C’est en jouant au chanteur que
Gérard Depardieu a retrouvé
le plaisir d’être acteur. Le revoilà
donc, calme et doux, dans un
nouveau film, à découvrir la semaine
prochaine. En attendant, on le
rencontre, drôle et charmant, pour
un entretien chargé de souvenirs.
Q’a fait Gérard Depardieu
depuis quinze ans ? Des affaires
(certaines ont failli mal
tourner), des mauvais films
(certains ont très bien marché),
quelques premiers rôles
dans de grosses cavaleries,
beaucoup de participations
probablement négociées à
prix d’or, et beaucoup de télé
(il fut quelques années durant le Fregoli
de TF1, ayant à peine le temps de changer
de perruque entre Balzac et Monte-Cristo).
Il fit tout de même deux films avec deux
cinéastes connus et aimés depuis longtemps :
Le Garçu de Maurice Pialat et Les temps qui
changent d’André Téchiné.
Du coup, on avait presque oublié qu’il nous
avait à ce point importé, que la rupture qu’il
a initiée au mitan des seventies est une des
plus fortes de l’histoire du cinéma ; qu’elle dépasse
même le cinéma, qu’elle concerne des
choses pas forcément plus importantes mais
en tout cas plus larges, comme la société française,
l’identité masculine, celle de la jeunesse
aussi, dans l’immédiat aprèscoup
de Mai 68. De tout cela
(de la France, des hommes, des
jeunes), Depardieu a imposé un
visage entièrement nouveau,
avec une liberté, une fièvre incroyables.
Voyou shakespearien,
il vient de la marge, porte
en lui la violence anarchique de
la zone (qui n’a déjà plus rien
de la violence articulée des corps emblèmes
de 68 – Clémenti, Kalfon, Léaud), mais quelque
chose en lui de plébéien, gouailleur, compulsivement
dragueur même, le fait rapidement
aller vers le centre – rendant possible avec lui
des films populaires d’un genre nouveau (Blier),
les plus gros succès de cinéastes de renom
(Pialat, Truffaut…) et aussi quelques expériences
radicales (Duras, Régy…).
Bestial mais féminin, voix perchée dans une
masse de viande, usage totalement neuf de la
nudité (Depardieu est la première star masculine
– peut-être au monde – à jouer avec autant
d’évidence à poil, et dont le sexe, le cul, la
chair sont à ce point familiers du public d’une
génération), Depardieu a porté toutes les
transformations, toutes les contradictions de
la société de son époque dans son corps. Nul
comme lui n’aura à ce point incarné. Alors on
peut comprendre que, la quarantaine passée,
il se soit senti un peu fatigué et qu’il ait choisi
non pas de disparaître, mais d’être tout le
temps là sans y être tout à fait.
Le pari de Xavier Giannoli dans Quand j’étais
chanteur est moins de faire renaître en lui
l’étincelle de génie (sa prestation n’a rien
d’une performance, il joue plutôt sur du
velours), mais plus modestement de le faire
aimer, de le parer à nouveau des attributs
de la séduction. Aminci, tout doux, serein,
Gérard Depardieu revient en chanteur de
charme. Ça lui va bien. Rencontre donc, dans
un restaurant du IIe arrondissement dont il
est le très fier propriétaire, et promenade au
pays du souvenir de quand il était (le plus
grand) acteur.
ENTRETIEN > A quand remonte votre premier
contact avec le cinéma ?
Gérard Depardieu – J’ai été élevé à Châteauroux.
