Comme attendu, la projection du film Netflix de Bong Joon Ho, « Okja », vibrant plaidoyer pour le veganisme, fut mouvementée. Un film où hommes comme animaux apparaissent chaque jour davantage comme victimes d’un capitalisme barbare.
« Avec Netflix, y a plus de projectionniste ! », entendit-on dans la grande salle Louis Lumière lors des chaotiques premières minutes de la projection presse d’Okja, le nouveau film de Bong Joon Ho, qui à défaut d’une Palme d’or (Almodovar semblant l’avoir d’emblée exclu de la compétition) a déjà remporté la Palme du film le plus controversé avant dévoilement, eu égard à la stratégie de son producteur. Netflix donc, accusé de ne pas payer de taxes en France, accusé de ne pas sortir ses films en salles, accusé de contribuer à l’érosion de cet art du XXe siècle qu’est le cinéma projeté, allait-il se voir saboter sa grande intronisation cannoise par un projectionniste étourdi ?
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La bronca-happening qui s’en suivit fut en tous cas un de ces merveilleux évènements nano-historiques qui émaillent tout bon festival de Cannes : le public huait un problème technique, mais ses cris se déposaient en même temps sur le logo de Netflix, puis sur les pieds, le visage et les mains de Tilda Swinton offrant — pour de faux bien sûr, on lui connaît dans la vie des accointances plutôt gauchistes — une caricaturale démonstration de capitalisme über cool, disruptive branding et cross-marketing en bandoulière, devant… un parterre de journalistes. Miroir mon beau miroir.
Un super cochon 100% bio, comme un Totoro de synthèse
Lucy Mirando, le personnage qu’interprète Swinton ici avec son redoutable sens du grotesque (et dieu sait s’il en faut, du grotesque, pour représenter justement les formes contemporaines de pouvoir), présente dans cette première scène le nouveau produit de sa firme multinationale (calquée sur Monsanto) : un super cochon, 100% bio et sans OGM, censé nourrir la planète affamée — et rapporter au passage quelques dollars à ses promoteurs. On est alors en 2007. Dix ans plus tard, aujourd’hui donc, ledit cochon est bien replet et vit (en tous cas l’un de ses plus beaux spécimens), dans une forêt reculée de Corée, avec une petite fille et son papy. Avant d’en être bientôt arraché de force. Okja, c’est le nom de la bête, est une sorte de Totoro de synthèse (Miyazaki plane sur tout le début), qui file le parfait amour avec Mija, son humaine de 12 ans. Celle-ci est en effet autant son humaine qu’il est son animal, car Bong Joon Ho les filme sur un strict pied d’égalité, avec une générosité et une intelligence qui n’ont rien à envier à Spielberg (E.T. bien sûr) ou George Miller (grand cinéaste animaliste avec Babe et Happy Feet). Le cinéaste offre là un plaidoyer pour le veganisme, peut-être le plus vibrant qu’on n’ait jamais vu — et qui mit à rude épreuve notre dissonance cognitive lorsque nous nous offrîmes une omelette au jambon en sortant de la salle.
Hommes comme animaux victimes d’un système barbare
Dans la dernière partie du film, qui emporte tout sur son passage et excuse la main un peu lourde du réalisateur de The Host à d’autres endroits (c’est le risque à manier le grotesque et l’enfantin), Okja et Mika se retrouvent pris au piège dans les rets de la diabolique firme : au cœur de leur machine de mort, un abattoir filmé comme un camp de concentration, filmé comme une banale usine, avec ses ouvriers mexicains débitant du jarret à cadence infernale dans un pandémonium d’acier et de sang. Si l’idée n’est pas neuve (Le Sang des bêtes en 1949, déjà), elle acquiert ici une pertinence renouvelée, hommes comme animaux apparaissant chaque jour davantage comme victimes d’un système barbare dissimulé derrière le masque souriant du Spectacle. Mais le masque, précisément, tombe dans le dernier mouvement (lorsque, pour en revenir à un référent franco-français, la droite-Fillon remplace la droite-Macron en un plan génial sur deux sœurs), et la fable mignonne se fait soudain cri déchirant, où il ne s’agit plus que de sauver ce qui peut l’être : presque rien, et au fond pratiquement tout.
Que ce message soit convoyé par un film très grand public, distribué par un promoteur de ce capitalisme trompeur et séducteur, est un paradoxe qu’il serait vain de lui reprocher : c’est celui dont ont toujours été faits les grands films fous.
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