Le fashion designer signe un second long métrage virtuose.
C’est par une bien étrange messe que débute Nocturnal Animals : un cortège de femmes obèses, déguisées en cheerleaders, qui se trémoussent sur scène, au ralenti, leurs bourrelets rebondissants offerts au regard des spectateurs. Mais quels spectateurs exactement ? Et à quelle fin ?
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La réponse n’est jamais vraiment donnée – même si l’on comprend assez tôt qu’il s’agit d’une performance effectuée dans une galerie d’art –, et c’est dans cette ambiguïté inaugurale que va se nicher Tom Ford tout au long de son second long métrage, qui le confirme, sept ans après A Single Man, comme un excellent cinéaste – on attendra encore un tout petit peu pour sortir l’épithète “grand”.
Comme l’on pouvait s’y attendre de la part du fashion designer le plus (porn) chic de l’univers, son film, adapté d’un roman d’August Wright (Tony & Susan, 1993), est une nouvelle intrusion dans le monde sans pitié des nantis, autour cette fois d’une double histoire de vengeance et de trahison. Amy Adams y joue une riche galeriste de Los Angeles, épouse d’un mari volage, esseulée dans son dix-huit pièces anthracite (la pauvre), qui reçoit un beau matin un livre signé par son ex. Elle le lit.
Solo fortissimo
Le dispositif virtuose mis en place par Tom Ford consiste à orchestrer trois temporalités et à les faire jouer ensemble, comme un trio à cordes. Un présent strident, presque caricaturalement antonionien, qui voit se déliter toutes les illusions de la rouquine éplorée (tâche ingrate dont Amy Adams, décidément très en forme après son coup d’éclat dans Premier contact, s’acquitte très bien, sur les traces de Nicole Kidman) ; un passé staccato, cauteleux, vénéneux, qui révèle comment l’héroïne a quitté son ex-mari, écrivain en lose interprété par Jake Gyllenhaal, dont la fausse candeur fait ici merveille ; et enfin une partie purement fictionnelle, qui n’est en fait que la mise en image du roman lu.
Ce troisième récit, véritable film dans le film, est la pièce maîtresse de Nocturnal Animals, son solo fortissimo : un rape and revenge ravageur, mettant en scène Jake Gyllenhaal (c’est-à-dire l’écrivain, c’est-à-dire l’ex, vous suivez ?) en bon petit père de famille attaqué, avec femme et enfant, par un gang de hillbillies sur les plaines texanes.
Bombe à fragmentation
Pas besoin d’en dire plus, si ce n’est que cette histoire fait chez sa lectrice (et chez le spectateur) l’effet d’une bombe à fragmentation émotionnelle, dont les éclats vont se propager au plus profond. La vengeance est parfaite, et en même temps parfaitement vaine : elle ne conduit qu’à l’autodestruction, constate-t-on dans un finale soufflant.
On comprend alors un peu mieux l’intention du générique de début : souligner la vanité de tout ce qui suivra, dans un geste où le dégoût et la jouissance s’annulent, comme si le créateur de mode cynique et le cinéaste lucide se rejoignaient. Sauf que la croyance de Ford en l’art, qu’il s’agisse de peinture, d’étoffes, de mots, ou d’images, est totale – totale au point même de pouvoir tuer.
Et c’est ainsi que si la démonstration de force (formelle, narrative, interprétative…) peut agacer sur les bords, qu’importe. Car au cœur, elle fait mouche.
Nocturnal Animals de Tom Ford (E.-U., 2016, 1 h 57)
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