Pour beaucoup d’entre nous, le 31 décembre fait figure à la fois d’apothéose et de bilan de l’année, comme un climax narratif du film des douze mois écoulés. Au cinéma, il se fait festif ou mélancolique, tragique ou romantique. Retour sur dix scènes de réveillon mémorables.
Le soir du nouvel an et les célébrations qui l’accompagnent possèdent la faculté curieuse de concentrer, au delà du décorum festif et consumériste traditionnel, une gamme infinie de passions accumulées, qui trouvent en ce climax annuel l’occasion de s’ébattre ou de se solder. Le 31 décembre est un théâtre où le rire et l’absurde côtoient la mélancolie et le cafard, une comédie humaine subtilement déréglée à la chimie et aux règles parfois inattendues. Les cinéastes ont livré bien des lectures de cette date si particulière, et nous vous proposons d’en (re)découvrir dix pour le moins mémorables.
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La danse des petits pains dans La Ruée vers l’or, de Charlie Chaplin (1925)
Escapade burlesque dans le Grand Nord hantée par la dureté de la condition de son inénarrable clochard fantasque, La Ruée vers l’or constitue véritablement la quintessence du style Chaplin, période muette. L’acteur et réalisateur de génie y déploie des trésors d’inventivité gestuelle et visuelle pour dépeindre les mésaventures tragi-comiques d’un prospecteur solitaire parti chercher fortune dans le Klondike. Si l’on retient surtout les célèbres séquences de la cabane à l’équilibre précaire, lors desquelles le malheureux mange ses semelles de chaussures et affronte un ours éméché, les hommes s’y montrent parfois plus cruels encore que le froid et les bêtes sauvages. Abandonné par son rendez-vous galant le soir du nouvel an, Charlot continue pourtant d’avancer et de faire rire son entourage, et improvise sur la table d’un restaurant une danse des petits pains dont la grâce enfantine ferait fondre le cœur du plus insensible des humains.
La déclaration d’amour tragique de Boulevard du crépuscule, de Billy Wilder (1950)
Portrait à la noirceur inouïe d’Hollywood en fabrique de vedettes prêtes-à-filmer qu’on s’empressera également de jeter et d’oublier, film sur l’ivresse empoisonnée de la célébrité et le cynisme de l’industrie cinématographique dans lequel brillent néanmoins des éclats de magie et de tendresse… Boulevard du crépuscule est tout cela à la fois, une œuvre inclassable à l’alchimie sublime irradiée par Gloria Swanson en étoile déchue. Et si son envoûtante noirceur l’éloigne a priori des feux d’allégresse des festivités du nouvel an, le 31 décembre s’y fait néanmoins le théâtre de l’une de ses scènes pivots : Norma Desmond y avoue son amour à Joe Gills, scénariste cynique et sans le sou qu’elle entretient afin d’orchestrer son come back. Le malotru, gêné, repoussera ses avances et s’en ira festoyer chez des amis, poussant sa prétendante éconduite à une tentative de suicide. Un film noir, on l’a dit.
Le réveillon doux-amer de La Garçonnière, de Billy Wilder (1960)
Dix ans après Boulevard du crépuscule, Billy Wilder signe un autre chef d’œuvre à la noirceur plus diffuse, proche de la grisaille hivernale qui auréole le film. La Garçonnière est quelque part un film anti-période des fêtes, placé du côté de ceux qui n’ont pas la force ou le désir de festoyer et de se réjouir. C. C. Baxter (Jack Lemmon), employé taciturne dans une grande compagnie d’assurance, arrondit ses fins de mois en mettant son petit appartement à la disposition des cadres de sa compagnie qui souhaitent prendre du bon temps avec leurs maîtresses à l’abri des regards. Solitude des rues glacées, rhumes interminables et amours malheureuses, la période des fêtes y est dépeinte sur un mode étrange, à la fois résigné et intense, comme une parenthèse cotonneuse en forme de bilan doux-amer.
Le réveillon catastrophe de L’Aventure du Poséidon, de Ronald Neame (1972)
https://youtu.be/Ffyx2XfXHEk
Un soir de 31 décembre, les élégants passagers déjà bien alcoolisés d’un paquebot de luxe sont réunis dans la salle de bal pour attendre les douze coups de minuit. Hélas, une gigantesque lame de fond renverse le navire comme une coquille de noix, envoyant valser les plats et les convives. Dix survivants, menés par un pasteur courageux (Gene Hackman), tentent de remonter jusqu’à la coque pour survivre. Dans cette super-production, considérée comme l’un des premiers films catastrophes de l’histoire et adapté du roman éponyme de Paul Gallico, le nouvel an est effectivement mémorable, et se décline en un maelstrom apocalyptique d’éléments déchaînés qui ferait passer la traditionnelle gueule de bois du 1er janvier pour une piqûre de moustique.
