Netflix vise les Oscars depuis quelques années et il se pourrait bien que la crise sanitaire mondiale lui permette d’obtenir sa première statuette dorée pour le meilleur film de l’année…
Préparez votre tenue de bal, la 93e cérémonie des Oscars se tiendra le dimanche 25 avril 2021 à Los Angeles. Il est encore difficile de déterminer si ce report de deux mois (en 2020, l’événement avait eu lieu le 9 février) permettra ou non d’organiser un évènement avec du public. Est-ce que les stars devront se faire vacciner pour marcher sur le tapis rouge ? Est-ce qu’elles assisteront à la cérémonie depuis chez elles ? Beaucoup d’incertitudes persistent autour de cette édition un peu spéciale, mais une chose semble de plus en plus certaine. Ce sera l’année de la consécration pour Netflix qui, depuis quelques années, cherche à se faire une place à Hollywood.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Alors que la plupart des cinémas ont dû fermer leurs portes et que la distribution en salle se porte au plus mal, même les plus grands studios américains ont opté pour la carte du streaming. En temps normal, les festivals d’automne ouvrent le bal. A Venise, Toronto ou Telluride nous découvrons les succès de l’année à venir, susceptibles de finir leur course aux Oscars. Les acteur·rices, cinéastes et producteur·rices font leur premier festival de la saison, avec pour ambition de vendre le film qu’ils représentent aux distributeurs et médias du monde entier. Mais, Covid oblige, rien de tout ça n’a eu lieu en 2020.
>> A lire aussi : Ron Howard signe une “Ode américaine” où tout sonne faux
Un contexte favorable à Netflix
Au lieu de négocier avec les distributeurs du monde entier, les producteur·rices se sont rabattus sur la plus grande des salles de cinéma virtuelles, c’est-à-dire Netflix. La plateforme a, en effet, ratissé large lors de ces festivals. Au TIFF, la firme est par exemple repartie avec les droits de diffusion de trois des films les plus attendus cette année : Malcolm & Marie de Sam Levinson, Pieces of a Woman de Kornél Mundruczó et Bruised réalisé par la star hollywoodienne Halle Berry.
Netflix pourrait ainsi battre le record détenu jusqu’à présent par la Metro-Goldwyn-Mayer qui, lors de la 9e cérémonie des Oscars en 1937, avait cinq films nommés dans la catégorie « Meilleur Film ». Et le contexte lié au coronavirus ne fait pas tout. Depuis quelques années, la plateforme a tout fait pour séduire les plus grands noms du cinéma en offrant à des cinéastes déçus des moyens financiers et une liberté qu’ils ne trouvaient pas ailleurs.
Le fruit d’un travail de longue haleine
Martin Scorsese – pourtant un grand défenseur des salles de cinéma – n’a pas hésité à déclarer que The Irishman n’aurait pu se faire sans Netflix par exemple. Selon Deadline, ils ont racheté les droits de son film à hauteur de 105 millions de dollars pour ensuite lui allouer un budget d’environ 125 millions de dollars… Un deal habile pour gagner en prestige, sous couvert de films d’auteur. Roma d’Alfonso Cuarón a d’ailleurs permis à Netflix de faire une entrée fracassante aux Oscars (non sans une certaine polémique) en 2019.
Le film le plus personnel du cinéaste mexicain a été nommé dans sept catégories différentes et reparti avec trois statuettes dont celle du meilleur réalisateur… Marriage Story de Noah Baumbach a, quant à lui, été nommé dans six catégories en 2020 et il est reparti avec le prix du meilleur second rôle, remis à Laura Dern pour son rôle d’avocate furieusement pertinente, drôle et féministe. Mais, le 25 avril 2021, Netflix pourrait bien avoir produit le « Meilleur Film » de l’année et cela marquerait un véritable tournant dans l’histoire de l’industrie du cinéma.
>> A lire aussi : Alan Ball retrouvera-t-il un jour le niveau de “Six Feet Under” ?
Une année historique
La compétition sera également exceptionnelle pour deux raisons supplémentaires : il s’agira de la première cérémonie de l’ère post-Trump (peut-être plus apaisée ?) ainsi que l’ultime mise en vigueur du système de sélection actuel. Jusqu’à présent, il fallait qu’un film obtienne un minimum de 5% des votes pour faire partie des nommés, ce qui expliquait que certaines années, il y avait moins de films sélectionnés que d’autres. Dès 2022, il y aura quoiqu’il arrive dix films différents en compétition aux Oscars, toutes catégories confondues. Une règle garantissant que deux ou trois films ne monopolisent plus la compétition, comme cela a pu être le cas par le passé.
