À l’occasion du festival Écrans Mixtes, du 2 au 10 mars à Lyon, nous avons imaginé notre top 100 des histoires d’amour et de désir LGBTQI+.
Le top 100 a été réalisé à partir des classements individuels de Philippe Azoury, Emily Barnett, Ludovic Béot, Iris Brey, Romain Burrel, Alexandre Büyükodabas, Clélia Cohen, Bruno Deruisseau, Marilou Duponchel, Hélène Frappat, Jacky Goldberg, Murielle Joudet, Thierry Jousse, Olivier Joyard, Marie Kirschen, Jean-Marc Lalanne, Gérard Lefort, Jean-Baptiste Morain, Léo Moser, Camille Nevers, Théo Ribeton.
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100. Desert Hearts de Donna Deitch (États-Unis, 1985). Avec Helen Shaver, Patricia Charbonneau
Dans une sorte de Brokeback Mountain avant l’heure, Desert Hearts suit une prof de fac, Vivian, qui rencontre la propriétaire d’un ranch dans le Nevada dans les années 1960. Dans ce film grand public, Donna Deitch assume le genre du mélodrame lesbien, mais celui-ci se finit bien ! Vivian réussit à franchir le cap et aller vers son désir dans une scène très sensuelle où la sueur, les larmes et la salive prennent corps, où les bruits des bouches se mêlent à ceux des cloches d’une église qui résonnent, et où Vivian s’autorise enfin à aller vers un autre corps lesbien. Iris Brey
99. Alexandrie pourquoi ? de Youssef Chahine (Égypte, 1979). Avec Mohsen Mohieddin, Naglaa Fathi, Ahmed Zaki
Alexandrie pourquoi ?, l’un des films les plus importants de Youssef Chahine, n’est pas à proprement parler un film gay. Pourtant, au cœur de ce récit autobiographique et polyphonique qui se déroule en 1942, serpente le fil d’une émouvante relation amoureuse entre un bel Égyptien et un soldat anglais qui va mourir. Comme c’est l’Égyptien qui séduit l’Anglais, on peut également voir, à travers l’affirmation de ce désir, un renversement de la domination coloniale. Ce qui fait d’Alexandrie pourquoi ? un film très audacieux et doublement politique qui connut d’ailleurs à l’époque, en 1979, quelques problèmes dans le monde arabe. Thierry Jousse
98. Torch Song Trilogy de Paul Bogart (États-Unis, 1988). Avec Harvey Fierstein, Matthew Broderick, Anne Bancroft
Paul Bogart (1919-2012) fut rare au cinéma. Torch Song Trilogy apparaît d’autant plus comme un coup d’éclat. On y suit la vie d’Arnold, travesti épanoui de l’enfance à la maturité, et surtout le récit de ses amours perdues : Ed qui préfère redevenir hétéro, puis Alan, assassiné dans une émeute anti-gays. Cet Alan nous chavire car il est interprété tout en délicatesse par le sensationnel Matthew Broderick. Hyper bonus : Ann Bancroft en mère terrible. Gérard Lefort
97. Emily Dickinson, A Quiet Passion de Terence Davies (Royaume-Uni, Belgique, 2016). Avec Cynthia Nixon, Jennifer Ehle
Le biopic idéal : le silence vital au lieu du drame de l’existence, l’ellipse et le for intérieur au lieu des grandes orgues, et la volonté dickinsienne, respectée par le film, de s’absenter expressément, “calmement”, de la vie, au lieu de la chronique tapageuse d’une existence étouffée : la révélation est entre les actes (c’est un film “woolfien” à maints égards, aussi). La passion calme du titre est d’abord celle d’Emily Dickinson pour la poésie ; ensuite seulement, celle de la poétesse pour sa belle-sœur, Susan Gilbert, en filigrane, comme la broderie. Terence Davies, dans ce qui demeure son plus beau film, atteint, aux côtés de la comédienne Cynthia Nixon (qui ne fait pas mystère de son homosexualité à la ville), des sommets de sentimentalité fiévreuse et évoque par endroits l’Oliveira de Val Abraham, autre grand film de féminité homosensuelle. Camille Nevers