Là-bas, il n’y avait rien, alors j’ai beaucoup
fréquenté les bases américaines. Je suis
né fin 1948 et la base américaine est restée
jusqu’en 1963. Quand j’avais 7 ans, en 1955, à
la naissance de ma soeur Catherine, que j’ai tirée
du ventre de ma mère avec la sage-femme,
je n’apprenais rien à l’école primaire. Tout au
plus à calculer. J’ai tout de suite été fasciné par
la culture américaine, les premiers Bill Haley,
et le cinéma de la base. C’est là que je voyais
les films américains de l’époque. Je n’avais pas
les moyens de payer, je rentrais dans le noir,
en truandant. Mais avant le cinéma, il y a eu
le roman-photo. Ma mère lisait Nous deux et
j’adorais ça. Ça a déterminé, je crois, mon goût
pour les histoires d’amour. Pour moi le cinéma,
c’est vraiment ça, des histoires d’amour.
Tout le monde en a vécu, mais
pour chacun c’est unique.
Et le rock ?
Je ne me suis jamais attaché à
une seule chose. Je me souviens
des disques qu’on écoutait
à la base, je sentais une
énergie très neuve, mais je ne
suis jamais devenu spécialiste.
A l’époque, j’étais un enfant
happé par la vie. J’avais à la fois trop de choses
et rien. Tout m’attirait, les films, les livres, les
disques, mais rien dans ma culture familiale
– entre un père analphabète et une mère toujours
enceinte – ne me permettait de construire
quelque chose, de me construire un avenir avec
ça. Mon seul avenir, c’était le présent qui me
tombait dans la gueule. J’étais un peu comme
les aborigènes, sans conscience du passé ni du
futur. J’étais dans le présent. Et si saint Augustin
dit juste, j’étais dans l’éternité. Mais vivre
le présent sans angoisse, sans s’effriter, il n’y a
que l’enfance qui peut supporter ça.
Ado, rien ne vous faisait peur ?
Non, rien. D’ailleurs, ça continue. Même si j’ai
les pires emmerdements sur des divorces, des
affaires… J’ai appris à toujours trouver une
sortie de secours. C’est une sorte d’instinct.
Et votre premier livre ?
C’était Le Chant du monde de Giono. C’est un
livre qui m’a fait partir.
Où êtes-vous allé ?
Voir la mer. J’avais 13 ans. Je suis parti à Monaco
avec un bus de supporters d’une équipe
de foot. C’est la première fois que je découvrais
un autre climat, d’autres paysages, qui
me rappelaient Giono. C’est là que je me suis
dit qu’il fallait que je parte de chez moi. A
l’époque, je faisais des petits trafics avec les
Américains, j’ai eu des problèmes avec la justice.
J’ai vu un psychologue qui m’a dit que
j’avais des mains de sculpteur. Rien que ça, ça
m’a donné l’envie d’être artiste, je me suis
convaincu que je pouvais le devenir.
A quel âge arrivez-vous à Paris ?
Vers 16-17 ans. A l’époque, j’avais d’énormes
problèmes avec la parole, dus à une hyperémotivité.
Je voulais parler et je n’y arrivais
pas. Ça s’est débloqué avec la lecture, lorsque
j’ai rencontré Jean-Laurent Cochet, un prof de
théâtre qui m’a fait travailler. Tout à coup, j’ai
trouvé les mots que j’avais envie de dire.
Votre père est mort avant que vous deveniez
acteur ?
Il est mort à 60 ans. Il n’a vu que Les Valseuses.
Je ne l’ai pas su par lui, mais par d’autres personnes.
Il ne m’en a jamais parlé.
Vous avez commencé à travailler vers 18 ans ?
Oui. Je fais ce métier depuis cet âge-là. Je me
suis marié à 20, j’ai été père très jeune. J’ai
toujours tout fait sans avoir le temps de préméditer
quoi que ce soit. Et ça continue maintenant.
C’est sûr que quand on vit comme ça,
on est parfois livré à soi-même, il faut savoir
trouver les gens qui peuvent vous sauver.
Xavier Giannoli, vous le connaissiez avant
le film ?
