Crise conjugale après la perte d’un enfant : un drame tenu et sobre.
Il y a la surprise de voir John Cameron Mitchell, cinéaste des marginaux ivres de désir (la chanteuse transsexuelle d’Hedwig and the Angry Inch, les partouzeurs de Shortbus), s’emparer de ce drame mortifère qui transpire sérieux et bon goût.
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Tout y est en place : l’actrice en mode rôle à oscar (Nicole Kidman, démaquillée), l’emballage (photographie terne, ritournelle délicate à la guitare pour appuyer l’humeur grise) et le scénario (la crise d’un couple après la mort de leur jeune enfant).
Mais comme Todd Haynes (Loin du paradis), de sensibilité identique, Mitchell reprend à son compte le mélodrame pavillonnaire. Il transforme ses bourgeois bien installés en freaks déchirés, qui suscitent l’incompréhension de leur entourage.
Mitchell se concentre sur la manière dont le couple Nicole Kidman/ Aaron Eckhart sauve les apparences. Kidman qui dore avec soin ses crèmes brûlées, qui se rend avec son époux à des réunions de parents confrontés à la même épreuve, mais sans trouver de réconfort, ou Eckhart qui fume de la beuh en cachette : le deuil est traversé de manière cotonneuse et somnambule.
C’est tout le brio de Mitchell de mettre en sommeil l’hystérie attendue, de faire en sorte que tous les choix y aient l’air d’impasse – s’encanailler, nier l’évidence, passer à autre chose. Il peut compter sur son actrice principale, aussi productrice de ce projet cousu main pour elle. Il est intéressant de retrouver en 2011, année kubrickienne (du moins en France), Kidman dans un nouveau film de couple au bord de la rupture, une décennie après Eyes Wide Shut.
Les rêves d’ailleurs, les fantasmes très XIXe siècle de fricoter avec un officier naval se transforment ici en passe-temps geek : Kidman s’évade avec une BD intitulée Rabbit Hole, divagation sur des mondes parallèles dessinée par l’adolescent responsable de la mort de son fils – la BD a en fait pour auteur Dash Shaw, excellent dessinateur américain dont les cases criardes, à la fois tendres et névrosées, rompent avec la torpeur du film.
Sur un banc, Kidman peut rêvasser sur un univers où elle serait plus heureuse. Et on touche à un moment d’étrangeté quotidienne, proche de la meilleure série de science-fiction du moment, Fringe. La relation avec l’adolescent est l’élément le plus troublant du film car Nicole Kidman convoque merveilleusement des sentiments contradictoires (harcèlement ? désir ? pardon ?), culminant dans une très belle scène où elle le croise le jour de son bal de promo.
Mais on sait que, de Prête à tout à Birth, le Kidman-movie tire toujours très bien son malaise de l’addition Kidman + adolescent ou enfant, prompte à faire éclater familles et certitudes. Ici, les traits de l’actrice se sont un peu figés (on appelle ça la maturité). Et, dans un dialogue final, en écho à Eyes Wide Shut, sur leur avenir conjugal, elle peut laisser le dernier mot à son mari.
Au “fuck” kubrickien assuré s’est substitué un “et maintenant ?” en apparence plus confortable mais toujours au bord de l’inconnu.
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