Anne Fontaine renoue avec la
comédie et livre une fable fantaisiste
où s’illustre l’icône Darrieux.
En 2003, Anne Fontaine se voit proposer
d’adapter le scénario tiré d’une correspondance
entre madame du Deffand et Julie Lespinasse, récit
d’un rapport passionnel et destructeur entre deux
femmes au XVIIIe siècle. Sans offrir d’évidentes
similarités avec l’univers de ses films
précédents, le projet laisse alors sans doute
entrevoir à la réalisatrice l’opportunité d’en
découdre avec ses thèmes de prédilection, mis
en place dès Nettoyage à sec, et déclinés
depuis, avec plus ou moins de bonheur, dans
Nathalie… ou Entre ses mains : fort ancrage
dans un milieu social, avènement d’un corps
étranger, prise de pouvoir par ce corps sur un
autre, envoûtement, destruction.
De fait, on imagine sans difficulté la transposition
d’un tel canevas dans la société des salons
du siècle philosophique. Ce projet initial
ne voit pas le jour mais donne lieu, sous la
forme du scénario de Nouvelle chance, à une
habile mise en abyme : l’histoire brouillonne
et décalée de trois individus aussi dissemblables
que possible, décidés à monter ce
même projet pour le théâtre. Le ton est enjoué,
drôle, fantaisiste, élaboré sur le modèle
d’un autre pan de la filmographie de la réalisatrice,
Augustin et Augustin roi du kung-fu,
fables existentielles et loufoques, à la limite de
l’improvisation. Nouvelle chance opère ainsi
un déplacement, marquant l’incorporation du
premier univers (narratif, dramatique) dans
le second (délié, théâtral, comique) abandonné,
pensait-on, depuis des années.
Si la filiation de ce nouveau long métrage avec
les Augustin apparaît évidente, c’est aussi
parce qu’on y retrouve dans le rôle principal
le même acteur, Jean-Chrétien Sibertin-Blanc
(remarquable), frère de la cinéaste, tel un
monsieur Hulot égaré à travers les lieux et les
âges. Initiée par lui, la réunion d’un garçon de
piscine à l’hôtel Ritz (lui-même), d’une vieille
actrice d’opérettes nostalgique (Danielle Darrieux),
d’une héroïne de feuilleton démodé
(Arielle Dombasle) et d’un jeune éphèbe
(Andy Gillet) instaure un jeu de frottement
entre les personnages, dont l’admiration, la jalousie,
la complicité et la vexation vont figurer
les multiples étincelles.
La drôlerie et la justesse de ce tableau humain
ne sont pas étrangères à la forte dose en mythologies
réelles qu’on y a glissée. La réalisatrice
aime insérer dans la fiction des “personnagesî
empruntés à la réalité, comme cette
fois Jack Lang et Josée Dayan. Choisir de faire
jouer Darrieux ou Dombasle, c’est charger
l’histoire de celles de ses actrices, étoffer
l’image par d’autres. Une fois le devoir d’hommage
accompli (relégué au dernier plan-séquence),
reste la formidable torsion infligée
aux icônes : caricature à l’extrême de la “sirène
bimbo » Arielle, vulgarisation de l’icône
Danielle. Quand la vielle dame s’isole dans sa
chambre après avoir été évincée de la pièce,
le pâle visage qui émerge vaguement de l’obscurité
a l’innocence d’un ovale dessaisi de sa
légende, dépouillé de son histoire, patient et
immobile devant la mort.
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