Entre fiction et documentaire, sacré et trivial, le fascinant portrait d’une strip-teaseuse en réincarnation contemporaine de Jeanne d’Arc.
Voilà quelque temps déjà que l’on avait inscrit très haut sur nos tablettes le nom du jeune cinéaste Virgil Vernier qui, de film en film (Commissariat, Pandore, Thermidor…), trace une ligne singulière et cohérente à mi‑chemin entre le documentaire et la fiction.
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Adoubé par la plupart des festivals défricheurs, ce long travail méthodique qu’il mène sur les genres et leurs frontières instables, sur le regard et ses manipulations, semble trouver aujourd’hui sa forme la plus accomplie et ambitieuse avec son dernier opus, Orléans. C’est un film court (58 minutes) mais ample, qui n’a pas peur de mélanger les registres et les époques, ni de puiser son imaginaire dans la mythologie française ou de brouiller les pistes.
Ainsi faut‑il d’abord se méfier de son introduction, qui nous lance sur l’hypothèse trompeuse d’un documentaire dans une suite de banals plans informatifs, topographiant la ville d’Orléans, son architecture, ses édifices historiques et ses routes empruntées par des passants anonymes. Il faut s’en méfier car Virgil Vernier a une autre idée en tête, un autre sujet à filmer, qui le conduit dès la tombée de la nuit dans un club de strip-tease lugubre, comme aimanté par les lueurs rouges des néons sous lesquels danse une belle effeuilleuse dont on va peu à peu découvrir l’identité.
Elle s’appelle Joane, elle doit avoir à peine 20 ans et rêve de “monter à la capitale” pour y faire carrière. En attendant, elle se déshabille le soir, l’œil triste, et déambule le jour dans les rues orléanaises, où elle connaîtra sa première révélation mystique à l’occasion d’une messe collective célébrant comme chaque année la mémoire de Jeanne d’Arc.
Entre la légende de la Pucelle d’Orléans et le parcours contemporain de cette héroïne strip-teaseuse, on comprend dès lors qu’une seule et même histoire se raconte selon Virgil Vernier : une histoire d’éternelle jeunesse, d’humiliation et de femmes sacrifiées, dont il va filmer la persistance à travers les siècles.
Partant de ce constat, selon lequel le mythe de Jeanne d’Arc peut être ouvert à toutes les interprétations et identifications, Orléans dresse ainsi un fascinant portrait en miroir de deux femmes victimes de leur époque en opérant une série de rapprochements élusifs. Ce sont des images du présent qui se fondent aux gravures anciennes, des chants religieux qui dérivent en messe electro, une barre de pole dance qui ressemble au pieu d’un bûcher, et toutes autres rimes visuelles reliant le calvaire de Jeanne d’Arc à celui de la strip-teaseuse.
La grande force du film, sa beauté vénéneuse, tient précisément dans ces écarts qu’il provoque dans son dispositif documentaire, basculant peu à peu en rêverie hallucinée, quelque part entre Jacques Rozier et Kenneth Anger.
Il y a là l’affirmation d’un style en même temps qu’un geste politique fort (reprendre le mythe de Jeanne d’Arc aux idéologies, lui redonner son mystère) qui, au moment de la sortie du film, le 1er mai, devrait sans aucun doute trouver un écho particulier.
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