Le service cinéma des “Inrockuptibles” offre son classement de l’ensemble des œuvres réalisées par l’Américain Steven Spielberg.
27. 1941 (1979, avec John Belushi, Dan Aykroyd)
Juste après Rencontres du troisième type, Spielberg revient avec un budget démesuré pour imaginer l’hypothèse d’une invasion de la côte Ouest par le Japon en pleine Seconde Guerre mondiale. Film quiproquo par excellence, 1941, c’est autant Spielberg qui dynamite l’ancien Hollywood que le Japon qui attaque la Californie. N’arrêtant jamais d’exploser, de détruire et d’incendier, le film s’épuise lui-même de sa propre surenchère, le sourire aux lèvres d’avoir causé un joyeux bordel.
NM
26. Cheval de guerre (2011, avec Jeremy Irvine, Benedict Cumberbatch, Emily Watson)
L’opus le plus oublié du Spielberg récent, la faute à une interprétation sans relief et surtout à un pitch disneyo-patapouf (un fermier s’engage dans la Grande Guerre pour y retrouver son cheval réquisitionné) que le film parvient pourtant à emmener à des hauteurs insoupçonnées. Il fait de la monture un véhicule-témoin plutôt qu’un véritable sujet – sorte d’âne Balthazar traversant une ligne de front oscillant entre barbarie et humanisme, jusqu’à un final outrageusement fordien (retour à la ferme, coucher de soleil incandescent).
Théo Ribeton
25. Indiana Jones et la Dernière Croisade (1989, avec Harrison Ford, Sean Connery, River Phoenix)
À en croire le dernier film à ce jour de Spielberg, The Fabelmans, le père du jeune Steven n’avait rien à voir avec celui d’Indiana Jones, Henry Jones Sr., sévère professeur ascétique et peu indulgent avec son fils, interprété par le grand Sean Connery et insoupçonné séducteur. On apprend pourquoi “Indiana” a peur des serpents, pourquoi il aime jouer du fouet et d’où lui vient son chapeau. Cette fois-ci, c’est le dieu des chrétiens qui punit et réduit les nazis en poussière. Le père et le fils se réconcilient.
J.-B. M.
24. Always (1989, avec Richard Dreyfuss, Debra Winger, Audrey Hepburn)
Si le film a été un semi-échec au box-office à sa sortie en 1989, Always est un émouvant chapitre, plus secret, entre deux grands films d’aventure : La Dernière Croisade et Hook. Après une dernière mission mortelle, un pilote (Richard Dreyfuss) revient d’entre les morts grâce à Audrey Hepburn, à qui Steven Spielberg donne son dernier rôle, celui d’une superbe guide angélique des fantômes nichée au cœur d’une forêt calcinée. Les impressionnantes scènes en avions bombardiers d’eau au-dessus des incendies deviennent des voltiges incandescentes qui relient les morts et les vivants. Pour toujours.
Arnaud Hallet
23. Les Aventures de Tintin : le Secret de la Licorne (2011, avec Jamie Bell, Andy Serkis, Daniel Craig)
Tout Spielberg se retrouve dans ce projet d’adaptation de Tintin : donner vie à l’un des personnages emblématiques de l’enfance de nombreux·ses spectateur·trices grâce à la performance capture, injecter dans le film familial une large dose d’aventures et d’innovations. Malgré son scénario imperturbable, Tintin perce autant le secret de la Licorne grâce à son intuition qu’à la limpidité du montage, passant du désert à la mer en un battement de cils, descendant tout Bagghar en un seul plan séquence.
N. M.
22. West Side Story (2021, avec Ansel Elgort, Rachel Zegler)
Premier remake dans la carrière de Spielberg (en attendant celui de Bullitt), ce West Side Story n’émeut pas autant qu’on aurait pu le penser. Pourtant, ce que le film perd en dimension tragique, il le gagne en pure virtuosité. Cette magie opère dès le premier plan qui, d’un long et étendu mouvement de grue, raconte déjà tout le film : son motif pictural (le béton et ses décombres) et son contexte politique (la gentrification et la division raciale). De America à I Feel Pretty, les séquences musicales, affolantes de dextérité et d’inventivité, réveillent pour leur part la complexité et l’éclat inoubliable des tableaux de l’âge d’or d’Hollywood. Si beau que l’on se croirait plonger par instants dans un film de Minnelli.
L. B.
21. Indiana Jones et le Temple maudit (1984, avec Harrison Ford, Kate Capshaw)
Le titre lui-même et le lieu de ces nouvelles aventures, l’Inde, sont un clin d’œil évident aux deux chefs-d’œuvre tardifs de Fritz Lang, Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou, et à Gunga Din, le roman de Rudyard Kipling (adapté par George Stevens en 1939). C’est sans doute le film le plus terrifiant de la saga Indiana Jones (un prêtre Thug arrache le cœur d’un homme sacrifié à la déesse Kâlî), même si la présence d’un enfant asiatique mignon permet de maintenir le film dans le cadre d’un spectacle familial. Même plaisir que dans l’Arche, mais moins surprenant.