Non, pas vraiment. C’est l’attaché de presse
Claude Davy qui me l’a fait rencontrer. Je l’ai
trouvé passionné. Il connaissait les répliques
du Sucre (de Jacques Rouffio, avec Jean Carmet,
1978 – ndlr) par coeur. Ça m’a surpris. Il m’a
proposé de faire Une aventure avec Charlotte
Gainsbourg (le film se fera avec Nicolas Duvauchelle
et Ludivine Sagnier – ndlr). Je trouvais
cette histoire de somnambulisme et de perte
de mémoire un peu compliquée, mais comme
l’homme me plaisait énormément, j’ai dit oui.
Finalement ça n’a pas pu se faire, mais j’ai fait
le suivant, Quand j’étais chanteur.
Vous intervenez sur les scénarios des films
que vous choisissez ?
Certainement pas. Xavier avait de toute façon
un désir si fort pour son film que je n’avais
rien à dire. A chaque fois que je me suis
planté, c’est en me mêlant de ce qui ne me regardait
pas. Aujourd’hui, je suis au service de
ce qu’on me dit. Parfois, je trouve le résultat
pas très satisfaisant. Mais
ce qui est fait est fait, ça ne
sert à rien de se mortifier.
Vous avez pourtant été
producteur de certains de
vos films ?
Ça m’est arrivé. Sur La
Chèvre, par exemple, j’avais
vraiment l’impression de
m’être fait baiser la gueule
par Alain Poiré (producteur
du film – ndlr). Il n’avait pas
voulu payer trois billets
d’avion pour qu’Elisabeth et
les enfants me rejoignent sur le tournage. Et
quand le film a fait des millions d’entrées, il a
réuni Francis Veber, Pierre Richard
et moi pour nous offrir un
petit porte-clés (rires). Bon d’accord
! Alors sans même lui en
vouloir, je me suis dit que le prochain
film, on pourrait peut-être
le faire nous-mêmes. C’est comme
ça qu’on a produit Les Compères.
J’aime beaucoup Francis Veber…
Quand j’ai travaillé sur La Chèvre,
ça a été un tournant car auparavant
j’étais étiqueté “acteur intello »,
parce que j’avais beaucoup
tourné avec Duras. Pourtant, je
l’ai toujours perçue davantage comme une terrienne
que comme une intellectuelle. Et elle
était beaucoup plus manipulatrice et terre à
terre que les gens qui clamaient son génie.
Mais elle était un génie, dont on parlera encore
dans cinq cents ans. Alors que Marguerite
Yourcenar, par exemple, je ne suis pas sûr.
Comment vous a-t-elle contacté ?
Par l’intermédiaire de Claude Régy. J’ai beaucoup
fait de pièces avec lui dans les années 70.
Voilà encore quelqu’un qui est perçu comme
un intellectuel avec qui j’ai eu des rapports
simples, concrets. Dans le travail, c’était très
intense. Il est capable d’inventions extraordinaires.
Parfois, travailler avec lui brûle. Mais
rapidement, la peau se tanne, on apprend à
donner ce qu’il veut en gardant une distance.
De toute façon, c’est un métier où il ne faut
pas être trop fragile.
Vous, vous étiez armé…
Oui, mais sans le savoir. Probablement parce
que je ne suis jamais arrivé dans un combat
de rue en ayant peur de prendre des coups.
Quand tu es dans une bagarre, il faut savoir ne
pas trop en prendre, fasciner l’autre de sorte
qu’il tape le premier, et une fois qu’il a lâché
son jus, tu le cueilles et il tombe. C’est le genre
de choses de base que je savais et qui m’ont
servi. Après, j’ai pu me sentir à l’aise en exécutant
des impros hallucinantes qu’ont pu me
demander Régy ou Duras. Il fallait entrer
dans le jeu, les exciter, ne pas avoir peur.
Avec Duras, vous avez tourné quatre films…
Cinq. Et je les ai achetés. Mais avec Marguerite,
j’ai beaucoup plus que ça. Des choses
d’elle dans ma tête. Pour moi, elle est toujours
là. Comme Truffaut, Barbara, ma mère… Ils
ne sont jamais morts. C’est pareil pour les
gens vivants que je ne vois plus.
