A l’issue d’une soirée plutôt morne, le film de Bong Joon-ho a écrasé la concurrence avec des victoires dans les catégories les plus prestigieuses. Comme prévu, Renée Zellweger et Joaquin Phoenix ont gagné, tandis que Brad Pitt a remporté son premier Oscar.
A l’issue de son marathon de récompenses, débuté à Cannes en mai 2019, on s’attendait à voir Bong Joon-ho triompher aux Oscars. Mais sa domination sur la cérémonie, dans l’ensemble plate et sans surprise, fut encore plus éclatante que prévue : avec quatre statuettes (pour six nominations), parmi les plus prestigieuses (meilleur film, réalisateur, scénario original et film international), Parasite a déjoué la plupart des pronostics, s’installant tranquillement dans l’histoire comme l’un des films étrangers les plus oscarisés (aux côtés de Roma, The Artist et Tigre et Dragon). Bong lui-même, fixant longuement sa première statuette de la soirée (pour le scénario), semblait ne pas y croire.
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Comment l’expliquer ? Outre la campagne bulldozer menée par son distributeur Neon, il semble que Parasite a profondément fasciné son public américain, stupéfait de voir Hollywood battu sur son propre terrain – ne disait-on pas il y a treize ans, au moment de The Host, qu’il y avait du Spielberg chez ce jeune Coréen virtuose ? Par ailleurs, son discours sur la lutte des classes, dans l’air du temps, n’est sans doute pas étranger à son succès.
Un hommage à ses pairs
S’il y a quelque chose d’un peu injuste à voir Parasite gagner à la fois dans les catégories américaines (qui deviennent de fait universelles) et internationale (anciennement nommé “langue étrangère”), laissant Douleur et Gloire, après Cannes, à nouveau Gros-Jean comme devant, on peut se réjouir qu’un film aussi brillant soit célébré au sein de l’Académie des Oscars, généralement peu en phase avec le pouls du cinéma mondial. Répétant à l’envi qu’il considérait les Oscars comme une sympathique cérémonie locale, et que les Américains gagneraient tellement à s’ouvrir aux sous-titres, le cinéaste coréen a prononcé l’essentiel de ses discours dans sa langue natale, y rendant hommage à Martin Scorsese “qui lui a tant appris” et à Quentin Tarantino, “qui l’a tant poussé”. Très classe, Big Bong.
Et les perdants sont…
Le grand perdant se nomme du coup The Irishman (aucune récompense pour Scorsese malgré ses dix nominations, mais on s’en doutait) et le petit perdant 1917 de Sam Mendes, favori des bookmakers qui ne repart qu’avec trois Oscars techniques (meilleur mixage, meilleurs effets spéciaux et meilleure photographie, pour le grand Roger Deakins). Tarantino peut de son côté être amer d’avoir à nouveau vu lui échapper l’Oscar du meilleur réalisateur, ainsi qu’un troisième trophée du meilleur scénario, qui lui aurait permis d’égaliser le record de Woody Allen. Mais il a pu se consoler avec le meilleur décor (les votants, pour la plupart angelinos, ayant su reconnaître son travail de reconstitution extraordinaire), et surtout offrir à Brad Pitt le premier Oscar de sa carrière, en second rôle certes, avec son fabuleux Cliff Booth. Le discours de remerciement de ce dernier, sobre et élégant, aura offert une des rares saillies politiques de la soirée : “on m’a dit de ne pas parler plus de 45 secondes, c’est toujours 45 secondes de plus que John Bolton devant le Sénat.” Pas sûr que Donald Trump en soit profondément affecté, mais ça ne mange pas de pain.
Joaquin Phoenix, comme prévu, a gagné dans la catégorie meilleur acteur pour Joker, et comme prévu, a fait de son discours une vibrante, et tremblante, tribune pour le droit des minorités et des animaux, apparaissant comme le héros woke de la soirée. Ironie, quand on se souvient que le film de Todd Phillips fut soupçonné, à sa sortie, de faire le lit des incels et d’ouvrir la voie à toutes sortes de violences publiques dont, six mois plus tard, nous n’avons toujours (et heureusement) pas vu la trace.
