Le “personnage” d’Anne Alvaro a un plan. Elle vient à Venise pour y retrouver un homme, croisé dans une soirée parisienne, et ainsi “mettre en scène l’instant de la rencontre”. Construit comme une rêverie autour du livre de Sophie Calle (Suite vénitienne, Editions de l’Etoile), le film de Kané rajoute une couche supplémentaire de doute […]
Le « personnage » d’Anne Alvaro a un plan. Elle vient à Venise pour y retrouver un homme, croisé dans une soirée parisienne, et ainsi « mettre en scène l’instant de la rencontre ». Construit comme une rêverie autour du livre de Sophie Calle (Suite vénitienne, Editions de l’Etoile), le film de Kané rajoute une couche supplémentaire de doute sur la vieille distinction fiction/documentaire. C’est un documentaire sur quelqu’un qui est à la recherche d’une fiction, qui veut « fictionnaliser » une rencontre improbable. Ou bien une fiction qui doit naître de l’aléatoire que contient tout documentaire. Mais peu importe. Car l’intérêt du film est ailleurs que dans cet éternel et assez scolaire jeu de miroirs. En suivant une femme qui croit échapper au tourisme infamant en traquant le touriste absolu, Kané met en scène son propre désir de cinéaste : faire le film qui éviterait le folklore et les clichés pour dévoiler une ville à la fois secrète et quotidienne. Il épouse ainsi le rêve inavouable de tout touriste qui a bien lu Proust et Corto Maltese : se fondre dans le décor et échapper à la masse. Mais la ville est la plus forte, ou alors elle n’a plus rien à dissimuler depuis longtemps. Et l’échec de Kané à renouveler la vision de Venise rejoint celui d’Anne Alvaro. L’endroit « où il n’y a que des Vénitiens » n’existe pas, le petit bar si typique se remplit vite d’une horde de Français, et le bal masqué et très privé qu’on lui avait promis s’avère une petite boum. Alors la romanesque échevelée se transforme en une emmerdeuse pathétique qui fait la tournée des hôtels, acharnée à trouver au moins l’homme évanoui quand son fantasme de ville « vraie » se dérobe. Son obstination devient franchement grotesque quand elle laisse libre cours à son bovarysme en rêvassant sur « les scénarios passionnés qui se cachent derrière les dépositions de jeunes étrangères », fatalement séduites et abandonnées par des Casanova de rencontre. Kané a donc démontré que le dispositif le plus sophistiqué ne contenait finalement pas plus de vérité que la plus banale carte postale. La réussite paradoxale de ce petit film agaçant réside dans la mise en scène de sa déroute.
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