96. La Captive de Chantal Akerman (Belgique, France, 2000). Avec Sylvie Testud, Stanislas Merhar, Olivia Bonamy
Un jeune homme riche, Simon (Stanislas Merhar), ne cache pas à la femme qu’il abrite dans sa vaste demeure, Ariane (Sylvie Testud), qu’elle est l’objet absolu de son désir. Elle semble indifférente (elle ne cache pas qu’elle est lesbienne) mais sans haine, le laissant parfois jouir sur elle sans jamais se déshabiller. Simon souffre, a beau essayer de suivre le fil d’Ariane, de la suivre dans sa vie quotidienne, de l’observer toute la journée, de la comprendre, en somme, elle n’est captive de rien et surtout pas de lui. “Tu t’éloignes dès que tu fermes les yeux”, dit Simon avec ses airs de vampire. Très libre adaptation de La Prisonnière de Proust, Chantal Akerman saisit par l’image la solitude, la souffrance ambivalente de l’inassouvissement du plaisir et l’impossibilité de la possession à travers le sexe. Jean-Baptiste Morain
95. Faut-il tuer Sister George ? de Robert Aldrich (États-Unis, 1968). Avec Beryl Reid, Susannah York
L’immense Robert Aldrich a signé une œuvre qui fait office de sublime hapax dans le cinéma américain : l’histoire tumultueuse de June (Beryl Reid) qui campe Sister George, une vertueuse infirmière dans un mièvre soap opera. Un rôle à mille lieues de sa personnalité de lesbienne acariâtre et alcoolique qui sadise sa jeune compagne collectionneuse de poupées. Un film n’a jamais été aussi libre, fou et cathartique – et d’abord improbable. Avec son habituelle méchanceté, Aldrich saisit tous les grands infigurables du cinéma en offrant un premier rôle à une vieille actrice de télévision et en filmant un amour lesbien où règne une grande différence d’âge. Il faut le voir pour le croire. Murielle Joudet
94. Olivia de Jacqueline Audry (France, 1951). Avec Edwige Feuillère, Marie-Claire Olivia
C’est un film unique qui n’en est pas un, puisque Jacqueline Audry, femme cinéaste encore très seule en France dans les années 1940, réalise une quinzaine d’autres longs, mais avec moins de bonheur. Celui-ci fait date non seulement pour sa belle audace, sa frontalité saphique, mais aussi pour la rigueur frémissante de son huis clos, son atmosphère entêtante, son poison violent. Film de pensionnat et de jeunes filles en fleurs, après le réussi Jeunes filles en uniforme de Léontine Sagan (1931), il est l’adaptation du roman autobiographique de l’Anglaise Dorothy Bussy, succès et scandale d’édition en 1949. C’est la sœur d’Audry, Colette, qui en a écrit le scénario, et peut-être – ce qui en ferait bien un film unique – est-ce vraiment son film “secret” à elle, plus que celui de sa cadette. Mais un film de sœurs, cela est déjà exceptionnel, contrairement à la tradition du “film de frères”. II s’agit aussi du coming out, comme on ne disait pas alors, de son interprète principale, sans tapage mais étourdiment franche, Edwige Feuillère. C.N.
93. Benedetta de Paul Verhoeven (France, Pays-Bas, Belgique, 2021). Avec Virginie Efira, Daphné Patakia, Charlotte Rampling
Y a-t-il vraiment de l’amour, du désir dans Benedetta ? Ou seulement la mise en scène de l’amour et du désir ? Et en dessous le mensonge, le chantage, le contrôle des esprits ; et in fine le pouvoir, qu’octroie à certain·es l’argent, à d’autres l’autorité religieuse, et aux plus chanceux·ses la beauté ? Le film de Verhoeven, inspiré par l’histoire d’une nonne mystique déjà quasi sanctifiée au moment où on l’accusa de saphisme, n’est au fond qu’un grand entrelacs de stratégies individuelles, au centre duquel trône la jouissance secrète et le talisman interdit du sexe. Mais peut-être que c’est ça, l’amour. Théo Ribeton