Ce sera aussi la dernière année avant l’établissement de critères obligatoires favorisant la représentation des minorités au cinéma. Entre 2022 et 2024, les Oscars deviendront progressivement plus sévères quant aux quotas de femmes, de personnes non blanches et non cisgenres présent·es devant ou derrière la caméra. On peut cependant imaginer que les membres de l’Académie soient d’ores et déjà sensibilisés à la question…
>> A lire aussi : “Mank” : quand David Fincher relit “Citizen Kane”
Les prétendants Netflix pour l’Oscar du Meilleur film
Netflix pourrait donc, à lui tout seul, quasiment remplir l’ensemble du scrutin des Oscars 2021. Cette année, la plateforme a attiré pas moins de trois réalisateurs prestigieux. En haut de la liste, David Fincher pourrait bien faire des ravages avec son dernier long-métrage, Mank. Rappelons qu’environ 63% des électeurs de l’Académie appartiennent à la branche technique du septième art. Ainsi la virtuosité du dernier Fincher, son image léchée en noir et blanc et ses mouvements de caméra méticuleux, pourrait-elle aisément séduire cette majorité.
Il en va de même pour Les Sept de Chicago d’Aaron Sorkin, dont la maîtrise du scénario et des dialogues frôle la perfection. Spike Lee, quant à lui, et son Da 5 Bloods, ont moins de chance de remporter le prix du meilleur film et/ou du meilleur réalisateur. Sorti en juin 2020, son « joint » a eu le temps de se faire éclipser. Au contraire, le temps joue en faveur du film de George C. Wolfe, Le blues de Ma Rainey qui met en scène le regretté Chadwick Boseman aux côtés de Viola Davis. En effet, ce drame historique saura sans doute conquérir le cœur des spectateurs encore traumatisés par la disparition brutale du comédien en août.
De solides adversaires
Le géant du streaming devra tout de même faire face à quelques solides concurrents. Parmi eux notamment, le très remarqué Nomadland de Chloé Zhao qui a déjà conquis le public vénitien en remportant le Lion d’or en septembre. Il est suivi de très près par Une Nuit à Miami de l’actrice et réalisatrice Regina King. Cette fiction mettant en scène la réunion de quatre légendes de la cause noire – Malcolm X, Mohamed Ali, Jim Brown et Sam Cooke – est l’un des films les plus politiques de l’année avec Les Sept de Chicago de Sorkin.
A leurs côtés, on retrouve le grand favori du festival Sundance de cette année : Minari de Lee Isaac Chung, qui a raflé à la fois le Grand Prix du jury et le Prix du public. Enfin, d’autres plateformes de streaming pourraient faire de l’ombre à Netflix. Les films sortis sur Hulu, HBOMax ou Amazon sont désormais éligibles. On pourrait donc envisager que le dernier Pixar qui sortira directement sur Disney+ le 25 décembre, Soul de Pete Docter, fasse mouche.
>> A lire aussi : Sébastien Lifshitz dévoile un nouveau documentaire bouleversant
Quel·les réalisateur·rices sont pressentis ?
Dans la catégorie meilleur réalisateur·rice, nous pourrions donc nous attendre à trouver David Fincher (Mank), Spike Lee (Da 5 Bloods) et Aaron Sorkin (Les 7 de Chicago) – tous les trois produits par Netflix – faisant face à Chloé Zhao (Nomadland) et Regina King (Une Nuit à Miami). Le choix se résume aussi de la manière suivante : les Oscars récompenseront-ils un réalisateur confirmé, déjà multiprimé, ou bien une femme cinéaste manquant encore de reconnaissance à l’international ?
Charlie Kaufman, lui, a sans doute moins de chance décrocher une telle marque de reconnaissance tant son dernier film, Je veux juste en finir, est loin de correspondre aux critères hollywoodiens. Le chouchou de la cérémonie, George Clooney, pourrait quant à lui faire partie des nommés avec son film spatial mélancolique, The Midnight Sky.
Quels acteurs seront nommés ?
Pour les acteurs, la situation se complique. On ne cesse de prédire, dans les médias, un Oscar posthume pour Chadwick Boseman. D’un côté, la chose a déjà été faite en 1977 : Peter Finch a remporté l’Oscar du meilleur acteur à titre posthume pour sa prestation dans Network : Main basse sur la télévision de Sidney Lumet. De l’autre, il existe statistiquement un corollaire entre le détenteur de l’Oscar du meilleur acteur et celui du meilleur film. Or on imagine mal Le blues de Ma Rainey remporter le Grand Prix de la cérémonie et voler la vedette à de plus grands films.