Chanter dans le film de Xavier Giannoli,
c’était intimidant ?
J’ai appris à chanter avec
Régy. Je trouvais ça très
impudique, je n’y arrivais
pas. J’ai dû le faire pour
une pièce de Handke, Les
gens déraisonnables sont en
voie de disparition. Avant,
même bourré, ça ne me serait
jamais venu à l’idée.
Mais sur scène, j’ai appris à
tout faire. Ça m’est même
arrivé de pouvoir m’y endormir.
Je me suis
réveillé, j’ai vu Andréa Ferréol, gênée
sans plus, j’ai laissé passer un peu de temps et
repris mon rôle. Je raconte ça parce que je
pense que ça n’a aucune importance.
Le trac, vous connaissez ?
Non, c’est trop encombrant. Il ne peut rien
t’arriver sur scène. Que les gens t’aiment ou
pas. Il faut aussi apprendre à travailler le
désamour. Les gens finissent toujours par
s’habituer à toi. Parfois, on rencontre aussi
des cinéastes pervers – et beaucoup le sont,
souvent à des degrés très supportables. Il faut
apprendre à retourner ça contre eux.
Avec Godard, sur Hélas pour moi, comment
ça s’est passé ?
Je me souviens d’une discussion sur un ponton,
à Lyon. On a parlé deux heures. Il me faisait
chier avec le mot “star ». Je lui ai dit :
“Truffaut a raison, c’est normal que tu n’aies pas
de couilles, car on te les a écrasées, mais que tu
sois protestant à ce point, je n’en reviens pas. T’es
loin d’être un voyou. » Le problème de Godard,
c’est son rapport à l’argent. Il veut prendre du
pognon, faire des hold-up, mais après il a peur.
Il ne faut pas avoir peur. Quand on est payé
sept millions pour faire Hélas
pour moi sans aucun script, il
faut les prendre sans états
d’âme. Après, il lit une page de
Dostoïevski, une page d’un philosophe
à la con, et il a l’art,
c’est vrai, d’en faire quelque
chose. Parce que tout à coup, il
filme l’oreille d’un acteur, un
avion qui passe, une vache dans
un pré et c’est très beau. Qu’il
fasse ça, c’est très bien. Passion,
c’était un très joli film. Il avait
également eu une belle idée :
tourner avec Brando et moi Le
Roi Lear et mettre le film en vente image par
image. C’est un concept génial, c’est vraiment
de l’art contemporain, et c’est finalement peutêtre
mieux pour lui que le cinéma.
Pensez-vous impressionner physiquement
les gens ?
Je crois que ce qui impressionne, c’est le temps.
La masse peut-être, je ne sais pas. Mais surtout
le temps pris à dire les choses et le calme.
Et vous, n’avez-vous jamais été impressionnable
?
Non, jamais.
Duras ou Pialat ne vous impressionnaient
pas ?
Pas du tout, au contraire. Je les aimais énormément.
Et on ne peut pas être impressionné par les
gens qu’on aime ?
Je ne crois pas. Avec Marguerite, j’ai beaucoup
ri. Il y avait entre nous beaucoup de tendresse.
On a vécu des choses très fortes. Présenter
Le Camion à Cannes, en compétition, il
fallait quand même le faire ! (rires)
Comment avez-vous travaillé avec Xavier
Giannoli sur la douceur et le calme de votre
personnage ?
D’abord, la musique adoucit énormément,
c’est connu (rires). Et puis c’était écrit dans
le scénario. Ce qui est beau dans le personnage,
c’est qu’il ne rêve jamais d’être autre
chose que ce qu’il est. Même par amour de
cette jeune femme. Quand on est acteur, on
devrait toujours penser à ça : ne faire que ce
qu’il y a à faire.