92. Nitrate Kisses de Barbara Hammer (États-Unis, 1992).
Morte en 2019 à l’âge de 79 ans, très peu connue en France, petite fille de l’actrice du cinéma muet Lillian Gish, Barbara Hammer était la plus importante cinéaste lesbienne underground. Son film le plus connu, Nitrate Kisses, est aussi son premier long métrage. Ce premier volet de la trilogie The Invisible Stories, Hammer le conçoit tel un collage documentaire revenant sur l’histoire intime des gays et des lesbiennes, à travers des archives et des témoignages sexuels et amoureux, autant que comme un essai personnel sur des vies cachées, des caresses dévoilées, des gestes interdits et rendus à leur beauté première. Un film sensuel et politique, mémoriel et inoubliable. Olivier Joyard
91. Garçon d’honneur d’Ang Lee (Taïwan, Etats-Unis, 1993). Avec Winston Chao, Mitchell Lichtenstein
Moins connu que Brokeback Mountain, Garçon d’honneur nous fait passer du rire aux larmes avec grâce et pudeur. Il met en scène trois personnages : Wei-Tong, Taïwanais naturalisé Américain, son compagnon, Simon, et la locatrice loufoque de Wei-Tong, Wei-Wei. Pour se débarrasser de la pression parentale, Wei-Tong épouse Wei-Wei, à qui l’obtention d’une carte verte ne fera pas de mal. Mais les choses se compliquent quand la famille du jeune homme déboule… Deuxième volet de la trilogie Father Knows Best, Garçon d’honneur aborde l’homosexualité en la replaçant dans le contexte du conflit culturel et générationnel, et suggère avec brio une redéfinition de la famille à l’instar d’Almodóvar. Léon Cattan
90. La Belle Saison de Catherine Corsini (France, Belgique, 2016). Avec Izïa Higelin, Cécile de France
Beaucoup de choses s’entremêlent dans ce très beau mélo de Catherine Corsini : une histoire d’amour touchante (dans les années 1970 à Paris, une hétéra du MLF tombe sous le charme d’une fille de paysans), l’énergie produite par les combats politiques collectifs (le film est l’un des rares à mettre en scène le mouvement féministe), mais aussi l’éclosion délicate d’une émancipation individuelle. Le tout magnifiquement porté par Cécile de France et Izïa Higelin. Marie Kirschen
89. Huit femmes de François Ozon (France, 2002). Avec Catherine Deneuve, Fanny Ardant, Isabelle Huppert
Dans Huit femmes, il y a cette scène quasi fantasmagorique : la réunion de deux icônes, Fanny Ardant et Catherine Deneuve, s’embrassant sur une moquette rouge. Une histoire de désir naissant plantée dans un cluedo-boudoir, ce monde sans hommes imaginé par Ozon. L’autre histoire de Huit femmes, peut-être la véritable, est une histoire qui elle n’a pas le droit au champ de la caméra. Elle se contente d’être racontée comme un secret honteux qu’il faudrait cacher : c’est dans un cabanon, à l’abri des regards, que madame Chanel (Firmine Richard), bonne de la maison, peut vivre ses amours saphiques avec Pierrette (Ardant, toujours), bourgeoise. Un film invisible dont on rêve à une réalisation toute fassbinderienne. Marilou Duponchel
88. Persona d’Ingmar Bergman (Suède, 1966). Avec Liv Ullmann, Bibi Andersson
Au centre de Persona, il y a deux femmes. Alma (Bibi Andersson) est infirmière. Elizabeth (Liv Ullmann) est actrice. L’une parle, l’autre pas. Entre les deux circule une électricité, une attraction qui est difficile à nommer. Est-ce de l’amitié, de l’amour, une attirance sexuelle ? Ingmar Bergman ne le dira jamais explicitement mais il crée les conditions d’une relation inédite et forcément sexuée entre ces deux femmes. Une relation magnétique, hypnotique, fulgurante mais aussi paralysée, entravée, trahie. On n’en saura pas plus et c’est très bien ainsi. T.J.
87. Maurice de James Ivory (Royaume-Uni, 1987). Avec James Wilby, Hugh Grant, Rupert Graves
Inspiré d’un roman de Forster, Maurice de James Ivory explore l’homosexualité rampante dans la haute société anglaise du début du XXe siècle. Maurice crame d’amour pour Clive, qui lui préfère la sécurité d’un mariage hétéro. Pour se consoler et se venger, Maurice file avec Alec, jeune garde-chasse (on le comprend, c’est l’avenant Rupert Graves !). On est reconnaissant à Hugh Grant de troubler son image dans le rôle de Clive, mais nos désirs convergent vers James Wilby, Maurice de rêve. G.L.
86. I Don’t Want to Sleep Alone de Tsai Ming-liang (Taïwan, Malaisie, 2006). Avec Lee Kang-sheng, Norman Bin Atun, Chen Shiang-chyi
L’un des sommets de la carrière de trente ans du Taiwanais Tsai Ming-liang (Les Rebelles du Dieu Néon, Vive l’amour notamment) se déroule dans la moiteur de Kuala Lumpur en Malaisie, son pays d’origine. D’un côté, un paralysé est martyrisé par sa famille. De l’autre, un jeune homme sans domicile agressé se retrouve pris en charge – lavé, massé – par un migrant venu du Bangladesh, qui tombe amoureux de lui. Une jeune domestique complète ce trio amoureux singulier, que le cinéaste filme à sa manière frontale et lente, occupé à capter les fluides et les peaux, les beautés dont sont capables les corps même quand ils sont démunis. En creux se tisse un exercice d’admiration de la part de Tsai pour Lee Kang-sheng, acteur principal de tous ses films, filmé en toute lascivité. O.J.
