Notre numéro Sexe 2022 est en kiosque depuis mercredi dernier. Pour l’occasion, chaque critique cinéma des Inrocks a élu la scène de sexe qui l’a le plus marqué, et vous explique ici pourquoi.
Bruno Deruisseau – Crash de David Cronenberg (1996)
Aux deux-tiers de Crash, Vaughan, Ballard et Catherine partent nettoyer leur décapotable dans un car wash, en pleine nuit. Alors que la capote et les fenêtres de la voiture remontent, Catherine, assise à l’arrière, découvre un sein dont Vaughan saisit le bout. Puis, à mesure que les premiers jet de liquide savonneux aspergent la carrosserie et que des tissus de différentes textures l’astiquent, ils se lèchent, s’embrassent, il la doigte et elle le mord pendant que Ballard les regarde dans le rétroviseur. Ce qui rend cette scène de sexe incroyablement réussie et excitante, c’est à la fois son dispositif voyeuriste, son animalité et la façon dont la mise en scène jouit autant des corps en action que de la mécanique de la voiture et des engins de nettoyage. Sperme, essence, cyprine, savon, sang et salive, c’est le cocktail capiteux du chef d’œuvre de Cronenberg.
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Marilou Duponchel – Sexe, mensonges et vidéo de Steven Soderbergh (1989)
Revoir Sexe, mensonges et vidéo, et y voir un manifeste pour une sexualité nouvelle. Si le film veut nous faire croire qu’Ann (Andie MacDowell), qui ne veut plus que son mari la touche, et Graham (James Spader), qui ne bande plus et prend son pied en regardant des images, ont des problèmes, leur non-sexualité, ou disons leur sexualité déplacée, est en réalité le remède à un rapport, et peut être à un amour, hétérosexuel viable. Avant qu’elle ne se produise, la scène de sexe finale sera annoncée par les deux personnages, exprimant l’un et l’autre leur désir réciproque, scellant leur consentement (jamais le sexe n’avait été aussi bavard). Préférant l’érotisme aux secousses des corps nus, elle ne nous est donnée que partiellement et s’apparente à un ballet de gestes et de regards (encore).
Jacky Goldberg – Le générique de Signé Cat’s Eyes, version longue de Tsukasa Hôjô – 1983
À travers une vitre embuée apparaît Sylia, l’aînée des sœurs Chamade, comme matée par un voyeur. “Filles d’aujourd’hui, enfants de la forme, nous aimons rire et danser”. Ses longs cheveux bruns bordent un visage en cœur, les yeux mi-clos et la bouche entrouverte. “Vienne minuit, quand d’autres s’endorment, nous devenons pour la nuit”. Tam, la benjamine, en maillot de bain rouge échancré, s’appuie contre un mur. “Trois vives panthères, qui en un éclair, savent bondir sans un bruit”. Les trois sœurs réunies, Sylia, Alex et Tam, courent dans la nuit noire, leurs silhouettes se détachant dans la lumière des projecteurs. “Sœurs et solidaires, sur terre ou en mer, relevant tous les défis”. Leurs cartes de visite voltigent tels des shuriken tandis que leurs jambes infinies, moulées dans des catsuits bleues, oranges ou violettes, découpent l’écran. “Cat’s Eye ! Signé Cat’s Eyes !”
Arnaud Hallet – L’Apollonide de Bertrand Bonello (2011)
Madeleine, prostituée, ouvre le film avec le récit de son rêve : un client habitué de la maison close vient la visiter, lui offre un coffret de cuir marron où loge une émeraude, signe d’affranchissement des catins. L’acte sexuel, mécanique, vient saisir les deux visages en champ-contrechamp dans une lumière chaude et secrète. Elle raconte : “Et à mesure que tu jouis entre mes cuisses, je sens ton sperme remonter en moi, me remplir et il ressort par mes yeux. Il y a des larmes blanches épaisses qui coulent sur mes joues”. C’est un cauchemar, qui est aussi une prémonition. Plus tard, quand la scène est rejouée, un violent cri pénètre la chair du film. Ne reste que le corps nu et blanc de Madeleine, le visage recouvert de sang, un sourire dessiné au couteau. Le sexe de L’ Apollonide est cette connexion vénéneuse entre ce qui est rêvé et vécu, un chemin en spirale hypnotique et dangereux.
Murielle Joudet – 36 fillette de Catherine Breillat (1988)
Pour une jeune fille en vacances qui rêve d’en finir avec son encombrante virginité, le sexe est une guerre à mener de front. Lorsque Lili, 14 ans, rencontre un beau quadra, ce sont autant ses sens que son cerveau qui s’affolent : rarement un film n’aura si bien montré que l’excitation sexuelle est d’abord une affaire de cérébralité, un torrent d’affects qui contient aussi bien la volupté que le dégoût, la peur, la haine et la tristesse. L’érotisme, c’est “l’approbation de la vie jusque dans la mort”, comme disait Bataille, le maître de la cinéaste. 36 fillette est son hommage à l’un de ses films fétiches, Baby Doll d’Elia Kazan, un remake suffocant d’érotisme en ce qu’il s’en tient à une règle d’or : surtout, ne jamais aller jusqu’au bout, s’enfuir au moment où l’on entrevoit la jouissance.
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