Le cinéaste franco-algérien (“Indigènes”, “Hors-la-loi”) se pare d’une sobriété nouvelle et bienvenue pour restituer les deux affaires qui secouèrent la France en 1986.
Fixant depuis toujours le cinéma américain et rêvant un peu naïvement d’en redéployer les formes en France, le cinéma de Rachid Bouchareb a souvent subi le poids un peu trop écrasant d’illustres patronages dont il tenterait de rendre hommage dans ses films (Spielberg dans Indigènes, Il était une fois en Amérique de Leone dans Hors-la-loi ou encore une combinaison embarrassante du Flic de Beverly Hills et Deux Flics à Miami dans le buddy movie Le Flic de Belleville).
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Cette fascination voire fétichisation de la culture états-unienne est d’ailleurs racontée, comme une note d’intention liminaire de son cinéma, dès son premier film Bâton Rouge en 1985 dans lequel trois jeunes amis de banlieue décident de traverser l’Atlantique pour vivre le rêve américain.
Un retour sur l’affaire Malik Oussekine
Pensé par son auteur comme le troisième épisode d’une série initiée par Indigènes et Hors-la-loi, Nos frangins vient poursuivre une saga multigénérationnelle sur la mémoire et le sort des enfants d’immigrés maghrébins dans la société française. Ici, le cinéaste restitue l’affaire Malik Oussekine, ce jeune étudiant assassiné sous les coups de matraque d’une unité de voltigeurs motorisés de la Police dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986.
À la différence de la mini-série d’Antoine Chevrollier sur le même sujet et diffusé il y a quelques mois sur Disney+, Nos Frangins raconte également la fin tout aussi tragique, mais beaucoup moins connue, d’Abdel Benyahia, tué la même nuit dans un bar à Pantin par un inspecteur ivre qui n’était pas en service.
Une sobriété nouvelle
Comme encore meurtri par l’immense charge émotionnelle de cette affaire, la mise en scène de Bouchareb autrefois teintée d’un esthétisme excessivement glacé se pare d’une sobriété nouvelle et bienvenue. Sa caméra se met à juste distance pour capter la vive émotion de ces acteurs et actrices (Adam Amara, Samir Guesmi, Reda Kateb et Lyna Khoudri tous impeccables) en même temps que la sordide mécanique de l’État pour cacher la vérité de cette affaire.
Entre un dépouillement lointainement melvilien (Raphael Personnaz dont le teint grisâtre et la démarche mutique ressuscite assez miraculeusement les traits de Delon dans Le Cercle rouge de Melville tout en reprenant le patronyme du commissaire interprété par Bourvil dans le même film) et l’efficacité professionnelle d’un certain cinéma politique (Costa-Gavras, Lumet), Bouchareb accouche d’un film sérieux à la hauteur de son sujet et faisant judicieusement écho aux nombreuses violences policières ayant frappé ces dernières années en France. Sur ce sujet, le film se clôture sur un carton aussi glaçant que révoltant : dissoute après la mort d’Oussekine, une nouvelle version de l’unité voltigeur de la Police été recréée pour “encadrer” la crise des Gilets jaunes en 2019. On connaît la suite…
Nos frangins, de Rachid Bouchareb, avec Samir Guesmi, Reda Kateb et Lyna Khoudri (Fr., 2022, 1 h 32). En salle le 7 décembre 2022.
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