85. Odete de João Pedro Rodrigues (Portugal, 2005). Avec Ana Cristina de Oliveira, Carloto Cotta, João Carreira
On a rarement vu au cinéma un prologue aussi littéralement foudroyant. Au sortir d’un anniversaire fêtant sa liaison avec Rui, le jeune Pedro, distrait par l’envie d’un dernier texto à son chéri, meurt dans un accident de voiture. La suite sera un lamento du souvenir. Mais comme l’adoré João Pedro Rodrigues n’est pas la moitié d’un cinéaste, le récit est bouleversé par Odete, jeune fille qui s’hallucine en veuve de Pedro qu’elle prétend père de son futur enfant. Le désir est un hors-la-loi. G.L.
84. Tangerine, de Sean S. Baker (Etats-Unis, 2015). Avec Kitana Kiki Rodriguez, Mya Taylor, Karren Karagulian
Sin-Dee, au magique patronyme de Rella (Cendrillon moderne), est une prostituée trans africaine-américaine : à sa sortie de prison, elle retrouve sa collègue Alexandra, qui lui apprend que son prince charmant Chester, son mac/petit ami, l’a trompée avec une certaine Dinah, une blanche cis qu’elle se met en tête de retrouver pour lui faire la peau. S’ensuit une odyssée à travers Los Angeles filmée à l’iPhone, arpentant ses trottoirs immenses avec détermination, férocité et une gouaille inimitable. C’est l’histoire d’une vengeance survoltée, ou comment guérir d’un fuck boy tout en luttant pour sa propre survie. Paul Courbin
83. Totally Fucked Up de Gregg Araki (États-Unis, 1993). Avec James Duval, Roko Belic
Sorti aux États-Unis en 1993, Totally Fucked Up est le premier volet de la Teenage Apocalypse Trilogy de Gregg Araki. Réalisé, comme ses trois précédents films, avec un budget modeste – ce n’est qu’à partir des suivants, The Doom Generation et Nowhere qu’il travaillera dans des conditions professionnelles –, le film raconte par bribes la vie et les amours de six adolescent·es gays ou lesbiennes, dans un Los Angeles décimé par le SIDA. Filmé en super 16 et en vidéo, avec une forme très libre, alternant naturalisme et formalisme, c’est un étendard de ce que les critiques anglo-saxons appelèrent à l’époque le New Queer Cinema. Contrairement à Moins que zéro de Bret Easton Ellis, ici c’est le monde qui ne croit plus en rien, pas les personnages, qui eux essaient simplement de faire mieux que survivre. Jacky Goldberg
82. Boys Don’t Cry de Kimberly Peirce (États-Unis, 1999). Avec Hilary Swank, Chloë Sevigny
Inspiré par l’histoire vraie de Brandon Teena (un homme trans violé puis assassiné par des hommes de son entourage), ce film a durablement marqué l’histoire de la représentation des transidentités à l’écran – en plus de valoir à Hilary Swank, à l’époque quasi inconnue, un Oscar de la meilleure actrice. Si Boys Don’t Cry marque autant, c’est parce que sa réalisatrice Kimberly Peirce a fait le choix, au-delà de la reconstitution du crime transphobe, de se concentrer sur l’histoire d’amour entre Brandon et sa petite amie. Une parenthèse lumineuse, brutalement interrompue par le drame. M.K.
81. Tout sur ma mère de Pedro Almodóvar (Espagne, 1999). Avec Cecilia Roth, Marisa Paredes, Penélope Cruz
Quand Manuela perd son fils, elle manque de perdre la tête. Lola. Il lui faut retrouver Lola pour retrouver la raison et remuer son passé pour guérir. C’est ainsi que l’ancienne actrice retrouve de vieilles connaissances et s’en fait de nouvelles : Agrado, une travailleuse du sexe trans à la langue bien pendue, l’adorable Sœur Rosa, et une actrice dans la déroute, Huma Rojo. Mais qu’est-il advenu de Lola ? Avec le talent qui lui est propre et un certain avant-gardisme, Pedro Almodóvar redéfinit le concept de parentalité en repoussant les limites de ses représentations. Tout sur ma mère n’est pas une simple histoire d’amour mettant en scène deux individus. C’est un récit collectif et chaleureux qui exalte la puissance de cinq femmes unies pour le meilleur et pour le pire. L.C.
