On appelle ça le printemps est un film qui pique les sens et l’esprit comme l’air des premiers beaux jours, qui enivre comme le retour des bourgeons, des premiers rayons de soleil, des terrasses qui se repeuplent, des vêtements qui s’allègent et des envies qui renaissent. Un film d’ici et maintenant irrigué par l’âge d’or […]
On appelle ça le printemps est un film qui pique les sens et l’esprit comme l’air des premiers beaux jours, qui enivre comme le retour des bourgeons, des premiers rayons de soleil, des terrasses qui se repeuplent, des vêtements qui s’allègent et des envies qui renaissent. Un film d’ici et maintenant irrigué par l’âge d’or de la comédie américaine.
Un matin, Joss quitte enfant et mari, pense aller squatter chez sa copine Fanfan. Mais Fanfan est en pleine engueulade avec son copain, un Jean-Pierre Gaillard quarantenaire, et cette fois, c’est la bonne, elle le quitte. Elles débarquent alors toutes les deux chez Manu. La cohabitation à quatre ne sera pas du goût du copain de Manu, qui à son tour va jeter les trois copines. Ce début de film est une merveille de rythme et de vitesse, d’enchaînements et d’ellipses, d’action pure sans graisse explicative, c’est une charade de la séparation des couples, un jeu de l’oie du squatt et de la débrouille, une fugue évidemment, dans tous les sens du terme. Le Roux travaille là sur des figures lubitschiennes, mais à la façon dont Monk jouait les standards d’Ellington, décalé, dissonant, revu et réactualisé.
Hervé Le Roux prend délibérément le parti de nos trois fugueuses qui décident de régler quelques comptes avec leurs mecs. Mais si le film est clairement du côté des femmes, ce n’est pas non plus sous la boussole d’un féminisme ringard et virago. Car la vengeance de ces femmes est plutôt cocasse, en tous cas pas très méchante. Le ressort comique du film passe alors clairement du côté du slapstick, dialogues réduits à quelques sons et bouts de phrases, entre burlesque des origines, cartoon et bande dessinée. Et ce sont deux séquences absolument magnifiques d’humour et d’intelligence de cinéma, celle du « cache-cache dans l’appartement » et celle du « goudron et des plumes ». La première, comme du Buster Keaton au ralenti, est une véritable leçon sur l’espace et la place des corps dans le plan, la seconde, entre Tex Avery et Lucky Luke, est un exercice pratique parfait sur le montage et l’enchaînement à la seconde près. Tel un jazzman parti sur les chapeaux de roue, Le Roux passe ensuite par des variations de rythme, des ralentissements et des pauses, mais il parvient à tenir la note et ne laisse jamais retomber le soufflé.
Cette comédie légère comme de la ouate, futile comme un divertimento, aérienne comme une envolée de Budd Powell, est aussi d’une certaine façon l’anti-Reprise. Mais en même temps, il y a du cousinage, ne serait-ce que saisonnier, entre mai 68 et ce printemps 2000. Joss, Fanfan et Manu ne sont-elles pas aussi des petites sœurs de la Wonderwoman ? Elles aussi ne veulent pas « remettre les pieds dans leur taule ». La taule n’est plus l’usine, c’est aujourd’hui le couple, la famille, le travail, la routine bourgeoise, mais d’un film l’autre, l’envie d’autre chose, le désir de rebellion et la féminité demeurent les mêmes. Et comme il fallait savoir finir une grève hier, il faut aujourd’hui savoir terminer une escapade. Mais avant cette fin de lendemain de fête quand même ouverte et incertaine, Hervé Le Roux nous aura suggéré l’ébauche d’une utopie, l’hypothèse d’un monde féminisé, l’ivresse contagieuse du printemps, la pratique ludique de la ville, il nous aura fait entrevoir un champ de possibilités, la fragilité d’un état de grâce, la mélancolie et la fugacité intimement liées au bonheur. On appelle ça un enchantement.
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