Le moment historique de la réappropriation de la démocratie par le peuple chilien sous Pinochet. Une ode à l’intelligence collective et à la croyance collective.
Santiago du Chili, en 1988, soit quinze ans après que le général Pinochet a pris le pouvoir par la force en renversant le président de gauche Salvador Allende (mort les armes à la main) et imposé une dictature de fer à son pays (tortures, exactions, milices, etc.). La pression internationale a fini par porter ses fruits : un référendum pour ou contre Pinochet est organisé.
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Chaque jour, pendant la campagne, les partis d’opposition auront la parole pendant un quart d’heure !
Sur le papier, l’opposition n’a aucune chance. Mais un jeune publicitaire, René Saavedra (Gael García Bernal), qui a étudié à l’étranger et travaille dans la boîte de pub d’un proche du pouvoir (Alfredo Castro, le génial interprète principal des deux films précédents de Pablo Larraín, méconnaissable), accepte de prendre en charge la communication de l’opposition.
Contre toutes les habitudes de la gauche, certes assommée et sévèrement opprimée depuis 1973, il va tenter d’imposer une ligne éditoriale totalement inattendue (joyeuse, inconoclaste, sexy, sans lamentations) pour ramener la démocratie dans son pays. Un seul but : le “no” doit triompher, coûte que coûte.
Le grand historien Paul Veyne expliquait comment le christianisme s’était imposé à Rome : non pas par la force, non par une révélation ou une illumination soudaine à la foi ; non par l’aspiration à une ascèse morale, mais parce que soudain cette religion étrangère s’était révélée moderne et pratique (un seul dieu, c’est quand même plus simple que des myriades de divinités), mode, tendance, en substance “branchée”…
C’est aussi ce que montre avec talent et énergie No. Le récit, passionnant de bout en bout, ne manque pas d’ironie. C’est grâce aux méthodes de marketing apprises aux États-Unis, le grand allié de Pinochet, que René Saavedra, ce fils de bourgeois, va réussir à abattre, dans et par les urnes, le pouvoir de Pinochet, en le ringardisant, tout simplement.
No est le troisième film qui nous parvienne du jeune (il n’a que 37 ans) cinéaste chilien Pablo Larraín, après Tony Manero (présenté à la Quinzaine des réalisateurs) et Santiago 73 – Post mortem (présenté à la Mostra de Venise).
Deux films durs, noirs, effrayants, qui montraient les accointances entre l’avènement d’une dictature (le putsch de Pinochet, la mort d’Allende) et la folie des citoyens chiliens (un danseur de disco tueur psychopathe, ou le petit employé d’une morgue qui sombrait dans la folie furieuse après avoir assisté à l’autopsie d’Allende).
Cinéaste résolument politique ou du moins historien de son pays, Larraín change soudain de voie ou plutôt de ton.
No, au contraire de son titre, est un film enthousiasmant, souvent drôle (avec une amertume palpable), galvanisant, qui clame le pouvoir de la communauté, du collectif et de l’humour, quand ils parviennent à rendre attirante la démocratie et à en faire une promesse d’avenir. Rien que ça.
Le film est aussi, comme l’étaient quelques films récents, comme Des hommes et des dieux, le film à succès de Xavier Beauvois, ou un documentaire moins connu comme Les Lip, l’imagination au pouvoir de Christian Rouaud, un film sur l’intelligence, sur le temps et la réflexion nécessaires à un groupe humain pour trouver la solution adéquate pour répondre – la fin justifiant les moyens – à une question obsédante et difficile : comment reprendre le pouvoir, réinstaurer la liberté politique et l’égalité dans un cadre dictatorial (qu’il s’agisse d’un État ou d’une entreprise) ?
Comment convaincre les citoyens ou les travailleurs d’un bonheur et d’un progrès possibles quand on vit dans un pays,comme le Chili de Pinochet (certes aidé par le “grand frère” américain), où la prospérité économique et le progrès moderne (pour une minorité, évidemment) règnent ?
Alors nous suivons pas à pas, nous aussi, les réflexions de René, celles
de ses compagnons de lutte, leurs échecs, les tentatives d’intimidation du pouvoir, mais aussi les progrès d’une cause juste (ce moment magnifique où René découvre que le nouveau compagnon de sa femme porte le T-shirt arc-en-ciel du mouvement pour le “no” !).
Découvert à Cannes en mai dernier, alors que le PS venait de gagner l’élection présidentielle en France, No semblait soudain nous renvoyer une certaine image de la réalité française, toutes proportions gardées (Sarkozy n’était évidemment pas Pinochet). Nous craignions un peu de le revoir aujourd’hui.
Mais non : il garde toute sa force, tout ce à quoi il appelle : l’espoir et la croyance dans la politique.
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