Les bookmakers n’ont pas été contredits non plus en ce qui concerne les meilleures actrices : leading à Renée Zellweger pour son biopic académique de Judy Garland ; supporting à la merveilleuse Laura Dern, en avocate de divorce retorse dans Marriage Story (qui n’aura rien gagné d’autres, hélas). Il y eut bien quelques vannes attendues sur le manque de femmes nominées, mais on notera que les deux films centrés sur des personnages féminins, Scandale et Les Filles du Docteur March, sont repartis respectivement avec meilleur maquillage et meilleur costume… Le Mans 66, dernier grand film produit par la Fox avant qu’elle ne soit avalée par Disney, fut quant à lui honoré pour son montage et son montage son, tandis que Jojo Rabbit, lui aussi produit par la Fox et tout à fait raccord avec les valeurs de son nouveau propriétaire (feelgood, easy watching), s’arrogeait le prix du meilleur scénario adapté.
Une cérémonie plate
Sans le moindre fait saillant durant les discours (rien de comparable au monologue déluré d’Adam Sandler la veille aux Independant Spirit Awards), la cérémonie n’a pas davantage brillé entre ces discours : ce fut un long tunnel (3h30) propret et calibré, veillant à ne fâcher personne, troué de quelques sketchs valeureux – outre les paires Maya Rudolph/Kristen Wiig et Julia Louis-Dreyfus/Will Ferrell, James Corden et Rebel Wilson ont réussi, dans un exercice d’autodérision acrobatique, à retomber sur leurs pattes –, et surtout d’interludes musicaux pompeux.
La palme (si l’on peut dire) revenant à Eminem, convoqué sans raison apparente pour rapper son Lose Yourself devant un parterre mi-emballé mi-décontenancé, avant de se faire visuellement okboomer par Billie Eilish, dont le visage, machine à memes, semblait demander “qu’est-ce qu’il fait, qu’est-ce qu’il a, qui c’est celui-là ?” La même se fendra un peu plus tard, lors du in memoriam, d’une reprise dégoulinante de Yesterday des Beatles, qui devrait toutefois l’empêcher de la ramener. Bref, en supprimant le poste de présentateur l’an dernier (suite au scandale Kevin Hart), ABC a du même coup aseptisé son show, pour en faire ce robinet d’eau tiède, pas désagréable mais terriblement convenu.
Le liste complète des gagnants :
Meilleur film
Parasite de Bong Joon-ho
Meilleur réalisateur
Bong Joon-ho, Parasite
Meilleure actrice
Renée Zellweger, Judy
Meilleur acteur
Joaquin Phoenix, Joker
Meilleure actrice dans un second rôle
Laura Dern, Marriage Story
Meilleur acteur dans un second rôle
Brad Pitt, Once upon a Time… in Hollywood
Meilleur film international
Parasite, de Bong Joon-ho
Meilleur film d’animation
Toy Story 4, de Josh Cooley, Mark Nielsen and Jonas Rivera
Meilleur film documentaire
American Factory, de Steven Bognar, Julia Reichert and Jeff Reichert
Meilleur court métrage de fiction
The Neighbor’s Window, de Marshall Curry
Meilleur court métrage d’animation
Hair Love de Matthew A. Cherry and Karen Rupert Toliver
Meilleur court métrage documentaire
Learning to Skateboard in a Warzone (If You’re a Girl), de Carol Dysinger and Elena Andreicheva
Meilleure photographie
Roger Deakins, 1917
Meilleur scénario original
Bong Joon Ho, Han Jin Won (Parasite)
Meilleur scénario adapté
Taika Waititi (Jojo Rabbit)
Meilleure chanson originale
(I’m Gonna) Love Me Again – Elton John, Bernie Taupin (Rocketman)
Meilleure musique de film
Hildur Guðnadóttir (Joker)
Meilleur mixage de son
Mark Taylor, Stuart Wilson (1917)
Meilleur montage de son
Donald Sylvester (Le Mans 66)
Meilleur montage
Michael McCusker, Andrew Buckland (Le Mans 66)
Meilleurs effets visuels
Guillaume Rocheron, Greg Butler and Dominic Tuohy (1917)
Meilleure création de costumes
Jacqueline Durran, Les Filles du Docteur March
Meilleurs décors
Barbara Ling, Nancy Haigh (Once Upon a time… In Hollywood)
Meilleurs maquillages et coiffures
Kazu Hiro, Anne Morgan and Vivian Baker (Scandale)
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