Gary Oldman fera probablement partie des nommés pour son incarnation du scénariste de Citizen Kane dans Mank, mais l’Oscar qu’il a remporté récemment pour son interprétation de Winston Churchill dans Les Heures sombres (2017) lui ôte des chances de remporter à nouveau le prix cette année. Et si c’était finalement Anthony Hopkins qui repartait avec un deuxième Oscar, pour son rôle dans The Father de Florian Zeller ?
Delroy Lindo (Da 5 Bloods), Kingsley Ben-Adir dans le rôle de Malcolm X (Une Nuit à Miami) ou encore Steven Yeun (Minari) ont également toutes leurs chances. Sans oublier Riz Ahmed pour son interprétation d’un batteur devenant sourd dans Sound of Metal de Darius Marder.
>> A lire aussi : “Cemetery”, un face-à-face avec la mort d’une sensorialité folle
Quelle meilleure actrice ?
Du côté des actrices, aussi formidable soit-elle dans Nomadland, il est peu probable que Frances McDormand reparte avec un troisième Oscar de Meilleure actrice. Son dernier prix, obtenu en 2018 grâce à son rôle dans Three Billboards : Les Panneaux de la vengeance, est encore bien trop frais. Viola Davis (Le blues de Ma Rainey) en revanche a davantage de chances. Elle ne détient pour l’instant qu’un Oscar pour un second rôle (dans Fences) et le geste serait historique. Car, à ce jour, Halle Berry est l’unique femme noire à avoir jamais reçu l’Oscar de la meilleure actrice en 2002.
Vanessa Kirby fait aussi beaucoup parler d’elle. Son rôle dans Pieces of a Woman de Kornél Mundruczó lui a d’ores et déjà valu la Coupe Volpi du festival de Venise en septembre. Enfin, il reste l’option Elisabeth Moss que l’on avait adorée dans Invisible Man avant le premier confinement, ou encore Carey Mulligan pour son rôle de vengeresse féministe dans Promising Young Woman, deux actrices aux carrières confirmées.
Et dans des seconds rôles…
Les 7 de Chicago est assurément un vivier de seconds rôles, la prestation de Sacha Baron Cohen en tête. Le fait que l’on ait beaucoup entendu parler de son dernier film en tant que réalisateur, Borat 2, et qu’il se soit attaqué à Trump de façon si virulente pourrait l’avantager. Leslie Odom Jr. a lui aussi toutes ses chances pour son interprétation du père spirituel de la soul, Sam Cooke, dans Une Nuit à Miami. David Strathairn (Nomadland) pourrait également faire partie des nommés.
Amanda Seyfried (Mank) et Ellen Burstyn (Pieces of a Woman) sont a priori les deux grandes favorites pour remporter le prix de la meilleure actrice dans un second rôle. Choisiront-ils d’honorer une actrice ayant enfin obtenu un rôle à la hauteur de son talent, ou bien plutôt une comédienne plus âgée, déjà reconnue, mais un peu oubliée ces dernières décennies à cause d’une carrière déclinante ? Récompenseront-ils une actrice au faîte de sa carrière, en pleine gloire, ou une revenue d’entre les morts ?
Des actrices aux âges de plus en plus variés
Même si elle a déjà remporté l’Oscar de la Meilleure actrice en 2019 pour son rôle dans La Favorite, on pense évidemment à Olivia Colman que tout le monde adore et qui, cette année, donne la réplique à Hopkins dans The Father. Sans oublier, Maria Bakalova, pour laquelle Sacha Baron Cohen s’est battu dans les médias. Pour jouer sa fille dans le dernier Borat, celle-ci n’a pas hésité à se confronter à Rudy Giuliani. Cela vaudrait, selon l’acteur et cinéaste, toutes les nominations du monde…
Parmi les nommées pourraient se trouver Yuh-jung Youn (Minari), Glenn Close (Une ode américaine) et de manière moins probable, Sophia Loren pour son grand retour au cinéma dans le film Netflix La Vie devant soi réalisé par son propre fils, Edoardo Ponti. Ou bien encore l’actrice Priyanka Chopra Jonas pour son rôle secondaire dans un autre film Netflix, Le Tigre blanc de Ramin Bahrani adapté d’un best-seller racontant l’histoire d’un self-made-man indien. Une sélection qui s’annonce diversifiée et réjouissante.
>> A lire aussi : Redécouvrir “Le Monde sur le fil” de Fassbinder, chaînon manquant entre “La Jetée” et “Matrix”
{"type":"Banniere-Basse"}