, n’y est probablement pas pour grand chose : même si on l’imagine plutôt sensible à la question de la nostalgie, on ne décèle sa présence que dans une poignée de références obsessionnelles à son grand sujet, la fellation (on entend deux fois Les Sucettes à l’Anis).
“Le monde a changé, pas lui”
Sans grâce et impersonnel, OSS 117 n’est hélas plus du tout un objet de cinéma, contrairement aux deux volets signés Michel Hazanavicius, en forme de “comédies cinéphiles” dont la pratique de la satire se fondait en grande partie sur un rapport esthétique au cinéma des années 1950 (pour Le Caire) puis 1960 (pour Rio). À l’exception d’un générique introductif amusant, et d’un Dujardin grimé en icône d’action eighties vieillissante façon Connery ou Bébel, Alerte rouge en Afrique noire ne se foule pas sur les gimmicks années 1980 et ressemble plutôt à une de ces adaptations contemporaines trop chères de BD franco-belge, c’est-à-dire à un film essentiellement réalisé par un producteur et un plan de travail.
La première tagline du film – “le monde a changé, pas lui” – qui accompagnait les premières bandes-annonces diffusées apparaît donc comme plus justifiée que jamais tant elle s’applique finalement encore plus au film qu’au personnage. OSS 117 n’a sur le papier pas changé : il répète les mêmes blagues, les mêmes petites phrases autosatisfaites, les mêmes techniques de drague, les mêmes mouvements de sourcils, les mêmes commentaires racistes ou misogynes. Il ne sait juste plus très bien pourquoi il joue à tout ça, et ça commence discrètement à le mettre un peu mal à l’aise. Nous aussi.
OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire de Nicolas Bedos, avec Jean Dujardin, Pierre Niney, Fatou N’Diaye, Natacha Lindinger, Wladimir Yordanoff (2021, France, 1 h 56). En salle le 4 août.
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