Pouvez-vous parler de votre rencontre avec
Bertrand Blier ?
C’est quelqu’un d’extrêmement douloureux.
Mais ce n’était pas facile d’être le fils de Bernard
Blier, de faire du cinéma. Notre rencontre
a été très importante. Pour moi, c’est
un très grand créateur.
Et la rencontre avec Ferreri ?
Le premier mot qu’il m’a dit, avec son accent
italien, c’est : “Est-ce que vous êtes téméraire ? »
J’allais chercher des défraiements, il venait
chercher les siens. Tous ces gens-là étaient
près de leurs sous. J’adorais ça, dans les années
1975/76, ces communistes, comme Bernardo
Bertolucci qui roulait en Mercedes.
Bernardo m’avait répondu : “Mais ma Mercedes
est rouge ! » Il avait beaucoup d’humour à
l’époque. Marco, lui, était super chiant. Il gardait
tout, il pouvait même
pas chier. Avec Marcello
(Mastroianni – ndlr), on
riait tout le temps de ça.
Dans les années 70, vous
aviez conscience que vous
incarniez un type masculin
totalement nouveau
dans des films eux-mêmes
très novateurs ?
Non pas du tout. Aujourd’hui,
je vois que c’est difficile
d’incarner quelque
chose. Parce que l’argent
circule mal. A l’époque, les
artistes arrivaient toujours à s’arranger pour
prendre de l’argent et tracer quelque chose.
Récemment, j’ai été touché par un beau film
américain, de Miranda July (Moi, toi et tous
les autres – ndlr). C’est un beau film sur notre
époque. J’ai été très impressionné par Old Boy
(de Park Chan-wook – ndlr). J’aime beaucoup
aussi La Mauvaise Education. Il y a un mélange
de pudeur et de courage dans les films de
Pedro Almodóvar qui me touche beaucoup.
Ça vous est déjà arrivé d’aller vers un metteur
en scène pour lui dire que vous vouliez
tourner avec lui ?
Non, j’aime parler aux cinéastes de leur travail,
mais je n’ai aucune envie de ressembler à
ces bourgeois qui veulent se faire tirer le portrait
par les peintres à la mode. J’ai trop de
respect pour les artistes.
Satyajit Ray, vous l’avez contacté pour produire
et distribuer ses derniers films…
Oui, quand je suis allé en Inde, j’ai voulu faire
une fondation Ray pour que ses films ne soient
pas dispersés. Avec Toscan du Plantier, nous
avons produit ses trois derniers films. Je me
souviens qu’il m’a appris que E.T. était une de
ses nouvelles. Le plus gros succès du cinéma
américain vient d’Inde ! Il avait laissé
ce scénario à la Columbia très longtemps
avant. Quand on le lit, il y a absolument
tout E.T. dedans. Evidemment, aucun droit
n’a été payé. Satyajit Ray était quelqu’un d’extrêmement
élégant et fin. Il me parlait beaucoup
de l’époque où il avait travaillé sur le film
de Renoir en Inde, Le Fleuve.
Vous avez aussi distribué les films de John
Cassavetes, puis produit deux films de son
fils, Nick…
Nick est un garçon charmant. John était quelqu’un
de terrible. Gena m’a raconté qu’il ne
voulait pas se soigner, il est mort dans sa
propre violence. Après la mort de son père,
Nick souffrait d’une vraie difficulté à être.
Gena m’a appelé et m’a dit : “Est-ce que tu peux
m’aider pour Nick, il a écrit quelque chose, peuxtu
le lire ? » C’était son premier projet, Décroche
les étoiles. A l’époque, je travaillais avec René
Cleitman. J’ai toujours eu des partenaires de
travail. Avec Cleitman, je montais beaucoup
de projets avec Jean-Louis Livi d’Artmédia.
Mais je me suis barré parce qu’il était trop con.