Vertige cubain et gangsters éméchés dans Le Parrain 2, de Francis Ford Coppola (1974)
https://youtu.be/gBalU46KqKI
Dans la partie du film consacrée au personnage de Michael Corleone, interprété par Al Pacino, la longue enquête sur la tentative de meurtre du nouveau chef de la Mafia et de son épouse mène les personnages à Cuba, alors que le régime de Batista, friand d’investisseurs américains, subit les assauts de la guérilla communiste. Au terme d’une série de rencontres entrecoupées de meurtres sanglants, Michael Corleone comprend que c’est son frère Fredo qui a orchestré la fusillade sur sa chambre. Dans la vaste salle des fêtes du palais du dictateur et alors que résonnent les douze coups du passage à la nouvelle année, Michael étreint son frère et lui murmure à l’oreille : « Je sais que c’est toi, Fredo, tu m’as brisé le cœur.” La mécanique tragique de la dernière partie du film, la plus sombre de la saga, est enclenchée, condamnant à jamais la dernière part d’humanité du Godfather.
Le huis clos policier de Garde à vue, de Claude Miller (1981)
Le soir de la Saint-Sylvestre, l’inspecteur Antoine Gallien (Lino Ventura) interroge longuement le notaire Martinaud (Michel Serrault), un notable local, pour lui faire avouer le meurtre et le viol de deux fillettes. S’il pèche parfois par excès de rigorisme et théâtralité surfaite, ce huis clos intenable aux dialogues ciselés par Michel Audiard vaut le détour pour la confrontation de ses deux acteurs de légende. Les coups de théâtre ponctuent une montée savante de la tension, qui confère à ce soir de réveillon la couleur d’un cauchemar policier.
La romance alambiquée de Quand Harry rencontre Sally, de Rob Reiner (1989)
https://youtu.be/FY75chj8XSQ
Les arrières-pensées sexuelles finissent-elles forcément par faire barrage à l’amitié hommes-femmes ? A partir de cette problématique un brin réductrice, l’artisan en chef de la comédie romantique américaine Rob Reiner orchestre la romance résolument décomplexée entre Harry et Sally, qui mettront douze ans de rencontres éparpillées, de franches engueulades et de rabibochages inattendus avant de se marier et de filer le parfait amour. Une issue bien consensuelle pour un film néanmoins attachant et rapidement devenu culte – on se rappelle avec émotion de Meg Ryan (Sally) mimant l’orgasme dans un restaurant face à un Harry (Billy Crystal) médusé. Et le nouvel an dans tout ça ? Il sert de cadre, romantique et kitsch à souhait, à la déclaration d’amour puis au baiser tant attendu entre les deux protagonistes, bercés par la douce mélodie d’Auld Lang Syne (Ce n’est qu’un au revoir).
L’instant décisif de Two Lovers, de James Gray (2008)
https://youtu.be/o3SJJXJLhOU
Avec Two Lovers, drame confrontant un homme blessé au choix cornélien entre deux femmes en apparence diamétralement opposés, James Gray signe peut-être son meilleur film, magnétisé par la présence bouleversante et hantée de Joaquin Phoenix. Le trajet de cet être à la croisée des chemins prend une tournure électrique et tragique, naviguant entre des personnages dont les caractères, loin d’être monolithiques comme souvent dans la romance hollywoodienne, se déclinent en mille facettes ambiguës et vibrantes. La libération passe hélas par le choix, et c’est lors d’une soirée de nouvel an, sommet d’intensité dramatique entremêlant la douceur ouatée des intérieurs familiaux et la tension des passions exacerbées, que se jouera le dernier acte qui scellera le destin des personnages.
Le voyage dans le temps de Camille redouble, de Noémie Lvosky (2012)
Camille (Noémie Lvosky), la quarantaine bien entamée, peine à refréner son goût immodéré pour l’alcool, et se fait plaquer par le père de sa fille pour une femme plus jeune. Après s’être enivrée à en perdre connaissance lors d’une soirée de nouvel an chez des amis, elle se réveille dans les années 80, retrouvant ainsi ses parents et camarades de lycée. Revivant comme une seconde chance son adolescence dans un corps d’adulte, Camille rejoue avec une acuité infusée de mélancolie le disque de sa vie, dont elle pourrait peut-être changer le cours. Quels échos et sensations garde-t-on de notre passé, semble demander le film ? Une chaleur et des traces impalpables mais vitales, dont le personnage redécouvre la force par ce dérèglement inattendu de la trajectoire de sa vie.
La beauté des amours impossibles de Café Society, de Woody Allen (2016)
Le curieux dernier film de Woody Allen, s’il présente des atours charmants, fait au spectateur l’effet d’une bulle de champagne : charmant, ouvragé, mais à la beauté éphémère et légère. Du champagne, il en coule à flot dans le club très chic que Bobby (Jesse Eisenberg) ouvre avec son grand frère. Il faut voir l’aisance avec laquelle ce petit dernier auparavant timide d’une famille ouvrière juive new-yorkaise déambule désormais parmi les invités prestigieux en complets blanc sur mesure, flanqué de sa charmante épouse et apprécié par tous. Et pourtant, année après année, le soir du nouvel an, l’espace de quelques instants, il n’est plus tout à fait là. Son corps danse et fait sauter les bouchons de champagne, mais son cœur bat à l’unisson de celui de Vonnie (Kristen Stewart), son grand amour à jamais impossible, qui gardera à jamais cette maigre mais précieuse place pour s’ébattre en sourdine.
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