Eté 2017, immersion au cœur d’une usine menacée de liquidation judiciaire. Un documentaire ultra-contemporain et lucide sur le monde d’aujourd’hui.
« On va tout péter« : dans une France rythmée par les pas et les revendications de marcheurs décidés, portant fièrement sur leurs épaules le désormais célèbre gilet jaune, ce slogan bagarreur résonne comme un mot de ralliement. Non pas pour son aspect belliqueux, comme se plaisent à le présenter les images bidouillées de certaines chaînes d’info réduisant le mouvement social à la casse et aux flammes, mais pour son souffle punk et son caractère jusqu’au-boutiste. Car ce qui va vraiment « péter » ici, en l’occurrence à l’usine GM & S située dans la Creuse et placée en liquidation judiciaire à l’été 2017, ce n’est pas tant les quelques cagettes en bois ou les pneus brûlés à l’entrée du bâtiment mais bien la vie de 277 ouvriers, menacés de perdre leur emploi.
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La floraison d’un mouvement
Pour filmer ce combat naissant (survenu quasi simultanément avec l’élection d’Emmanuel Macron et qui se soldera par le licenciement de plus d’une centaine de salariés), Lech Kowalski, londonien d’origine polonaise installé en France et auteur de nombreux documentaires cultes (notamment sur le New-York underground et la scène punk rock) a passé des semaines dans l’enceinte de GM&S, auprès de celles et ceux qui résistent. Débrouillarde et agitée, la caméra de Kowalski n’est pas tant là pour recueillir une parole militante ou témoigner, mais plus pour filmer, à l’instar des corps dégoulinant de sueur des Sex Pistols dont il capturait la dernière tournée dans D.O.A. : A Right of Passage, un mouvement de groupe, une effervescence, une impérieuse nécessité de se tenir les uns contre les autres.
« Peut-on faire la révolution quand nous sommes des consommateurs ? » s’interroge le cinéaste en voix off. La question reste ouverte et nous conduit aussi vers un ailleurs. Car ce qui se joue dans cette PME assiégée dépasse le simple engagement politique, celui des partis, et des jeux de récupérations — peut-être est-ce la même chose aujourd’hui avec les gilets jaunes ? Dans cette forteresse que l’on pensait imprenable et où l’on construit des pièces automobiles, une nouvelle vie s’organise, une petite famille soudée, parfois tendre ou énervée, s’invente. Ici, seule comptent les considérations humaines les plus essentielles : comment (sur) vivre sans emploi, sans salaire et loin de travailleurs et travailleuses qui ont partagé notre vie quotidiennement. On va tout péter n’a bien évidemment pas la violence de sa formule, c’est juste le bruit nécessaire pour être, enfin, vu et entendu.
On va tout péter de Lech Kowalski (France, 2019, 1h49)
Quinzaine des réalisateurs, sélection officielle
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