“Anatomie d’une chute” obtient l’Oscar du meilleur scénario original, sans pour autant écorner la consécration du biopic atomique de Christopher Nolan.
L’Oscar d’Anatomie d’une chute restera dans les annales comme un formidable exploit ; il a ce matin encore le goût de quelque chose dont il faut se contenter. La série de récompenses remises ces derniers mois au film, dépeint quelque peu exagérément par la presse française en “gagne-tout” – en effet reparti de la plupart des cérémonies américaines avec des prix, mais sans écraser la concurrence pour autant –, avait pu faire naître ici l’espoir d’un couronnement suprême, celui du meilleur film, ou multiple, avec un prix à Sandra Hüller ou au monteur Laurent Sénéchal, par exemple.
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Il repart finalement de Los Angeles avec un seul trophée, que Justine Triet et Arthur Harari ont déjà gagné partout ailleurs : celui du meilleur scénario original. Pas de quoi se démonter, comme l’a posté hier leur producteur David Thion : la statuette reste une prouesse rarissime pour le cinéma d’auteur français, et Triet est désormais dans l’orbite hollywoodienne.
Deux films victorieux
Avancée d’une heure, ce qui l’a notamment rendue plus praticable pour les spectateurs européens (achevée à une heure avancée de la nuit, mais pas non plus à l’aube), la 96e cérémonie des Oscars aura de manière plus générale accompli toutes les prédictions les plus probables, récompensant les leaders naturels de la plupart de ses catégories au détriment des outsiders, qui d’habitude parviennent à marquer un ou deux buts surprise, mais sont restés cette nuit sagement assis dans la salle.
À ce jeu, deux films sortent victorieux. Le premier, Oppenheimer, était sans doute le seul véritable objet de la saison mêlant grand spectacle et grand style dans les registres attendus : sa victoire, matérialisée par sept statuettes dont celles de meilleur film, meilleure réalisation pour Christopher Nolan (sa première – ne pas la lui remettre aurait commencé à ressembler à une injustice), meilleur acteur pour Cillian Murphy ou encore meilleur second rôle pour Robert Downey Jr (au préjudice notable de Ryan Gosling, interprète d’un I’m Just Ken exalté sur la scène du théâtre Dolby), ne semble à vrai dire que naturelle. Le second, Pauvres créatures, complète par quatre récompenses le tableau de l’auteurisme plébiscité à Hollywood en 2024 : un cinéma qui en impose, un art de l’effet, une virtuosité qui se voit.
Les autres se partagent les miettes, et les rentes de leurs niches respectives. On notera la (petite) surprise du meilleur scénario adapté remis au pas si anodin American Fiction, qui a en début de cérémonie laissé planer un vague parfum rapidement dissipé de déroute pour Oppenheimer en l’emportant au nez et à la barbe de Nolan.
Débâcle du côté des plateformes
Les victoires étaient plus attendues pour 20 jours à Marioupol au documentaire, Le Garçon et le Héron à l’animation (troisième Oscar pour Hayao Miyazaki en comptant celui d’honneur de 2014), et La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar au court-métrage, qui marque le tout premier sésame de Wes Anderson – bien que dans une catégorie qui peut sembler renvoyer son art au grade de la boule à neige.
Au rayon “snubs” – l’expression consacrée pour désigner les malheureux perdants que l’opinion n’imaginait pas repartir bredouilles –, c’est une notable débâcle du côté des plateformes : Maestro, de Bradley Cooper, et Killers of the Flower Moon, de Martin Scorsese, rentrent sans la moindre récompense. Leurs opérateurs, Netflix et Apple, qui n’en sont pas à leurs premières déceptions de ce type, peinent à faire exister leurs films aussi royalement que nécessaire pour capter les ultimes sésames.
La déception est remarquablement grande pour Lily Gladstone, coiffée à l’Oscar de la meilleure actrice par une Emma Stone qui a néanmoins tenu à le “partager avec [elle]”. Les applaudissements chaleureux de la salle, donc de membres qui n’ont pas voté pour elle, sonnent moins comme une consolation que comme une vaste hypocrisie pour celle qui était la toute première Amérindienne nommée dans cette catégorie.
Un Jimmy Kimmel offensif
Hypocrisie d’ailleurs dénoncée à un autre endroit (à propos de Gerwig pareillement traitée, lorsque le présentateur a déploré qu’elle ne fût pas nommée en réalisatrice : “N’applaudissez pas, c’est vous qui n’avez pas voté pour elle !”) par un Jimmy Kimmel plutôt offensif dans la peau du maître de cérémonie.
Le host, qui en est à sa quatrième édition, s’est montré plus mordant et corrosif que d’habitude, sans pousser jusqu’à la sulfateuse calibre Ricky Gervais, mais en attaquant de façon assez habitée les sujets qui fâchent, à commencer par les plaies encore ouvertes des grèves de 2023 : une pique acide envoyée au syndicat des réalisateur·rices (qui s’était immédiatement désolidarisé du mouvement naissant des scénaristes et des acteur·rices) et un soutien net et franc envoyé aux technicien·nes de l’Alliance internationale des employés de scène, de théâtre et de cinéma (IATSE, dont les négociations syndicales commencent justement et que le présentateur a appelé sur scène sous les applaudissements de la salle) ont compté parmi les rares moments forts de cette cérémonie sans grand relief.
Le palmarès complet
Meilleur film : Oppenheimer, de Christopher Nolan
Meilleure réalisation : Christopher Nolan, pour Oppenheimer
Meilleure actrice : Emma Stone, pour Pauvres créatures
Meilleur acteur : Cillian Murphy, pour Oppenheimer
Meilleure actrice dans un second rôle : Da’Vine Joy Randolph, pour Winter Break
Meilleur acteur dans un second rôle : Robert Downey Jr., pour Oppenheimer
Meilleur scénario original : Justine Triet et Arthur Harari, pour Anatomie d’une chute
Meilleur scénario adapté : Cord Jefferson, pour American Fiction
Meilleure musique de film : Ludwig Göransson, pour Oppenheimer
Meilleure chanson originale : What Was I Made For ? de Billie Eilish et Finneas O’Connell, pour Barbie
Meilleur film étranger : La Zone d’intérêt, de Jonathan Glazer (Royaume-Uni)
Meilleur film d’animation : Le Garçon et le Héron, de Hayao Miyazaki et Toshio Suzuki
Meilleur film documentaire : 20 jours à Marioupol, de Mstyslav Chernov
Meilleurs maquillage et coiffure : Nadia Stacey, Mark Coulier et Josh Weston, pour Pauvres créatures
Meilleurs costumes : Holly Waddington, pour Pauvres créatures
Meilleurs décors : James Price, Shona Heath et Zsuzsa Mihalek, pour Pauvres créatures
Meilleure photographie : Hoyte van Hoytema, pour Oppenheimer
Meilleur montage : Jennifer Lame, pour Oppenheimer
Meilleur son : Tarn Willers et Johnnie Burn, pour La Zone d’intérêt
Meilleurs effets visuels : Takashi Yamazaki, Kiyoko Shibuya, Masaki Takahashi et Tatsuji Nojima, pour Godzilla Minus One
Meilleur court-métrage de fiction : The Wonderful Story of Henry Sugar, de Wes Anderson
Meilleur court-métrage d’animation : War Is Over! Inspired by the Music of John & Yoko, de Dave Mullins
Meilleur court-métrage documentaire : The Last Repair Shop, de Kris Bowers et Ben Proudfoot
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