80. The Watermelon Woman de Cheryl Dunye (États-Unis, 1996). Avec Cheryl Dunye, Guinevere Turner
“J’ai commencé à te kiffer la minute où je t’ai vue ranger des cassettes”, dit Diana à Cheryl qui travaille dans un vidéo club. Alors que Cheryl tente de lui montrer un film des années 1940 avec une comédienne noire, Diana s’allume une cigarette, pique celle de Cheryl et l’embrasse langoureusement alors qu’elle tient leurs deux clopes d’une seule main. La scène de sexe qui suit montre la fusion de leurs deux corps : de très gros plans de la peau noire de Cheryl se collant à la peau blanche de Diana, leurs mains baguées qui s’entrelacent, un bout des seins happé par une langue. Tout n’est que friction et moiteur dans ce très grand film qui porte à la fois sur l’invisibilisation des comédiennes noires dans l’histoire du cinéma, l’effacement du désir lesbien et une réflexion profonde sur le rôle des archives. I.B.
79. Eté 85 de François Ozon (France, 2020). Avec Benjamin Voisin, Félix Lefebvre
Alors qu’il tente de se remettre de la mort de son amour d’été, Alexis demande à sa meilleure amie : “Tu crois qu’on invente les gens qu’on aime?” C’est la plus belle réplique de ce film sur le deuil amoureux. Dans cet avant-dernier film de François Ozon, la mort de l’être aimé est une réalité biologique, mais c’est aussi une image mentale manipulable, une fiction qui fait de cette apparente bluette teen un grand film sur le sentiment amoureux et même sur l’invention de soi. Car ce que le film esquisse aussi en creux, c’est qu’en prenant conscience que l’autre est une fiction, on réalise qu’on l’est aussi soi-même. B.D.
78. Shortbus de John Cameron Mitchell (États-Unis, 2006). Avec Paul Dawson, PJ DeBoy, Sook-Yin Lee
Du sexe non simulé mais jamais porno glauque, de l’art, du rock lancé à toute berzingue dans un club underground américain très libre, peuplé de freaks, de marginaux, d’originaux, de coincés désinhibés, de ratés du sexe ou de joyeux athlètes SM totalement épanouis. Toutes les sexualités s’y rencontrent, s’y croisent, se donnent du plaisir parfois, au-delà souvent de leurs identités affichées et revendiquées. John Cameron Mitchell, qui avait préparé son film pendant plusieurs années avec des acteurs non professionnels, des gens comme vous et moi, dessine une métaphore utopique et déjantée de l’Amérique où chacun pourrait un jour jouir sans entrave. Un film incroyablement libre, joyeux et désespéré, jamais imité, jamais égalé depuis sa sortie en 2006. Un manifeste joyeux qui semble hélas, à ce jour, être resté une utopie. J.-B.M.
77. Kaboom de Gregg Araki (États-Unis, 2010). Avec Thomas Dekker, Chris Zylka, Haley Bennett
Avec Kaboom, Araki plonge de beaux ados défoncés dans une bulle acidulée à l’abri du monde, un campus américain, dans lequel un brun ténébreux rêve d’un surfeur blond gentiment débile (Thor, son colocataire). À cette nouvelle étude des plaisirs et des désirs carburée à un flux de paroles quasi épileptique dont il ne cesse de filmer les variations, Araki greffe un voile horrifique, pas loin de Lynch mais en plus drôle, pour dire un état de décrépitude d’un monde paranoïaque en même temps qu’une possible résistance dans la jouissance. M.D.
76. Querelle de Rainer Maria Fassbinder (Allemagne, France, 1982). Avec Brad Davis, Franco Nero, Jeanne Moreau
C’est par cette adaptation hautement stylisée du Querelle de Brest de Jean Genet que se clôt l’œuvre profuse de Fassbinder. Le prodige meurt à 37 ans, quelques semaines avant la présentation du film au festival de Venise. Dans des décors de studio ostentatoirement faux, dans une lumière orange entre Blade Runner et un clip de Duran Duran, des marins s’étreignent avec vigueur avant de se battre au couteau. Fassbinder dédouble des personnages de Genet, organise un ballet moite de doubles et de miroirs. Le désir palpite en turgescents chants d’amour. Jamais n’a été aussi conformément rendue la texture même du fantasme. Jean-Marc Lalanne
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