Une oeuvre sensible et poétique à la lisière du fantastique.
Un film aussi poétique, cosmique, délicat, fragile, météorologique, évanescent que son titre. Un film parfois inégal, qui peut aussi bien séduire à fond que laisser en dehors, comme toutes les œuvres qui prennent de vrais risques esthétiques. Pour ce qui nous concerne, on prend. On entre dans Nuage avec Clara (Nathalie Boutefeu, remarquable et trop rare actrice) et son père photographe (Bruno Sermonne), quelque part au milieu des splendides panoramas des Pyrénées. Le modèle principal du père portraitiste au Nikon est une femme (Aurore Clément), dont on comprend rapidement qu’elle est sa compagne, la mère de Clara, et qu’elle a disparu.
Ce qu’on comprend aussi assez vite, c’est que les lieux, la lumière, le passage d’une ombre sur un visage ou sur un paysage sont au moins aussi importants que le scénario pour Sébastien Betbeder, cinéaste sensualiste et atmosphérique. Le film prend vraiment son envol avec le surgissement de Simon (Adrien Michaux, un autre héritier de Jean-Pierre Léaud, découvert dans les films d’Eugène Green). Le jeune homme atterrit littéralement “par accident” dans le village de Clara. Avec lui, non seulement s’ébauche la piste d’une délicate histoire d’amour, mais des phénomènes plus étranges se produisent. Simon est parfois frappé de cécité partielle. On apprend également qu’il a croisé la mère disparue au coin d’une rue de la ville voisine, par le même genre de hasard qui l’a fait se retrouver près de sa fille Clara.
Il n’y a nul paradoxe à ce que Betbeder explore dans un film les puissances de l’invisible, la dialectique de ce qui est vu ou caché, la tension poétique de l’ombre et de la lumière, les liens impalpables qui relient secrètement les êtres, tant ces enjeux ont toujours été ceux du cinéma le plus ambitieux (un Joe Weerasethakul est aujourd’hui le plus impressionnant explorateur de ces motifs et figures). Mais c’est éventuellement l’un des petits reproches que l’on pourrait adresser au film : sa raideur théorique, la visibilité trop évidente de son dispositif, un chouïa de préciosité conceptuelle, sa métaphore du cinéma comme art de dévoilement de ce qui se cache derrière la réalité visible.
En même temps, pour une fois qu’un jeune cinéaste français tente de s’arracher à la norme des scénarios de couples ou du cinéma sociologique pour investir un territoire plus poétique et insaisissable, on n’a pas envie de faire la fine vue. Et puis nos réserves pèsent infiniment moins lourd que les nombreux instants de grâce qui parsèment le film : la présence singulière d’Adrien Michaux, la beauté expressive de Nathalie Boutefeu, l’insondable mystère dégagé par Aurore Clément, la splendeur climatologique de la mise en scène. Le mouvement final du film, à la lisière du genre fantastique, quand le puzzle de personnages à demi-fantomatiques va se reconstituer dans les volutes d’un épais brouillard, ce mouvement chargé aussi de fantômes cinématographiques (un doigt de Murnau, un souffle d’Antonioni, un cousinage avec Weerasethakul…) nous emporte par sa puissance d’étrangeté et de mystère poétique, sa part énigmatique et somnambulique. Nuage ne nous a pas raconté d’histoire en béton dramaturgique, mais une expérience sensible est passée et nous a traversé.
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