J.-B. M.
20. Le Monde perdu : Jurassic Park (1997, avec Jeff Goldblum, Julianne Moore, Pete Postlethwaite)
Hit garanti, certes, mais drôle d’idée que de donner suite à Jurassic Park, dont le principe d’épiphanie figurative (le miracle du numérique et le fameux champ-contrechamp sur Sam Neill et les brachiosaures) était par nature un one-shot dont on ne saurait répéter la magie. Dans ce second volet dépourvu de féerie ne subsistent donc que les éléments sombres : Jeff Goldblum, la boue, la nuit et la terreur, de la scène la plus tendue de la trilogie (la Jeep suspendue dans le vide) à un final californien qui rend son dû à King Kong.
T. R.
19. La Liste de Schindler (1993, avec Liam Neeson et Ralph Fiennes)
Sorti six mois après l’hyper-blockbuster Jurassic Park, La Liste de Schindler négocie à la perfection le premier tournant de Spielberg vers sa consécration d’adulte et d’artiste (ce que ni La Couleur pourpre ni Empire du soleil n’avaient réussi). Vif succès commercial, piège à Oscars, le film est célébré presque unanimement. Sauf en France, où un couac retentit avec une tribune de l’auteur de Shoah, Claude Lanzmann, qui condamne moralement le film sans appel pour l’obscénité de son geste même : reconstituer la Shoah. Pourtant, le film avait tenté de parer les coups. Dans de nombreuses scènes, dans ses effets de sobriété, il est clair que Spielberg a vu Shoah et qu’il a largement intégré cette défiance du spectaculaire chevillée à la représentation de la Shoah. Le film est prudent – c’est probablement ce qui le rend un peu compassé et raide.
Jean-Marc Lalanne
18. Il faut sauver le soldat Ryan (1998, avec Matt Damon, Tom Hanks)
Un film-barycentre, qui tient en équilibre aussi bien la vie de Spielberg (tournage à 50 ans) que son œuvre, dont il concilie enfin les aspirations irréconciliables. Alors écartelé entre Jurassic Park et La Liste de Schindler, le réalisateur trouve un point d’équilibre inespéré dans ce blockbuster d’auteur. Celui-ci offre à part égale spectacle (le coup de force charcutier du débarquement en ouverture) et prestige. Il en ressort mitraillé d’Oscars (au nez et à la barbe de La Ligne rouge, l’autre grand film de guerre de 1998 reparti bredouille) et roi du box-office.
T. R.
17. Lincoln (2012, avec Daniel Day-Lewis, Sally Field, Tommy Lee Jones)
Le sujet est le plus grand homme de l’histoire américaine, l’acteur une légende hollywoodienne quasi divinisée : le film n’a d’autre option que la majesté. Sous la lumière mordorée de Kamiński, suivant un script de Tony Kushner resserré sur les quelques semaines précédant l’assassinat, avec la signature de l’amendement abolitionniste et la fin de la guerre, Spielberg fait de son biopic un mausolée d’une épure et d’une rigidité monacales, et assagit sa palette d’effets pour remonter très loin dans la mémoire de sa mise en scène, jusqu’à Ford, voire Griffith.
T. R.
16. Ready Player One (2018, avec Tye Sheridan, Olivia Cooke)
Quand le plus éminent pourvoyeur de la pop culture en regarde l’héritage sur les nouvelles générations, cela donne Ready Player One. Mais plutôt que se donner la posture démiurgique de gardien du temple de cette culture, Spielberg s’en fait le récipiendaire (il éjecte la plupart des clins d’œil à sa propre œuvre qui se trouve dans le livre initial). Une prise de position exagérément teintée d’humilité, mais qui permet de mieux révéler l’un des principes fondamentaux de son cinéma : Spielberg s’est toujours mis à place du fils plutôt que du père. Même septuagénaire, à la vision désenchantée du second, il préférera l’onirisme et la candeur du premier.
L. B.
15. Munich (2005, avec Eric Bana, Daniel Craig, Michael Lonsdale, Mathieu Amalric)
Racontée de manière romancée, l’histoire du commando du Mossad chargé par le gouvernement d’Israël de venger l’assassinat de ses athlètes aux JO de Munich de 1972, en éliminant les uns après les autres, avec parfois inventivité, les terroristes palestiniens qui l’avaient perpétré. Un film d’espionnage passionnant, politique (Spielberg est un Américain juif démocrate), sans illusion sur la détermination des pays même démocratiques à se venger et sur l’action de réseaux plus ou moins fascistes, racistes et antisémites (une famille française noble dont font partie Michael Lonsdale et Mathieu Amalric !), qui travaillent et en profitent en sous-main.
J.-B. M.