Un mélo charnel et sensuel tourné à l’arrache à Nankin. Romantique et frénétique.
Il y a un véritable progrès chez le réalisateur de Suzhou River et d’Une jeunesse chinoise, qui livre ici une geste romanesque moderne, brute et brûlante, sans effets de manche.
Lou Ye : “J’ai voulu entrer très vite dans la vraie vie, dans le quotidien le plus banal, vraiment situer l’histoire à ce niveau-là. Il ne s’agissait pas de raconter une histoire d’amour hors norme, mais une histoire (…) de tous les jours. On entre sans phrase, sans mot, sans manière dans l’élan du désir, dans l’urgence de l’étreinte, dans l’amour physique.”
Déclaration importante car elle explique tout le film, son style, le contexte de son tournage (clandestin) et son économie réduite.
Tourné dans des conditions précaires à Nankin par un cinéaste blacklisté – tous ses films ont été bannis de Chine –, avec une petite caméra numérique, le film capte et dégage le même type d’aura brouillonne et bouillonnante que certaines œuvres iraniennes récentes (Téhéran, Les Chats persans), dont l’énergie presque erratique et la frénésie découlent des contraintes ambiantes, voire du climat politique répressif.
C’est qu’en bravant les interdits, en sortant des sentiers balisés, ils en montrent mille fois plus que des fictions posées et policées, soumises à l’aval des autorités.
L’essentiel de cette geste amoureuse complexe et torturée tournant autour d’un homosexuel, Jiang Chen, et traitant de ses relations chaotiques avec ses deux amants successifs, est bien sûr d’ordre intime et psychologique.
Qui dit intimité ne dit pas forcément huis clos, ni environnement clinique. Là, c’est le contraire : le drame se déploie, se déchaîne en plein milieu de la société, dans la ville et à la campagne, dans les boîtes de nuit et sur les lieux de travail.
Les scènes les plus violentes ont lieu en public. La force du film, c’est son énergie et sa mobilité, qui plongent constamment Jian Chen, ses deux amants successifs et leurs compagnes respectives dans le maelström social et urbain.
Après, on peut avoir l’impression que le film se répète et reproduit avec la seconde relation le schéma de la première ; de même, l’agression sanglante de l’un semble faire écho au suicide au rasoir de l’autre.
C’est que cette fuite en avant permanente est également une sorte de mouvement perpétuel, de cercle vicieux, dont la mécanique folle et aveugle pousse les divers protagonistes à dupliquer à l’infini les mêmes processus pernicieux.
Si la crudité des gestes, des corps, du langage, des situations, la violence et la passion des uns et des autres sont sans cesse nourries par le contexte documentaire, par l’incertitude furtive de ce tournage sauvage, le film ne manque pas non plus de pures épiphanies, comme la scène parfaite où Luo Haitao retrouve Jiang Chen travesti, effondré comme une vieille poupée cassée, pleurant à chaudes larmes la mort de son premier amant, lâchement délaissé. Beau comme du Fassbinder ou du Eustache.