Deux clandestins kurdes, un entrepreneur qui délocalise, une étudiante caméra au poing : trajectoire croisées dans l’Europe du grand marché.
C’est seulement le deuxième long métrage de fiction d’Emmanuel Finkiel, après Voyages en 1999 (Casting, en 2000, relevait plutôt du genre documentaire). C’est aussi le troisième ou quatrième film de l’année qui évoque l’immigration clandestine. De la première proposition découle un premier enseignement : malgré le long laps de temps, Emmanuel Finkiel ne déçoit nullement, au contraire il élève le niveau déjà haut de Voyages. De la seconde proposition découle un deuxième enseignement : Nulle part terre promise ne traite pas de l’immigration clandestine comme le ferait un rapport sociologique ou un dossier journalistique, mais hume de façon plus diffuse et sensorielle la question du déplacement des êtres à travers l’Europe et ses frontières.
C’est un film quasiment sans dialogue. On y suit trois parcours : un homme kurde et son jeune fils circulant clandestinement ; un cadre solitaire supervisant la délocalisation de son entreprise ; une étudiante qui filme au caméscope les lieux et les êtres qu’elle croise au cours de son périple. Ces trois parcours se déploient parallèlement en divers coins d’Europe, s’ignorent, se répondent à distance, peut-être se croiseront à des intersections fugaces, incertaines – points de rencontre tenant plutôt des points de suspension.
Il y a une ironie sous-jacente et peut-être un peu amère dans le subtil tricot des trajectoires du film : alors que ceux de l’Est vont vers l’Ouest pour y trouver du travail, ceux de l’Ouest vont vers l’Est pour y trouver de la main-d’œuvre bon marché ou pour y chercher une hypothétique rédemption. Il y a peu de dialogues, mais des visages et des regards extrêmement expressifs, un travail de dentellière dans le filmage des lieux qui dit tout de la froideur uniformisante de la globalisation, et un splendide montage mille-feuilles où les glissements sonores décuplent la force des images.
Il n’y a pas de manichéisme, mais une ouverture permanente du sens : le cadre supérieur qui délocalise fait peut-être un sale boulot, mais c’est aussi un être humain qui doute, éprouve la solitude, semble prendre conscience de la brutalité de notre époque et de son travail. L’étudiante est bardée de bonnes intentions mais se protège derrière son petit écran, filtre hygiénique qui maintient la misère à distance…
Finkiel nous convie à une nouvelle série de voyages existentiels et géographiques à travers l’Europe du grand marché, un territoire que les hommes, riches ou pauvres, ont de plus en plus de difficulté à habiter. Nulle part terre promise est une sorte de chant du monde mélancolique, une élégie qui contre-balance sa sombre humeur par une forme splendide. Car il s’agit surtout ici d’un voyage cinématographique façon Hou Hisao-hsien ou Jia Zhangke, abstrait et concret, sensoriel et politique, aussi puissant par ce qu’il montre que par ce qu’il cache ou suggère.