Maintenant, je bosse avec Alain Goldman. J’ai
donc parlé du projet de Nick à Cleitman, il
coûtait 7 millions de dollars. J’ai négocié le
contrat de Marisa Tomei, Gena et moi jouions
dans le film, et on avait reconstitué l’équipe
technique des films de son père.
C’est un très joli film, qui a remis Nick
d’aplomb. Après, il a voulu adapter un scénario
de son père, She’s so Lovely, dont Sean Penn
avait les droits. Sean et Nick ont décidé de
faire le film ensemble et ont pensé à donner
l’autre rôle masculin à Travolta. Il sortait de
Pulp Fiction et demandait 20 millions de dollars
par film. John, je le connais depuis qu’il a
20 ans. Il était venu me voir sur le tournage
des Valseuses. Avec La Fièvre du samedi soir, il
est devenu une star, puis il m’avait demandé de
le coacher dans Urban Cowboy, et plus tard
Blow out de Brian De Palma. Il voulait répéter
avec moi, parler de son
personnage. Il se mettait
dans de grands états de
panique, avait toujours
besoin d’un copilote. Il me
disait souvent : “J’aimerais
tellement être comme toi. »
Alors, quinze ans après, je
l’ai appelé et lui ai dit :
“John, tu m’as toujours dit
que tu voulais être un artiste.
Tu sais ce que c’est un
artiste ? C’est quelqu’un qui décide tout seul ce
dont il a envie et qui le fait. Je veux que tu lises le
projet de Nick avec Sean et sa femme Robin. J’ai
besoin de toi dans ce film. Je ne peux pas te payer
vingt millions de dollars. Je t’en donne un et tu me
donnes ta réponse dans 48 heures. » Il m’a dit tout
de suite : “Je le fais. » Il est admirable dans le film.
Après, j’ai laissé le bébé à Cleitman et Hachette.
J’ai passé trois jours sur le tournage, il fallait
que je parle à Sean, qui avait des soucis avec
l’alcool. Du coup, j’ai revu John, et aussi Dennis
Hopper. Quant aux films de John (Cassavetes
– ndlr), je me suis occupé de leur distribution
en France à un moment où ils
n’étaient plus montrés, au début
des années 1990. Avec
Gena, en 1992, on avait créé
l’événement à Cannes en les remontrant.
Puis j’ai confié l’intendance
des droits à Livi. Je
trouve d’ailleurs qu’il s’en est
mal occupé, les films devraient
être plus visibles. Ce genre de
personnes ne s’intéresse qu’au
pognon. On ne sait même pas
si les films dont ils s’occupent
leur plaisent, s’ils savent ce
qu’ils ont entre les mains. De
nos jours, il y a de plus en
plus de gens comme ça. Des types qui sortent
d’HEC et qui ne savent pas ce que c’est un
plateau.
Après Quand j’étais chanteur, vous avez enchaîné
avec quoi ?
Avec un très joli film de Thomas Gilou, Michou
d’Auber, qui raconte une histoire qui m’évoque
mon enfance, car elle se passe dans le même
pays. Il y a une génération de jeunes cinéastes
que j’aime bien : Thomas Gilou, Olivier Dahan,
Xavier Giannoli.
Vous vous intéressez à la vie politique ?
La société vue par le prisme de la télévision
ne m’intéresse pas. Et le débat politique, c’est
pareil. Il est entièrement déterminé par le langage
de la télé. Quand je vois Villepin appeler
une personne hospitalisée parce qu’elle a bu
trop d’eau pour éviter de se déshydrater, et
qu’il dit : “Bonjour, je suis là, je suis votre Premier
ministre », c’est vraiment indécent. C’est
obscène. Je ne veux pas voir ça.
Quel rapport entretenez-vous avec Hollywood,
où vous avez régulièrement travaillé ?
Le cinéma américain, c’est le cinéma de tous. Il
n’est pas meilleur que le cinéma commercial
chinois, français ou italien, mais les Américains
savent mieux le vendre.
