Dialogue autour d’Il était une fois en Anatolie avec son réalisateur, Nuri Bilge Ceylan, également auteur de Uzak ou Les Climats.
Avec sa silhouette d’éternel étudiant, sa personnalité introvertie, Nuri Bilge Ceylan incarne une image de la Turquie urbaine, moderne et universelle, celle qui pourrait faire partie de l’Europe, loin des clichés d’hommes forts datant de l’Empire ottoman. On est content de retrouver ce cinéaste à la voix grave et calme, à l’occasion de son très beau Il était une fois en Anatolie, enluminé d’un Grand Prix au dernier Festival de Cannes.
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« Les prix internationaux me font plaisir, explique Nuri Bilge Ceylan, et ils aident ma carrière. Ils montrent aussi que l’on n’est pas seul. On fait des films pour des spectateurs, pour combattre la solitude, pour établir un contact avec d’autres. Mais un prix, c’est comme un feu d’artifice, ça brille sur le moment puis ça disparaît, et il fait aussi sombre qu’avant. »
« L’humour m’aide à avoir la peau plus dure »
Une mélancolie tenace habite ce cinéaste pourtant bardé d’honneurs, qui enchaîne les films à son rythme, soutenu par la critique et les festivals internationaux, suivi par un public restreint mais fidèle. Ceylan n’y voit aucun paradoxe : « Je ne suis pas seul dans la vie, mais la solitude est un sentiment intérieur. J’ai du mal à trouver un sens à l’existence. Je suis évidemment reconnaissant de tout ce qui m’arrive, mais ça ne change rien à cette mélancolie qui est en moi. »
Ce spleen imprègne tous les films du cinéaste, y compris le dernier, fable métaphysique qui montre des personnages courir littéralement après un but insaisissable, occasion pour eux de dresser un bilan de leur existence. Comme dans les films précédents de l’auteur, l’humour parvient à se faufiler dans le doux désastre général.
« J’ai besoin de l’humour dans ma vie et dans mes films, ça contrebalance la nature fondamentalement tragique de l’existence. Ça me fait parfois du bien de me moquer de ma propre mélancolie. L’humour m’aide à avoir la peau plus dure. »
Il était une fois en Anatolie montre un microcosme de la société turque, ce qui pourrait induire une novation politique dans le cinéma de Ceylan. L’intéressé rejette cette idée : « Je montre ce qui est, c’est tout. La Turquie n’est pas un pays riche, donc je ne me permettrais pas de le critiquer. Je me sens plus contemplatif ou philosophique que politique. D’ailleurs, j’aime les imperfections de mon pays, je n’aimerais pas du tout vivre dans un pays où tout est nickel parfait. J’aime aussi les imperfections humaines, elles sont toujours un enseignement. »
« Je ne rejette pas le cinéma hollywoodien »
Nuri Bilge Ceylan a plus de succès à l’étranger que dans son propre pays, paradoxe qu’il attribue à la culture et à la sophistication d’une partie du public de certains pays de tradition cinéphile tels que la France. S’il admet aller peu au cinéma, il a apprécié ces dernières années les films de la nouvelle vague roumaine, les films chinois, notamment ceux de Jia Zhangke.
« J’aime les films qui reflètent la réalité. Mais ça ne signifie pas que je rejette le cinéma hollywoodien. Les blockbusters abordent parfois des thèmes intéressants, malheureusement, ils sont toujours calibrés selon certaines règles pour des raisons purement commerciales. »
Dans ses films comme dans ceux des autres, Nuri Bilge Ceylan préfère par exemple les fins ouvertes, parce qu’elles laissent plus de liberté au spectateur. « La plupart des spectateurs, comme la plupart des humains dans la vie, veulent connaître les réponses à tout, ils veulent toutes les informations comme une pilule tranquillisante. Moi, les happy end me rendent parfois nerveux. »
Serge Kaganski
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