Révélé par le deuxième film d’Abdellatif Kechiche, ce kid des banlieues a connu une brève notoriété avant de déchoir. Il raconte son dur retour à la réalité dans un récit fougueux.
Enfant, Osman voulait être vendeur de voitures. Son père le conduisait en Jaguar à l’école. La directrice trouvait ça “chelou”. Mais pas lui. Il avait 8 ans, sa vie était calme, c’est-à-dire pleine d’amour. Le soir, sa mère venait le chercher et ils rentraient à Colombes, dans leur maison adossée à la cité des Grèves : une plaque tournante de la drogue. Il y avait un jardin, des arbres. Une cabane où Osman allait jouer, entre deux parties de basket, avec son grand frère, ses sœurs et leurs trois chiens : deux rottweilers et un briard.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Cette maison, nous lui faisons face, sous un grand soleil, en ce lundi 18 avril. Osman nous montre des traces de pinceau : c’est lui qui a repeint la palissade, il y a des années, avant la mise en vente du pavillon. Trop de tragédies s’y étaient déroulées, la mort de sa mère en 1998, foudroyée par une rupture d’anévrisme.
Repéré par une directrice de casting aux Quatre Temps
A 10 ans, Osman se retrouve orphelin : il ignore que son père est en prison au Maroc pour trafic, et on le place chez ses grands-parents kabyles. Ils regardent Les Feux de l’amour. Osman s’ennuie. Il retourne habiter, avec ses frères et sœurs, le pavillon familial. En marge du collège, il commence à faire des conneries : vol de scooters, cambriolages, razzia de sacs à main dans les clubs de tennis, “des lieux de bourges”.
A 13 ans, il traîne à la Défense. Comme la plupart des kids d’Asnières et Courbevoie, l’ado passe ses après-midi au centre commercial Les Quatre Temps, où encore aujourd’hui il serre la main à quelques vieux potes. C’est ici que “tout a commencé”. Près du magasin Auchan, où il venait s’approvisionner en bonbons avant de resquiller au cinéma, il est accosté par une femme qui se dit directrice de casting et le convoque pour des essais.
Plusieurs mois plus tard, alors qu’il a oublié cette journée, son portable sonne : il a “tapé dans l’œil du réalisateur”, et sera le héros du deuxième long métrage d’Abdellatif Kechiche. Osman interprétera Krimo, un jeune gars de cité amoureux de l’exubérante Lydia, jouée par Sara Forestier. Le tournage a lieu un an plus tard, après d’intenses répétitions dans un appartement à Belleville.
Embrouilles sur le tournage avant l’orientation en électrotechnique
Durant cette période, Abdel est “cool”, presque un père. Osman, qui n’a plus ses parents, s’identifie à son personnage. Kechiche est attentif, lui “achète même un portable”. Mais pendant le tournage, il y a une “embrouille” : mis sous pression par la production, en raison des dépassements de budget, Kechiche se durcit avec son équipe, à qui il colle des heures sup, et avec ses acteurs. Il faut parfois refaire “cinquante fois une scène de deux minutes” : la “méthode Kechiche”, officialisée au moment de la sortie de La Vie d’Adèle.
Osman se fait cracher au visage par une actrice. On l’engueule parce qu’il mange une orange. Il veut “quitter le navire”. Le réalisateur le rattrape in extremis. En 2004, quand le film est sorti, bien sûr qu’il a pu “se la jouer”. Sa photo est partout et il est invité à la télé, chez Ardisson. Mais quelque chose cloche : sa rébellion l’a mis à l’écart.
Il n’assure qu’en partie la promotion du film qui enregistre 300 000 entrées et quatre César. Osman est orienté en section electrotechnique d’un lycée professionnel, tout en prolongeant une carrière fragile d’acteur, entre castings et cours Florent. Mais on ne “peut pas faire l’acteur longtemps si on n’a pas de thunes”.
Vente de « bédo » à Nanterre et un film avec Laetitia Casta
L’argent gagné sur le film est bloqué jusqu’à sa majorité – à 18 ans, quand il se rendra enfin à la Caisse des dépôts et des consignations, on lui remettra une enveloppe contenant 2 700 euros : son salaire pour avoir tenu le rôle principal de L’Esquive.
Osman enchaîne les petits rôles : un film avec Laetitia Casta par-ci, une série par-là (SOS 18). On lui propose de jouer des “mecs de banlieue”, des “faux musulmans”. Dans son lycée, c’est le “bordel” – au sens littéral. Il s’est mis à vendre du “bédo” aux Damades, un quartier chaud de Nanterre. La survie. L’anti-Esquive et son image angélique des banlieues.
Entre 19 et 23 ans, il est employé chez Oscaro (un entrepôt de pièces détachées de voiture), est brancardier, éboueur… Une vie de débrouille frappée à nouveau par un double deuil : la mort de son meilleur ami, après celle de son père à la suite d’un empoisonnement. Osman avait eu le temps d’aller le voir une fois après sa sortie de prison. Il sait qu’il ne remontera jamais dans une Jaguar avec lui.
Balloté de foyers sociaux en bas-fonds de la Défense
C’est le début de sa “descente”. Après la vente de la maison, la dispersion de ses frères et sœurs, il n’a plus d’endroit où crécher. Osman continue de voir ses potes du “ghetto”, mais la nuit, il est SDF. Il dort “à droite, à gauche”, dans des caves “ouvertes au pied-de-biche”, des cages d’escalier. Nous visitons en scooter ces lieux où il passa une nuit, parfois plusieurs : le foyer social des Fauvelles à Courbevoie, des préfabriqués de chantier, un local à poussettes… Ses pires moments, il les a vécus à la Coupole : les bas-fonds de la Défense, un “cimetière” de magasins vides, de cabines téléphoniques brisées, de banques et de bureaux de tabac détruits. Un vrai “film d’horreur”.
Cette zone est aujourd’hui murée derrière un Club Med Gym. Osman se souvient des nuits sans sommeil dans un centre culturel juif abandonné, à la lueur de bougies portant l’inscription “Joyeux Hanouka”. Chaque jour, il a cru devenir fou, mais il faisait bonne figure, enfilait son polo Lacoste impeccable. Des gens l’ont soutenu : une tante de Bordeaux, une éducatrice nommée Juliette, le coauteur de son livre, Raymond Dikoumé, qui l’a aidé à raconter son histoire dans un style cash et bouleversant. On en recommande la lecture à Kechiche.
Confessions d’un acteur déchu d’Osman Elkharraz et Raymond Dikoumé (Stock), 232 pages, 18,50 €
{"type":"Banniere-Basse"}