Bientôt d’ailleurs, je pense
qu’ils se feront distancer par
les Coréens, les Chinois ou
les Japonais. Travailler à
Hollywood ne m’a pas du
tout fasciné. Ce qui m’a fasciné,
c’est la base américaine
où j’ai grandi, la fréquentation
des G.I. Mais Hollywood,
ce n’est pas la même Amérique
que celle de n’importe
quelle base américaine. Hollywood, c’est des
bourges. Et même pire, des bourges qui pour la
plupart se rêvent en truands ou en voyous. Un
peu comme Godard. C’est des gens qui veulent
vous faire croire que les poules pissent.
Ce n’est pas le cas ?
Mais non les poules ne pissent pas ! Elles font
des fientes, avec de la pisse dedans, mais elles
ne pissent pas. Tu savais pas ça ?
Eh non ! (rires) Vous avez envie d’arrêter ?
Non, pas pour l’instant. En ce moment, je
tourne un troisième Astérix et Obélix et ça me
plaît beaucoup. C’est une sorte de pied de nez
à l’industrie du cinéma,
un truc énorme.
C’est la première fois
que vous tournez avec
Delon (qui joue le rôle de
Jules César – ndlr) ?
Non… Je jouais un second
rôle dans Deux hommes
dans la ville de José Giovanni.
Mais Delon, c’est
encore autre chose. Je
n’ai rien à dire. Par
contre, Benoît Poelvoorde
est un mec d’une poésie
totale. Je l’aime vraiment
beaucoup.
Vous revoyez les films que vous avez faits ?
Non.
Si vous tombez sur La Femme d’à côté en zappant
sur le câble, vous ne vous arrêtez pas…
Si, bien sûr. Parce que c’est magnifique. Aujourd’hui,
si tu vas à la Fnac, tu ne peux pas
trouver La Femme d’à côté. C’est plus facile de
le trouver en zone 1 dans l’édition américaine.
Parce que l’édition française est dominée par
ces connards d’HEC, qui n’y connaissent rien,
n’éditent que des films de pure consommation.
Alors, on ne peut plus voir un film aussi beau
que La Femme d’à côté. Un film comme Les
temps qui changent, que j’aime énormément,
n’a pas non plus été assez vu. Il est mal sorti.
Et c’est pas facile de le choper en DVD. André
Téchiné est un homme qui est encore dans le
cinéma. Ça se perd. Et, à mon sens, il est de
plus en plus intéressant.
Vous suivez la littérature contemporaine ?
Je n’ai pas lu un bon livre depuis longtemps. Ce
n’est pas l’autre, avec l’histoire de ses charters
de sexe, qui peut m’intéresser. C’est pas non plus
Amélie Nothomb, qui cherche dans sa merde si
elle trouve une boucle d’oreille, qui peut incarner
la littérature. Je ne vois rien qui m’excite
dans la littérature aujourd’hui en France. J’aime
bien Christine Angot. Elle a énormément de
talent. Et si, quand on la voit à la télé, elle a l’air
dure, c’est parce que maintenant, quand on a
vraiment du talent, quand on a un truc fort à
dire, à écrire, il faut forcément se justifier. Il faut
se justifier d’avoir du talent.
Parmi toutes ces bandes que vous avez traversées
(la famille Régy, la famille Café de
la Gare Miou-Miou/Dewaere, la famille
Truffaut, Blier, Pialat…), l’une d’elles at-
elle été plus structurante pour vous ?
Non. J’ai toujours fait partie de toutes les
bandes. Je suis un baladin, un solitaire si on
veut – mais qui regarde les autres, qui circule.
On ne sait même pas que je suis là.
Vous êtes sûr ?
Vraiment. Quand je me sens bien, on ne sait
pas que je suis là. C’est l’art de la survie. Vivre
à côté de gens qui ne vous dérangent pas et
qu’on ne dérange pas.
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