Notre numéro Sexe 2022 est en kiosque depuis mercredi dernier. Pour l’occasion, chaque critique cinéma des Inrocks a élu la scène de sexe qui l’a le plus marqué, et vous explique ici pourquoi.
Rose Baldous – Pola X de Léos Carax (1999)
La nuit est bleue et les lueurs froides. Une bouche arrondit un angle. Une main sonde un visage. L’autre s’engouffre, au cœur des cuisses, et vient cambrer le buste. Dans la lutte des corps s’avance l’araignée, chimère faite de chair et d’oubli. Son cri déchire la chambre et rend aux amants leurs contours. Les corps gisent, embaumés par le sommeil. Alors la fièvre renaît, avant que l’amour ne meure une dernière fois. Yekaterina Golubeva et Guillaume Depardieu, astres morts trop tôt, se consument sous nos yeux et laissent sur les draps l’éclat de leur rencontre.
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Emily Barnett – Lost Highway de David Lynch (1997)
Si Lost Highway est le haut délire d’un psychopathe hanté par une vamp insaisissable, l’ultime scène de leur union charnelle dans le désert en est le parachèvement : le moment où l’image brûle. Dans les phares de la Jaguar rouge, qui évoque un gros œil monstrueux (une cousine de Christine ?), les deux corps s’enlacent jusqu’à leur dislocation, défaits par la lumière, la tempête de sable, les effets de ralenti très “nineties”. Patricia Arquette éblouit par sa beauté folle, sa blondeur cramée évoquant les stars déchues de cinéma, mais aussi Méduse et les sirènes qui attirent Ulysse vers les récifs dans L’Odyssée (la chanson de This Mortal Coil qui accompagne la séquence). En guise d’orgasme, elle glisse à son partenaire dans un soupir “qu’elle ne sera jamais à lui”. L’érotisme comme une expérience (bataillienne, durasienne) de frustration, d’inaccessibilité et de mort, sublimée comme jamais par les images.
Ludovic Béot – Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg (1974)
Laura (Julie Christie) et John Baxter (Donald Sutherland), un couple endeuillé par la disparition de leur petite fille morte noyée, décide de prendre le large vers une Venise embrumée. C’est là qu’ils referont l’amour pour la première fois depuis la mort de leur fille. Captant tous les hors-champs que les scènes de sexe traditionnelles écartent (changements de position, plans rapprochés sur les visages pendant l’orgasme), la caméra scrute l’alchimie parfaite des corps qu’elle entrecoupe de courtes ellipses dans lesquelles le couple se rhabille et se prépare à sortir dîner. Une collision qui prolonge l’excitation des deux personnages après leurs ébats et érige cette scène sidérante de vérité et d’une sublime stylisation comme l’une des plus belles étreintes du cinéma, qui fait triompher la vie sur la mort.
Romain Burrel – Presque rien de Sébastien Lifshitz (2000)
En 2000, Sébastien Lifshitz mettait à jour la violence au sein d’un couple gay et le prix exorbitant d’un premier amour qui aurait du mourir avec l’été. Matthieu (Jérémie Elkaïm) et Cédric (Stéphane Rideau) tombent amoureux sous le soleil de Pornichet. Entre les dunes, ils font l’amour. La scène, vibrante, fiévreuse, brave plusieurs tabous. L’un cinématographique : filmer le sexe entre hommes, pas le suggérer (ici, pas d’ellipse ou de métaphore fruitière à la Call me by your name, le cinéaste montre ce qui doit être montré). L’autre machiste : c’est le frêle Matthieu qui fait l’amour au robuste Cédric, battant en brèche l’idée idiote que le plus viril des deux doit pénétrer l’autre. C’est Presque rien, mais c’est fondamental.
Alexandre Büyükodabas – Turkish Delight de Paul Verhoeven (1973)
Éric, sculpteur bohème et séducteur insistant, rencontre Olga en faisant du stop. Inaugurée par un accident de voiture, leur passion débridée constitue un pied de nez à l’ordre bourgeois de la Hollande du début des années 1970. Emblématique de la révolution sexuelle, le film, vu d’aujourd’hui, en exprime le potentiel abusif jusque dans ses nombreuses scènes érotiques. Verhoeven ne se défait pas d’un male gaze insistant, mais le met en crise, notamment dans une séquence qui détourne de façon ludique les codes du premier rapport, éclairage à la bougie et musique romantique à la clef. Rappelé à l’ordre par Olga alors qu’il mate ses fesses dans un miroir, Éric se lance dans un cunnilingus interrompu par l’envie de pisser de la jeune femme. De retour dans le lit à nouveau orné d’un miroir, Olga s’endort en suçant son pouce, mettant précocement fin à leurs ébats. Branchée à cette circulation du désir en courant alternatif, la mise en scène voit son dispositif voyeuriste sans cesse escamoté par Olga. Partagé entre l’excitation et la gêne, le spectateur·trice en vient à questionner son propre regard, comme l’équilibre de la relation qui s’écrit devant ses yeux et dont l’ivresse communicative a le goût des cendres à venir.
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