Quentin Tarantino a lancé à Los Angeles la tournée de présentation de son nouveau livre, “Cinema Speculation”. L’occasion notamment d’apprendre ce qui lie la culture afro-américaine à la vie et l’œuvre du réalisateur.
C’est la foule des grands soirs devant le Ace Hotel Theater en ce jeudi 3 novembre. La plus belle, et l’une de ses plus anciennes salles de spectacle de Downtown Los Angeles, construite en 1927 par Charlie Chaplin et Marie Pickford, accueille ce soir une autre légende du cinéma dont le nom s’affiche s’affiche en lettres lumineuses sur la marquise : Quentin Tarantino.
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Le show est complet : ce sont pas moins de 1600 personnes qui ont déboursé au moins 75 dollars pour avoir la chance d’écouter le volubile réalisateur présenter son premier essai, Cinema Speculation, à l’occasion d’un book tour organisé par Live Nation.
Tout ici a l’allure d’un concert. Et en bonne rock star, QT arrive fashionably late sur la sublime scène gothique du Ace, en jean noir, chemise noire, blouson noir, bottines noires, tignasse noire. Standing ovation. Et c’est parti pour deux heures et demie d’interview et de lecture menée par l’excellente Jacqueline Coley, une critique afro-américaine qui n’aura de cesse de souligner les liens entre sa culture et le réalisateur de Jackie Brown et Django Unchained.
De l’importance de la critique
Quentin Tarantino commence par expliquer que l’idée du livre lui est venu au mitan des années 2000. Sa toute première intention est d’écrire un essai sur Don Siegel et Robert Aldrich, qui aurait eu pour titre quelque chose comme Don & Bob, two outsiders in Hollywood. Il n’est pas allé jusqu’au au bout, mais de ce brouillon est née l’envie d’écrire Inglourious Basterds.
Quelque temps plus tard, ce sont des velléités d’écriture sur Sergio Corbucci qui précipitent, sur le même principe, le scénario de Django Unchained. Preuve s’il en fallait une que la critique (qu’il lit toujours avec avidité) est au cœur de son travail. Ce n’est finalement qu’après Once Upon a Time… in Hollywood, alors que la pandémie fait rage et qu’il élève son nouveau-né à Tel Aviv, que Tarantino a le courage d’achever Cinema Speculation.
Cet ouvrage se présente comme un joli pavé de 375 pages regroupant une vingtaine de chapitres, consacrés pour la plupart à des films des années 1970 (Taxi Driver, L’Inspecteur Harry, Délivrance, Bullit…), mais aussi parfois à un auteur (Brian De Palma), à un groupe d’auteurs (ceux qu’il nomme les “cinéastes anti-establishment post-60s” qu’il oppose aux “movie brats”) ou même, chose rare, à un critique (Kevin Thomas du Los Angeles Times, qu’il adorait lire parce qu’il défendait avec la même passion les films d’art et essai étrangers et le cinéma d’exploitation). Le fil rouge entre ces chapitres, qui se lisent dans l’ordre, “comme un concept album en vinyle” précise-t-il, ce sont les souvenirs d’enfance, parfois mélangés à des réflexions d’adulte extrêmement éparses, à l’image du cerveau bouillonnant de QT.
L’obsession d’un outsider du cinéma
Cinema Speculation est ainsi un compagnon du White de Bret Easton Ellis, lui aussi obsédé par (et nostalgique de) l’expérience cinéphile à Los Angeles dans les années 1970. Mais tandis que ce dernier évoluait dans un milieu bourgeois, à l’ouest de la ville, le petit Quentin vivait dans les quartiers pauvres du sud, avec sa mère, ses deux collectrices et leurs gamins.
Cette expérience de la précarité, avec le cinéma comme seule échappatoire, souvent évoquée en interview, l’a profondément marqué. S’il occupe aujourd’hui, plus que quiconque, le centre du cinéma, il se vit toujours comme un outsider – c’est son beau paradoxe, qu’il assume ici à fond. Son show, ou plutôt son prêche, d’une densité affolante, s’achève par la lecture du dernier chapitre, le plus émouvant. Il est consacré à Floyd, le boyfriend d’une amie de sa mère, l’adulte cinéphile qui l’accompagnait au cinéma de ses 16 à ses 18 ans.
Totalement habité, voire possédé lorsqu’il imite cet homme afro-américain qui l’a “remis sur le droit chemin”, il confie qu’au fond, il ne fait des films que pour le flatter, lui, ce brave type un peu filou, ce père de substitution dont il a trop tôt perdu la trace. Et lorsqu’il écrit un dialogue à Samuel Jackson, il le fait toujours en pensant à Floyd. Dans l’espoir que celui-ci, depuis le ciel, se penche vers lui et lui dise, hilare : “You little motherfucker!”
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